«Félix et Meira», jamais deux sans torah
Une juive orthodoxe se décoiffe pour un Québécois paumé.
C’est un petit film qui marche sur la même ligne que beaucoup d’autres : un amour naît entre deux individus qui n’ont vraiment rien à voir l’un avec l’autre. L’ingrédient paraît usé jusqu’à la corde, il est la matière même d’un nombre ahurissant de films, de la comédie romantique sucrée au drame indé. C’est dans ce genre que peut se ranger Félix et Meira, du Québécois Maxime Giroux, lauréat du meilleur film canadien au festival de Toronto en septembre, en pleine frénésie post-cannoise deMommy.
Le film pourrait d’ailleurs être l’exact inverse de celui de Xavier Dolan tant il n’est jamais ici question de furie baroque ou de sentiments exacerbés, mais d’une modestie impressionniste. Félix est un homme paumé dont le père vient de mourir. Son seul projet immédiat est de dépenser consciencieusement son héritage. Il n’a ni femme, ni enfant, ni même d’ami. Meira a trop d’attaches. A son mari, à sa fille, mais surtout à sa communauté, la jeune femme n’ayant jamais quitté le milieu hassidique et son carcan oppressant : pas le droit d’écouter de la musique, de dessiner, et grosso modo aucune liberté individuelle accordée à la femme si ce n’est d’être une bonne mère et épouse.
Désarroi. Tout Félix et Meira repose sur la volonté de son auteur de ne pas faire un film à thème. Le désarroi des personnages, préexistant à leur amour naissant, n’est pas explicité. Maxime Giroux filme deux êtres qui sont moins opposés que détachés, évoluant dans des trajectoires parallèles sans aucune chance de se croiser. Et pourtant, c’est ce qui se passe dans les rues enneigées de Montréal. Félix et Meira se rencontrent par hasard, se découvrent avec réticence. Le film suit cette timidité, en fait sa fragile colonne vertébrale.
Justification. Dans le dossier de presse, Maxime Giroux dit : «En filmant, j’avais toujours le thème de la vulnérabilité et de la fébrilité en tête et, par-dessus tout, je voulais que la caméra aille chercher l’humanité des personnages.» C’est cette quête d’humanité qui fait le charme, et la maladresse, de Félix et Meira, cette croyance en un amour improbable qui dépasse tout obstacle et emmène ses héros de Montréal à New York et Venise. Maxime Giroux embrasse ses héros, le couple-titre comme les rares personnages secondaires, laisse à chacun sa part de justification, à l’image de l’époux de Meira, intégriste et moralement violent, qui va se dévoiler aussi perdu que tout le monde.
Deux scènes, les plus belles du film, sont en écho direct. Au cours de leur première nuit ensemble, Meira retire sa perruque, la coiffe que les femmes juives orthodoxes se doivent de porter en permanence, et se retrouve dans un état de virginité inédite. Puis, plus tard, suite à un drame, Félix se déguise, enfile la toque de fourrure typique des hassidiques, se colle une fausse barbe, pour l’apercevoir un instant, de dos, dans une fête. C’est candide, jamais niais, d’une simplicité attachante.
Félix et Meira de Maxime Giroux avec Hadas Yaron, Martin Dubreuil, Luzer Twersky… 1 h 45.
http://next.liberation.fr/cinema/2015/02/03/jamais-deux-sans-torah_1194913