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L'Italie à la croisée des chemins

L'Italie à la croisée des chemins
par Daniel Pipes

 

ROME – Ces derniers temps, l'Italie est à la une de l'actualité en raison de deux faits nouveaux d'importance. D'une part, il y a la fermeture par le ministre de l'Intérieur Matteo Salvini, des ports italiens aux migrants illégaux. Cette mesure qui a suscité une vive opposition des médias, de la Justice et de l'Église, a fait chuter le nombre d'arrivants en provenance de la Méditerranée de 97 % entre 2017 et 2019. D'autre part, son parti civilisationiste appelé la Ligue (Lega en italien) est passé, au niveau des élections européennes, de 6 % des suffrages en 2014 à 35 % le mois dernier, devenant ainsi le parti le plus populaire d'Italie.

Vu de l'extérieur, ces changements spectaculaires suggèrent que, parmi les 61 millions d'Italiens, il y en a de plus en plus qui cessent de nier les problèmes apocalyptiques de l'Italie en matière d'immigration et d'islamisation et sont prêts à affronter les menaces existentielles auquel le pays est exposé. Mais est-ce vraiment le cas ? Les Italiens ont-ils franchi un cap dans la lutte pour le contrôle de leur destin ? Que signifie la fermeture des ports et quelle importance accorder à la montée en puissance de la Ligue ?

Pour analyser ces questions, j'ai séjourné à Rome où, pendant une semaine, j'ai rencontré 25 personnes issues du monde politique, diplomatique, médiatique et intellectuel et dont les points de vue sont très variés. Salvini a été comparé à diverses personnalités allant de Juan Perón à Margaret Thatcher. De tous ces entretiens, je suis ressorti impressionné par l'ampleur de la bataille qui se joue et dans laquelle les civilisationistes bénéficient pour le moment d'un vent favorable que toutefois le moindre faux pas pourrait inverser.
 
Cette bataille est déterminée par les défis auxquels l'Italie est confrontée. Le gouvernement est notoirement dysfonctionnel et ce, à tous les niveaux qu'il s'agisse du trafic routier à Rome ou du pont de Gênes. Sa population possède à peu près la moyenne d'âge la plus élevée au monde : 48 ans. Près de trois Italiens sur quatre voient l'avenir de leur pays avec pessimisme. Détenteur de la dette publique la plus élevée d'Europe et de la deuxième dette publique la plus élevée du continent en pourcentage de son PIB, le pays s'expose à des actions en justice et d'énormes amendes de la part de l'Union européenne. La Sicile et l'île de Lampedusa font de l'Italie le pays le plus proche d'une Libye en proie à l'anarchie et dès lors le plus touché par le boom démographique de l'Afrique.

Pire. Les deux forces culturelles dominantes en Italie – le Parti communiste et l'Église catholique – sont toutes deux universalistes et n'apprécient guère les éléments qui font la spécificité de la nation italienne. Bien entendu, l'une et l'autre militent pour une immigration à grande échelle comme le montrent les déclarations ferventes du pape François. Ainsi le 27 mai dernier, le pape parlait de la présence des migrants comme d'une « invitation à retrouver certaines dimensions essentielles de notre existence chrétienne. »

À côté de ces intentions nobles, il en est des plus pragmatiques qui poussent certains Italiens à vouloir un flux incessant de migrants. La gauche italienne ne peut que constater combien le vote migrant aide ses homologues dans d'autres pays (ex. la France). Les services publics d'aide aux migrants qui employaient 36.000 personnes se sont séparés de 5.000 d'entre elles quand le nombre de migrants a baissé et sont sur le point d'en remercier 10.000 autres. La corruption, en ce compris les malversations et la prostitution, est endémique dans ces services. La Maffia y réalise même « de larges profits sur le dos des migrants ».

À l'opposé, il y a ceux qui souhaitent mettre en valeur non seulement l'Italie et sa culture prestigieuse au niveau national mais également les nombreuses spécificités de ses différentes régions qui ont chacune une longue histoire, des dialectes très différents les uns des autres, et une gastronomie renommée. À titre d'exemple, citons la ville de Venise. Indépendante pendant 11 siècles (697-1797), elle a développé une technique unique de fabrication du verre (Murano) et possède sa propre école de composition musicale. La fierté des civilisationistes pour leur héritage est en opposition totale avec les aspirations universalistes.

Matteo Salvini (46 ans) est la figure de proue de cet élan de préservation civilisationiste. Ce politicien de carrière a rejoint à l'âge de 17 ans la Ligue du Nord encore marginale à l'époque. Devenu conseiller de la municipalité de Milan à 20 ans, il a gravi les échelons au sein du parti avant d'en prendre la tête, en 2013, après avoir battu le chef du parti en place de longue date. En tant que nouveau dirigeant, il a rapidement transformé le mouvement régional en parti national (en laissant tomber l'adjectif « Nord ») et a fait du contrôle de l'immigration son cheval de bataille.

Salvini domine la Ligue et occupe la scène politique italienne de telle manière que l'avenir du pays dépend en grande partie de ses priorités, ses aptitudes, sa profondeur, sa vision et son endurance. S'il parvient à faire de la fermeture des ports une solution à long terme aux problèmes de l'immigration et de l'islamisation, son succès électoral actuel laisse présager un tournant décisif pour l'Italie. Mais si sa tentative échoue, les Italiens ne retrouveront pas de sitôt l'occasion de contrôler leurs frontières et d'affirmer leur identité et leur souveraineté.

D'une façon plus générale, l'Italie a le potentiel pour rejoindre la Hongrie à la tête de cette lutte contre le déclin actuel de l'Europe mais pour qu'elle se réalise, cette perspective réjouissante requiert une habileté hors du commun, soit bien plus qu'un simple coup de chance.

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