Je suis un héros des temps modernes: je n'ai toujours pas attrapé le Covid
Laurent Sagalovitsch
D'avoir à ce jour été épargné par le virus demeure la plus grande fierté de mon existence. Je dois être béni des dieux.
J'ai à peu près tout raté dans ma vie. Mon bac obtenu à grand-peine après un premier échec cuisant. Mon permis de conduire arraché au bout de la troisième tentative. Mes études universitaires d'une médiocrité infâme. Mes conquêtes féminines aussi rares que mes cheveux sur le crâne. Mes romans couronnés d'aucun prix. Mes chroniques appréciées par une minorité de lecteurs tous à la solde du lobby juif et rémunérés par mes parents pour me lire. Un naufrage complet.
Non, de mon existence, la seule chose que j'aurai réussi est d'avoir évité d'être contaminé par le Covid. Rien que pour cela, je mérite tous les honneurs. Ma place dans l'histoire est ainsi assurée. Ici gît le plus médiocre des écrivains de sa génération dont le seul et unique fait d'armes aura consisté à ne pas attraper le Covid. On se console comme on peut. Le Covid aura eu pitié de moi. Par miséricorde, il m'aura épargné.
C'est peut-être le signe de la providence, la preuve que Dieu croit encore en moi. Sinon comment expliquer que je sois à près le seul sur cette planète à être passé à travers? Certes, je me suis montré d'une prudence rare. La seule fois où j'ai dû prendre l'avion, j'avais une telle superposition de masques plaqués sur mon visage que le commandant de bord a été à deux doigts de dérouter l'appareil pour m'approvisionner en oxygène –il faut dire que j'avais le teint pivoine d'une rose shootée aux hormones.
À peine ai-je dîné une fois dans un restaurant. Et encore, c'était en terrasse, par une journée de grand vent où j'ai exigé du serveur de se tenir à plus de cinq mètres de moi, ce qui explique qu'en lieu et place d'un saumon en papillote, il m'a servi un rôti de porc auquel je n'ai pas touché, me contentant de boire quelques gorgées de mon gel hydroalcoolique.
J'ai décliné autant d'invitations à dîner ou à sortir que possible. À mes rares hôtes, j'ai mené une vie d'enfer. À table, le silence devait être de rigueur. Interdiction absolue de souhaiter bon anniversaire sinon en langue des signes. Arrivé à 8h, je repartais à 9h sans avoir pipé mot. Derrière mon dos, on me traitait de fou furieux d'hypocondriaque, d'hystérique hygiéniste, de nazi du masque. Je laissais dire. J'avais la science pour moi.
À la maison, j'ai instauré des règles spartiates. J'ai banni tout rapport sexuel hormis au cours des deux mois qui suivaient l'administration du vaccin, rappel et booster compris. Le reste du temps, j'ai dormi dans le canapé. Je prenais mes repas en solitaire pendant que ma femme, enfermée à double tour dans notre chambre à coucher, me menaçait de divorce, en emmenant le chat avec elle. Bercé par le doux son de mes purificateurs installés tels des miradors à chaque coin de la maison, c'est à peine si je l'écoutais.
Au supermarché, avec mes masques et mes lunettes de plongée, mon front caché derrière une visière à triple épaisseur, mes bras gantés jusqu'aux omoplates, mes boules Quies engoncées dans les profondeurs de mes oreilles, mes narines bouchées d'écouvillons de coton, je faisais peur à tout le monde. Arrivé à la caisse, telle la mer Rouge si chère aux hébreux, la queue s'ouvrait à mon passage et je passais devant eux comme un Moïse masqué.
J'attendais avec une impatience fébrile la date de mes rappels. Parfois, je campais devant les portes du centre de vaccination pour être certain d'être le premier à profiter des bienfaits du nouveau dosage. Quand je sentais la pointe de l'aiguille pénétrer dans ma chair, j'en éprouvais comme une joie extatique, une félicité telle que j'en arrivais à bander de plaisir. Un peu plus et je prenais là l'infirmière, entre deux tests antigéniques.
Je me suis acheté des capteurs de CO2 en veux-tu en voilà. Dès que les taux de concentration grimpaient de trop, je prenais le large. À la banque, au cinéma, au lit, dans le train. Peu importe. Plus d'une fois à bord d'un TGV, sitôt dépassé les seuils recommandés, j'actionnais le frein de secours et au beau milieu de la campagne bourguignonne, entre Paris et Dijon, tel un résistant poursuivi par une meute de SS, je courais me réfugier dans la forêt la plus proche.
Autant d'exploits qui m'ont permis de demeurer tout au long de ces mois, un Novid absolu. Si j'avais mis autant d'acharnement à écrire un roman qu'à me protéger du Covid, aujourd'hui, c'est moi que le prix Nobel de littérature aurait consacré. M'en fiche. Comme je ne risque pas de subir les effets d'un Covid long, pendant que mes camarades agoniseront dans d'atroces souffrances, moi je tracerai ma route.
Aussi longtemps que le Covid sera parmi nous, je ne baisserai pas ma garde.
Ce sera le plus grand triomphe de mon existence.
Le seul, hélas.
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