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Izza Génini, réalisatrice et productrice : «Le partage du patrimoine musical juif et marocain est une belle démonstration de notre osmose naturelle et singulière»

Izza Génini, réalisatrice et productrice : «Le partage du patrimoine musical juif et marocain est une belle démonstration de notre osmose naturelle et singulière»

«Cantiques brodées» et «Retrouver Oulad Moumen» de Izza Génini sont deux documentaires projetés hors compétition, au dixième Festival international de cinéma et de mémoire commune. Ils ont retenu l’attention du public cinéphile de Nador, car ils sont réalisés avec cœur et beaucoup de nostalgie. Le premier évoquant une rencontre exceptionnelle des deux maîtres de la musique arabo-andalouse, le rabbin Haim Louk et l’artiste Abdessadek Chekara, qui montre la préservation avec ferveur du patrimoine musical commun par les juifs et les musulmans du Maroc. Dans le deuxième documentaire, on assiste à un voyage autobiographique ayant pris ses racines au fin fond du village Ouled Moumen, situé au sud de Marrakech, où fut fondée, dans les années 1920, la famille Edery. Ensuite, la migration des membres de cette même famille sur le plan national puis international. Le film retrace la saga de cette migration qui les a séparés et assimilés à d’autres cultures.

Le Matin : Dans quel contexte a été réalisé le documentaire «Cantiques brodées» qui montre le point commun entre la musique des musulmans et des juifs marocains ?
Izza Génini :
Ce film date de 1988 et le concert aussi a eu lieu à la même année. En fait, dès 1986, le Rabbin Levi d’origine marocaine, mais qui vivait à Manchester, a eu l’idée d’organiser un concert à Paris dans une synagogue avec Abdessadek Chekara et Haïm Louk. Donc j’ai pu, grâce à l’Association d’identité et de dialogue, dont André Azoulay était le président, assister à ce concert. Ce qui a donné lieu à l’idée d’organiser un plus grand concert au centre Rachi. Comme moi j’avais commencé à faire mes films de musique, notamment l’Aïta, Gnaoua, El Melhoun, j’ai pensé à filmer cette soirée musicale. L’idée était de faire un film sur Al Matrouz, grâce à ce concert. Et c’est rentré naturellement dans cette collection que j’avais entamée quelques années plus tôt.

En faisant ce film, étiez-vous consciente que vous alliez immortaliser des moments uniques de communion entre citoyens marocains, juifs et musulmans ?
C’était comme une graine qui a été semée pour ce qui se passe aujourd’hui. Ceci s’est passé entre le départ des juifs du Maroc et tous les remous historiques et politiques en Israël. C’était la première fois qu’un concert a réuni ces deux personnages qui ne s’étaient jamais rencontrés auparavant. Une belle démonstration de leur osmose naturelle et singulière. À voir la réaction de la salle, on pouvait comprendre ce qui se passait. Un vrai événement.

Ce documentaire a-t-il eu le succès qu’il méritait ?
Tous les petits documentaires que j’ai faits, comme un artisan de cinéma, ont continué à vivre tout le temps, sous forme d’édition DVD, diffusés à la télévision de temps en temps, mais dans beaucoup de festivals. Là, je pars à Burkley en Californie, au département des études du monde arabe à l’Université pour montrer les musiques judéo-musulmanes marocaines avec «Cantiques brodées» et «Nouba». Il y a presque une mode de ce qui est marocain, judéo-marocain dans plusieurs espaces dans le monde où ce genre musical est accueilli avec ferveur.

Le second documentaire, projeté au dixième Festival international de cinéma et de mémoire commune, est une sorte d’autobiographie. Comment s’est déroulé le processus de sa réalisation ?
 Ce processus a commencé avec mon retour au Maroc. La deuxième pierre est que ce retour au Maroc m’a donné l’impulsion de me lancer dans la distribution des films marocains, en rencontrant Souhaïl Benbarka. Après avoir produit «Al Hal», je voulais continuer à produire pour le cinéma un film avec Fatna Bent El Houssine que j’admirais beaucoup. Comme c’était très compliqué de produire «Transe», je n’étais pas prête à recommencer. C’est à ce moment-là que j’ai pensé à la réalisation. Après onze films de 26 min, je me suis rappelée des rushes de l’interview de mes parents, puis la célébration de mon anniversaire et je me suis trouvée à un festival à Biarritz, avec Canal+ qui diffusait en été une émission sur la diaspora familiale, et c’est un film sur ma famille qui m’est venu à la tête. Alors, j’ai proposé l’idée, qui fut acceptée sous conditions.

Ce documentaire a-t-il marqué les membres de votre famille ?
Ce film a reçu le grand prix du film d’histoire à Pessac et même notre frère, qui n’avait pas aimé l’idée au départ, en était content, surtout après que le film a été sélectionné à New York où il habitait dans le temps. Quand il a vu le film, il a craqué et est devenu le plus grand défenseur du documentaire. Comme si lui-même avait besoin que cette vérité éclate devant le monde entier. D’ailleurs, mon attention était de faire ce travail, parce que moi aussi, à mon adolescence, j’avais le complexe de mes parents en djellaba, alors ceux de mes copines étaient en costumes. Tout d’un coup, par ce retour au Maroc, où j’ai appris à les connaître, je me suis dit que ce sont des gens d’une immense valeur. Donc, le travail du film était de valoriser ces personnes, les sortir du complexe, de l’indignité. Alors qu’ils ont un savoir qui a tellement de valeur. Je suis plus que fière de ce film, surtout en rendant hommage à ma mère et toutes les femmes qui ont vécu ces temps qui furent assez difficiles pour elles.

Avez-vous continué sur la même voie après ce film ?
Oui, j’ai continué à creuser dans la culture marocaine en réalisant «Pour le plaisir des yeux» sur les neggafates, car je me suis rendu compte que le Maroc est une vraie civilisation. Il y a un art de vivre, une esthétique, partagée entre la population musulmane et juive.

Comment considérez-vous la relation actuelle entre juifs et musulmans ?
Il y a toujours cette relation amicale et d’amour entre les deux. D’abord, on peut circuler librement au Maroc, pas comme dans certains pays. Il faut dire que ceci est aussi valable pour tous les étrangers, car le Maroc est un pays très accueillant.

Qu’est-ce que vous nous préparez pour le prochain documentaire ?
En regardant mes archives, j’ai retrouvé Hajja Hamdaouiya, Chekara, les frères Bouazzaoui, des vrais trésors, puis mon rapport avec Souk Al Gara et mon amour pour le Maroc, pour sa culture et ses musiques m’ont poussée à préparer un film intitulé «Mon souk Lakhmiss».

Où en le projet des proverbes «Comme ma mère disait» ?
Comme il va y avoir à Paris, au mois de janvier, toute une quinzaine de la culture juive d’Afrique du Nord au centre communautaire, ils nous ont demandé d’en faire un spectacle : ma fille va faire la mise en scène, moi je vais lire le texte et Françoise va le chanter. 

Entretien réalisé par NES à Nador Ouafaâ Bennani

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