Sommet moscovite imaginaire, par David Bensoussan
En vue de faire un bilan de la situation, le président Poutine demanda à rencontrer les leaders russes pour écouter leurs conseils et leurs doléances. Il commença par un rappel historique.
« Le président Gorbatchev a bradé notre pays en 1990. Sa vision de l’avenir des relations avec les États-Unis était utopique. La Russie est sortie diminuée à la suite du démembrement de l’Union soviétique et depuis, elle cherche à retrouver un équilibre dans le nouvel environnement international. Lors de l’attaque des tours de la Bourse à New York le 11 septembre 2001, j’ai été le premier à appeler le président G.W. Bush et lui ai proposé mon aide et la collaboration dans la lutte antiterroriste.
Néanmoins, le président Bush décida d’occuper l’Irak malgré notre opposition et nous a fait perdre plusieurs dizaines de milliards de contrats, tout comme ce fut le cas après l’évincement de Kadhafi en Libye par la suite. Nos intérêts géopolitiques et économiques ont été totalement ignorés.
Lors de la réunion de la conférence de Munich sur la sécurité en 2007, je me suis prononcé contre un monde unipolaire et ai précisé que l’élargissement de l’OTAN en Europe de l’Est est une provocation. Mon discours a été ignoré et l’OTAN a continué son expansion à l’Est, mettant en danger notre sécurité. En 2008, j’ai eu l’occasion de souligner au président Bush que l’Ukraine n’est pas un pays. J’ai ordonné par la suite l’occupation de 20% de la Géorgie qui voulait devenir membre de l’OTAN, puis la Crimée qui est aussi russe que Moscou l’est. Des sanctions ont été prises par l’Occident depuis 2014. Elles sont gênantes, mais vivables.
Nous avons tiré de l’embarras le boy-scout naïf qu’était Obama qui a manqué à sa parole d’agir au cas où le régime syrien utiliserait des armes chimiques et en avons profité pour établir des bases militaires dans ce pays en 2015. L’infatué président Trump était sensible à la flatterie ; sa critique de l’OTAN a fait notre jeu. Nous avons travaillé à le faire réélire et il s’en est fallu de peu pour qu’il le soit.
La Russie a été ignorée et l’Europe revit le cauchemar de la Seconde Guerre mondiale. 10 millions d’Ukrainiens ont quitté le pays et ceux qui restent subir un traitement de grande défaveur. Il est vrai que les sanctions de 2022 touchent plus notre industrie, y compris l’industrie des armements et de l’extraction d’hydrocarbures. Il faut s’atteler à reconstruire et à moderniser l’industrie. Seule une Russie puissante est capable de se faire respecter. Je rappelle que le monde entier dépend du dollar américain qui s’est taillé un statut d’extraterritorialité inacceptable.
Poutine conclut en rappelant que des retraites stratégiques avaient permis de solidifier l’armée et de prendre le dessus à la suite de l’invasion de la Russie par Napoléon puis par Hitler. Il cita l’adage russe : « Tomber est permis, se relever est ordonné. » Il en allait du futur de la Russie. Il insistait les personnes présentes fasse un tour de table qui soit bref et concis. »
Poutine invita tour à tour les ultras, les intellectuels, les industriels, les militaires, les pragmatiques et les attentistes. Ainsi se déroula cette assemblée ubuesque.
– Allez directement à l’essentiel !
C’est ainsi que Poutine invita les ultras à présenter leur point de vue.
Les ultras étaient tous membres du FSB. Ces derniers voulaient tout bombarder, pulvériser et même nucléariser. Ils se prononcèrent pour une guerre à outrance et se considéraient en état de conflit avec l’OTAN. Ces anciens collègues de Poutine du temps du KGB l’avaient poussé à intervenir militairement non seulement en Ukraine, mais également dans les pays du tiers-monde en vue de tronquer le monopole d’influence des anciens pays coloniaux.
Entre autres raisons économiques et géopolitiques, ils avançaient que l’Ukraine était ballotée entre pro-russes et pro-occidentaux et que la révolution Orange avait eu des revers. Les sympathisants prorusses l’emporteraient pour sûr si on leur donnait un coup de pouce. L’Amérique se désintéressait de l’Europe et du Moyen-Orient pour se concentrer sur la Chine et de plus, l’Europe dépendait totalement de l’approvisionnement en gaz russe.
En outre, lors du démantèlement de l’URSS, l’Ukraine avait hérité de 6000 tanks, de 600 avions et de deux porte-avions que les dirigeants vendaient à tout venant, les deux derniers étant cédés à la Chine et à l’Inde en échange de sonnantes et de trébuchantes qui furent investies dans des datchas dorées à 24 carats. Bien sûr, le FSB savait que la corruption avait également atteint l’industrie des armements et l’armée russe, mais il tenait à garder pour lui cette information en vue de faire chanter des gêneurs qui seraient tentés de succéder à Poutine.
Selon eux, les revers seraient dus à une maintenance et à une stratégie défaillantes. Ce faisant, ils pointaient les industriels et les militaires dont la moue était perceptible.
– Du Gogol et pas du Tolstoï !
En d’autres mots, Poutine invitait les politiques et les diplomates à être brefs. Ces hauts fonctionnaires voulaient également contribuer à la victoire militaire en Ukraine et serrer les rangs autour de Poutine.
