Woody Allen, rire pour survivre
Ce digne héritier d'une longue lignée de juifs d'Europe de l'Est a apporté à la culture américaine son humour corrosif, son sens de l'autodérision et sa capacité à rire des pires calamités.
Les nouvelles de Woody Allen nous plongent dans un univers loufoque où l'absurde règne en maître. Pourtant, ses films, dans lesquels il s'amuse à camper les mœurs des intellectuels new-yorkais, névrosés et adeptes (comme lui) du divan du psychanalyste, sont d'authentiques plongées dans l'âme humaine. Capable de provoquer le fou rire du spectateur, Woody Allen le mène simultanément aux limites du tragique. Car dans son œuvre, les grands problèmes existentiels - Dieu, le malentendu entre les sexes, la maladie, la morsure de la culpabilité, la tyrannie du doute et, bien sûr, la mort - ne sont jamais très loin. Heureusement, l'humour lui permet de les tenir à distance.
Du mystere des origines
Pour comprendre où l'on va, il faut savoir d'où l'on vient ! La pensée juive s'interroge en permanence sur les origines, le point de départ de la vie, de l'être. Etre juif, c'est se poser des questions, nous dit-elle. Tout petit, Woody Allen a repris le flambeau de cette tradition. « Quand j'étais gosse, j'ai demandé à ma mère d'où venaient les bébés. Elle a cru que je disais les bérets. Et elle m'a répondu : Du Pays basque. Une semaine plus tard, une dame du quartier a donné naissance à des triplés. J'ai cru qu'elle s'était offert un long voyage à Biarritz. »
De l'existence de Dieu
« Nous n'avons qu'un seul Dieu et nous n'y croyons pas. » Woody Allen est pleinement en accord avec ce credo du judaïsme. « Je prenais du thé et des biscuits avec mon oncle. Subitement, il me posa cette question : crois-tu en Dieu. Et, si oui, combien crois-tu qu'il pèse ? Je ne crois pas en Dieu, lui dis-je. Car, si Dieu existe, pourquoi ce monde connaît-il tant de misère et de calvitie ? […] ». En tout cas, « si Dieu existe, j'espère qu'il a une bonne excuse. »
De l'utilite de vivre
La vie mérite-t-elle d'être vécue ? Toute l'œuvre de Woody Allen peut être considérée comme la recherche d'une réponse à cette question. « Un monument de souffrance, de misère et de solitude, et qui passe trop vite : grosso modo, c'est comme ça que je vois la vie », confie-t-il dans Annie Hall. Pourtant, à l'inverse du philosophe Arthur Schopenhauer, il n'est pas totalement désespéré. « Bon, certaines choses font qu'elles méritent tout de même d'être vécues : je commencerai par Groucho Marx », tempère-t-il, avant d'admettre avec sagesse : « Peut-être qu'au bout du compte, ce qu'il faut, c'est ne pas attendre trop de la vie. »
des hommes et des femmes
Lucide, il constate - après Freud - que l'amour porte d'emblée en lui une contradiction qui rend compte de l'impossibilité d'être heureux à deux : « Lorsque nous tombons amoureux, nous cherchons à retrouver nos parents à travers l'être aimé. Mais en même temps, nous lui demandons justement de réparer les torts que ces mêmes parents nous ont causés. » En outre, « le sexe et l'amour sont complètement opposés. Le sexe allège les tensions, tandis que l'amour les provoque ». Comment s'étonner alors du nombre de séparations mises en scène dans ses films ?
De la peur de mourir
« Il est difficile de faire l'expérience de sa propre mort tout en fredonnant une chanson. » Bref, quand on est vivant, on n'est pas encore mort ! « Ce n'est pas que j'aie vraiment peur de mourir, mais disons que je préfère ne pas être là quand ça arrivera », précise Woody Allen. La créativité est alors comme un pied de nez à cette mort qui rôde, et le cinéaste-écrivain avoue : « Je ne tiens pas à atteindre l'immortalité grâce à mon œuvre, je préfère y accéder en ne mourant pas. »
Isabelle TAUBES