Divorce juif : à Grenoble, coup d’arrêt au « chantage au guett »
Alors que dans le judaïsme, le divorce ne se fait pas sans l’accord du mari, une décision forte a été prise récemment à Grenoble pour sanctionner un époux récalcitrant.
Quatre ans après un scandale retentissant à Paris, les « chantages au guett » continuent de se pratiquer en France.
Un communiqué placardé à la mi-juin dans les synagogues de Grenoble (Isère) annonçait que des sanctions religieuses avaient été prises à l’encontre d’un fidèle qui refusait de remettre à son ex-femme le guett, l’acte de divorce religieux juif. / Benjamin Barda/CIRIC
Le communiqué a été placardé à la mi-juin dans les synagogues grenobloises. Il annonçait que des sanctions religieuses avaient été prises à l’encontre d’un fidèle qui refusait de remettre à son ex-femme le guett (acte de divorce religieux juif, lire ci-dessous). Le mari récalcitrant, cité nominativement dans ce document public, ne peut désormais plus participer à la prière synagogale et se trouve exclu du minian (quorum de dix hommes nécessaire à la prière).
Radicale, cette mesure est inédite en France. Inspirée des pratiques de shamingqui ont cours en Israël ou aux États-Unis pour dénoncer le « chantage au guett » – il arrive même que la photo de l’homme soit publiée –, elle a été prise par deux rabbins grenoblois, sous l’autorité du grand rabbin de France Haïm Korsia. Celui-ci assume la sévérité de sa décision : « Il faut une condamnation unanime, une sorte de mise au ban sociale de ces hommes qui n’ont pas la dignité de rendre sa liberté à leur femme », explique-t-il à La Croix.
Pratiques de chantage
Connu pour sa bienveillance vis-à-vis des femmes dans ces affaires de divorces conflictuels, où l’homme se venge parfois d’une procédure civile qui lui a été défavorable, Haïm Korsia aimerait voir l’ensemble des juifs de France participer au « rejet moral » des pratiques de chantage, « sans la moindre compassion »pour ces hommes. Mais il sait que du chemin reste à faire. Ces dernières semaines, il a reçu plusieurs lettres lui demandant de revenir sur sa décision prise à Grenoble, arguant que ce mari était « un homme bien » et qu’il ne méritait pas une telle marginalisation.
Si la position de l’actuel grand rabbin de France ne souffre pas d’ambiguïté sur cette question, ce n’est pas le cas de celle de son prédécesseur par intérim, Michel Gugenheim, aujourd’hui grand rabbin de Paris : en 2014, le tribunal rabbinique de Paris avait été accusé d’avoir cautionné une forme de « chantage au guett » en présence du rabbin Gugenheim. L’affaire avait défrayé la chronique et déchiré la communauté juive de France.
« Le scandale du guett de 2014 a révélé des dysfonctionnements graves dans le tribunal rabbinique de Paris, dont les membres et le président ne sont pas des juges rabbiniques. Les règles de procédure n’y sont pas respectées, et les décisions y sont parfois prises à la tête du client. Ni la composition du tribunal ni l’équipe du service du divorce n’ont changé depuis 2014 », assure Liliane Vana, spécialiste en droit hébraïque et talmudiste, très mobilisée auprès des femmes dans le judaïsme. Avec l’écrivaine Éliette Abécassis (1), cette juive orthodoxe vient de créer un hashtag pour inviter ces femmes à sortir du silence sur les réseaux sociaux : #stopchantageauguett.
Conditionner le divorce civil au divorce religieux
Liliane Vana assure n’avoir vu « aucun progrès » sur cette question depuis 2014, et refuse de considérer comme une victoire la décision de Grenoble. « N’allons pas confondre un simple moyen de pression – certes inédit en France – avec une solution générale, nécessaire quand on se trouve face à une telle épidémie. » De solution, elle n’en voit qu’une pour l’ensemble du judaïsme orthodoxe : « L’annulation rétroactive du mariage religieux inscrite dans la Loi juive », quand un homme persiste à refuser le guett à son ex-épouse passé un certain délai depuis le dépôt de la première demande de cet acte de divorce.
Le rabbin français Moché Lewin, vice-président de la Conférence des rabbins européens (CER), prône quant à lui « la combinaison de plusieurs mesures » : le refus d’accorder aux maris récalcitrants les honneurs religieux, comme à Grenoble, mais encore la possibilité pour ces femmes de demander le divorce devant des tribunaux rabbiniques en Israël, où les sanctions visant les maris peuvent être sévères (peines de prison, interdiction de quitter le pays, etc.). La loi permettant à des femmes non israéliennes d’être ainsi « libérées » par des tribunaux rabbiniques israéliens a été adoptée le 25 juin par le Parlement israélien, sur une idée du CER.
Alors qu’un durcissement semble en cours, certains espèrent désormais un changement dans la législation française. Le grand rabbin Haïm Korsia s’est d’ores et déjà adressé à la ministre de la justice, Nicole Belloubet, dans l’espoir de voir la loi conditionner le divorce civil au divorce religieux, dans le cas où les époux se sont mariés religieusement. Ainsi, comme c’est par exemple le cas au Canada, l’on ne pourrait divorcer civilement qu’après la clôture de son mariage religieux.
Guett
Ce mot hébreu désigne l’acte de divorce religieux juif.
Il s’agit d’un document légal rédigé à la main, au moyen duquel un homme divorce de sa femme selon la Loi juive.
Tant qu’une femme juive n’a pas reçu le guett de la part de son époux, elle est dite agouna, terme que l’on traduit en français par « liée » voire « enchaînée ». Elle ne peut pas se remarier à la synagogue, et ses futurs enfants sont considérés comme illégitimes.
Mélinée Le Priol - La Croix
Commentaires
Publier un nouveau commentaire