Polanski : non, la justice n’est pas la vengeance
Henri Peña-Ruiz
Philosophe et écrivain. Son Dictionnaire amoureux de la laïcité (Plon) s'est vu décerner le Prix national de la laïcité 2014.
Tout homme a le droit de reconstruire sa vie en reconnaissant la faute commise, en en payant le prix, comme c’est le cas pour Roman Polanski.
Victor Hugo fait d’un ancien voleur le héros des « Misérables ». Un pain volé… Le bagne de Toulon. Considérant la disproportion de la sanction, Jean Valjean s’évade, non sans avoir « condamné la société à sa haine » (Tempête sous un crâne). Deux personnages antinomiques se le disputent. Pour le policier Javert, Valjean est un voleur et n’est que cela. Pour l’évêque de Digne, c’est un homme, capable de devenir autre que ce qu’il a été. Premier roman existentialiste, Les Misérables de Victor Hugo pousse la liberté jusqu’au libre choix de soi, de sa façon d’être, et de son être. L’existence précède l’essence. Pour que cette philosophie de la liberté fasse son œuvre, trois choses sont requises. D’une part que la justice cesse d’être la vengeance. La loi du Talion n’est plus de mise. D’autre part que la société civile, avec ses rancœurs immédiates et ses passions tristes, ne se substitue pas à elle ou ne prétende pas condamner un homme en le réduisant à un de ses actes. Enfin, que soit supprimée l’irréversibilité de la peine de mort physique, mais aussi de la peine de mort morale, celle qui interdit à l’individu de se choisir autre, en le clouant à jamais à une de ses fautes. Telle est l’humanité véritable, non celle de l’oubli qui efface, mais celle du pardon ou de l’amnistie qui délivre. Et ce en donnant à toute personne la possibilité réitérée de se redéfinir. Une limite cependant, qui fait du crime contre l’humanité une faute non amnistiable. Sa définition est claire, et univoque : vouloir sciemment détruire l’humanité en l’homme. Ce que fit le nazisme. La faute de Roman Polanski ne relève évidemment pas de ce registre.
PEINE DE MORT MORALE
Peine de mort morale, l’acharnement sur un homme qui a déjà payé pour sa faute, et l’a reconnue comme telle, prétend lui interdire, en somme, de devenir autre. Dans son fanatisme, elle se fait ressentiment aveugle. Jusqu’à exiger la non reconnaissance de son génie artistique. Mais entendons-nous bien sur ce point. Il ne s’agit pas de pardonner à l’homme du fait de son génie. Ce serait un privilège insupportable. Il s’agit seulement, si l’on peut dire, de distinguer les registres.
On a de quoi s’inquiéter si aujourd’hui la délation donne force à la calomnie et déborde la juste mesure d’une justice délibérative, soucieuse de vérité, donc de distance à l’égard de l’empire des passions.
Tout homme a le droit de reconstruire sa vie en reconnaissant la faute commise, en en payant le prix, comme c’est le cas pour Roman Polanski. Quant aux « récidives » supposées, nées de plaintes tardives, la présomption d’innocence interdit de leur faire crédit tant que la justice n’a pas statué. De toutes façons, dans un état de droit, c’est à la Justice et à elle seule de condamner ou d’innocenter, et de fixer les peines éventuelles. Ce n’est donc pas à des particuliers, qui croient devoir condamner toutes les dimensions d’une vie, aveuglément, définitivement, sans discernement critique. On a de quoi s’inquiéter si aujourd’hui la délation donne force à la calomnie et déborde la juste mesure d’une justice délibérative, soucieuse de vérité, donc de distance à l’égard de l’empire des passions.
VICTIME
Emouvant, le témoignage authentique de la première personne concernée, Samantha Geimer, mérite le respect pour sa grandeur d’âme. Elle déplore le procès médiatique fait à l'homme qui l'a violée en 1977. Lisons : "Une victime a le droit de laisser le passé derrière elle, et un agresseur a aussi le droit de se réhabiliter et de se racheter, surtout quand il a admis ses torts et s'est excusé". Alors oui, le César du meilleur réalisateur est pleinement mérité par Roman Polanski, cinéaste admirable qui comme tous les vrais artistes sait atteindre le sublime. Dans l’évocation des tragédies historiques issues de l’antisémitisme, son film « J’accuse » (2019) côtoie son autre chef d’œuvre « The Pianist » (2002), lui aussi bouleversant. La justice, comme institution et comme exigence morale, nous permet de le reconnaître. La juste lutte pour l’émancipation des femmes, mesure authentique de l’émancipation générale, mérite autre chose qu’un ressentiment sempiternel et réactif. Ne méconnaissons ni la présomption d’innocence ni la liberté la plus fondamentale de tout être humain : celle de se redéfinir.
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