Ils étaient férus de leurs connaissances, de leur culture et de leur maîtrise des langues étrangères ; leur suffisance était légendaire. Dans leur for intérieur, ils regrettaient que la Russie se soit coupée de l’Occident, car ils ne trouvaient pas la même attirance pour la culture des steppes de l’Asie centrale.
Il leur avait été demandé de faire en sorte que les communications officielles protègent les oreilles russes des médias occidentaux, ce qui n’était guère aisé à l’ère du village global. L’appel au patriotisme qui avait soudé la Russie en un même dessein par le passé fut la meilleure approche préconisée à cet effet. Ils exploiteraient donc le dicton de Pouchkine : « À la vérité ténue et plate, je préfère un mensonge exaltant. »
Ces bureaucrates en chef exécraient le FSB qui avait mené la Russie à la débâcle.
– Ne me chantez pas la Marseillaise des travailleurs !
Les représentants du complexe industriel et de l’armement se réjouissaient des commandes à venir. Ils critiquaient les opérations militaires plutôt que la vétusté de l’armement fourni à l’armée. Les industriels stipulèrent que la centaine de tanks promis par l’Occident ne faisait pas le poids avec la fabrication mensuelle de 40 tanks en Russie. À la longue, les Ukrainiens n’auront aucune chance. Ils rappelèrent que la plus grande bataille de tanks de l’histoire s’est tenue à Koursk. La Russie perdit cinq fois plus de tanks et six fois plus d’avions que l’Allemagne nazie, mais avait néanmoins remporté la victoire. Ils suggéraient donc de devancer l’attaque printanière contre l’Ukraine avant que les 50 000 Ukrainiens qui s’entrainent dans les pays de l’Ouest ne reviennent et d’augmenter la capacité de production à plein régime.
Par ailleurs, ils proposaient d’entamer une collaboration avec l’Inde, la Chine et même les Émirats arabes unis pour développer l’avion furtif du futur.
– Ne faites pas parader la marche du régiment !
Ce fut au tour des militaires de parler et ils étaient invités à le faire en toute sobriété. En regard de l’aide occidentale en armements à l’Ukraine, ils la jugeaient assurément lente ; elle prendrait beaucoup de temps à arriver et encore plus avant de devenir fonctionnelle. Toutefois, la prudence était de mise, car les leçons des premiers échecs militaires russes n’avaient pas encore été intégrées. Ils déploraient la qualité et la maintenance des armements.
Les militaires savaient que l’avancement dans l’armée priorisait la fidélité aux plus hauts gradés à la compétence et que la Russie en payait le prix maintenant. Ils taisaient cette réalité, cherchant plutôt à faire porter la responsabilité des échecs à des sous gradés.
– Au fait, au fait !
Les pragmatiques signifiaient qu’une victoire totale en Ukraine était à écarter et considéraient avec gravité le ressentiment antirusse des Ukrainiens qui suivrait les lendemains de la guerre. Ils déploraient le fait que la Russie se soit coupée du reste du monde et ne considéraient pas l’OTAN comme un problème frontal.
Il n’y avait plus grand-chose à espérer de l’Occident pour longtemps encore. Ils souhaitaient que la Russie devienne un exemple de réussite scientifique et économique et qu’elle s’incruste dans les réalités du tiers-monde, à l’exemple de la Chine.
– Pas d’états d’âme à la Dostoïevski !
Poutine savait que les attentistes étaient les idiots utiles du pouvoir ; leurs ambitions pouvaient toutefois s’avérer dangereuses. Ils maniaient la langue russe de façon à frôler des vérités sans les énoncer. Ils attendaient de voir comment le vent allait tourner, donnant raison à l’un ou à l’autre de façon bien dosée.
– Passons aux affaires pressantes.
Jusque-là cois, les renseignements militaires fournirent des indications relatives aux derniers développements. Les États-Unis et Israël ont fait un exercice conjoint en Méditerranée impliquant : 6400 soldats américains et 1100 soldats israéliens; plus de 140 avions, dont 4 bombardiers stratégiques B-52 et 40 avions israéliens ; six navires de guerre de chaque côté et des systèmes d’artillerie.
Israël avait résisté à la demande pressante des États-Unis l’exhortant à armer et entrainer l’armée ukrainienne. Israël tenait à conserver la liberté de manœuvre aérienne en Syrie pour s’en prendre aux convois armés de missiles de précision iraniens en direction du Hezbollah libanais. Cette entente israélo-russe risquait maintenant d’être remise en question du fait de la collaboration irano-russe dans la fabrication de drones et de missiles.
L’exercice israélo-américain se voulait être un avertissement à l’Iran qui se rapproche dangereusement de la fabrication d’une bombe atomique, mais plus encore à la Russie dont les bases militaires en Syrie pourraient faire l’objet d’attaque si la liberté de manœuvre israélienne était remise en cause. Le chef de la diplomatie israélienne se préparait donc à visiter l’Ukraine.
Poutine décida qu’il ne tenait pas à se mettre à dos les Israéliens qui constituaient une puissance régionale majeure au Moyen-Orient.
Quelle issue ?
Au terme de cet échange, Poutine congédia ses subordonnés et se mit à réfléchir en écartant de son esprit les accusations réciproques à peine voilées des interlocuteurs, lesquelles ne rendaient pas facile la prise de décision qui s’imposait.
Une question le tenaillait : l’Ukraine était-elle suffisamment affaiblie pour négocier au rabais un accord d’armistice ? Comment faire accepter une solution au public russe ?
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