Le Maroc et le foot
Quand on veut, on peut...
Le Maroc n’a pas décroché l’organisation de la coupe du monde de football qui aura lieu en 2026. Le résultat du vote a été sans appel : 65 pays (33%) ont voté pour nous contre 134 (67%) ont préféré le dossier du trio nord américain (États-Unis, Canada, Mexique). C’est une défaite honorable devant trois mastodontes, dont la première puissance économique mondiale, mais qui reste une défaite...amère.
Le Maroc présentait sa candidature pour la cinquième fois (1994, 1998, 2006, 2010, 2026). Nous avions déjà perdu contre les Etats-Unis en 1994, mais aussi contre la France en 1998, contre l’Allemagne en 2006, contre l’Afrique du Sud en 2010.
A chaque fois des parfums de scandale avaient entaché trois des quatre procédures de vote, ce qui conduisit le FIFA à revoir de fond en comble lesdites procédures, avec la permission donnée, enfin à toutes les fédérations de football, de pouvoir décider en lieu et place du board de l’organisation. La FIFA, sous la menace des coups de boutoirs américains, a procédé même à l’élection d’un nouveau Président à sa tête.
Cette fois-ci, la Fifa avait annoncé que ni l’Europe, ni l’Asie ne pourraient être considérées pour l’édition 2026 après les désignations de la Russie pour 2018 et du Qatar pour 2022.
Le Maroc avait alors annoncé sa candidature pour l’organisation du mondial de 2026, le 11 Août 2017, soit cinq mois après la déclaration d’intention de ses concurrents américains, qui eux, s’y étaient pris bien à l’avance, et étaient en discussion depuis 3 ans auparavant...
Malgré ce retard à l’allumage, le Maroc a pu rattraper le coup, et le dossier marocain reste tout de même honorable, au vu des moyens assez limités dont il dispose à l’heure actuelle. On peut effectivement relever les manques et le long parcours qui reste à faire, mêmes si des efforts importants, quoique insuffisants pour postuler à un tel événement, ont été réalisés depuis vingt cinq ans par le royaume...
A l’heure actuelle et après ce cinquième échec, il y’a lieu de se poser de sérieuses questions :
- Doit-on y aller une sixième fois, avec les mêmes promesses de faire, de réaliser, d’organiser, sans réelle visibilité sur les financements pour y arriver ? Ou
- Doit-on abandonner définitivement cette candidature à la candidature, au vu des autres urgences à traiter en priorité, avant d’y aller sérieusement de nouveau ?
Le Maroc a d’ores et déjà annoncé officiellement qu’il se portait candidat pour l’édition de 2030. Face à la Chine et au pool sud-américain qui se profilent et qui ont annoncé leurs prétentions futures pour organiser l’événement à cette date, la bataille risque d’être très rude...
L’organisation du mondial est un événement international important, qui met un focus stressant sur le pays organisateur, car soumis aux yeux critiques, voire inquisiteurs, de toute la planète. Au moindre couac, les conséquences peuvent être importantes et dommageables pour l’image du pays.
C’est aussi un "Big Business", dont la FIFA demeure le principal profiteur, au détriment du pays organisateur, qui se trouve souvent endetté, avec des retombées économiques aléatoires...
Maintenant on peut voir le sujet autrement, après un constat froid et serein. Certes le Maroc connaît d’énormes manques dans beaucoup de domaines, principalement sociaux, d’infrastructures d’accueil et de santé. Compter sur l’organisation de la coupe du monde pour éradiquer ces manques, est une vue de l’esprit tant le monstre froid qu’est le business du foot, n’aime voir que les réalisations concrètes sur le terrain, ainsi qu’une rentabilité à toute épreuve, avant de miser favorablement sur un pays en particulier.
Rattraper les retards relevés, au cours des douze prochaines années est possible, si toutefois on s’y met dès à présent, en désignant une "Task Force" de choc pour y arriver, et si toutefois cela s’accompagne d’une volonté irrévocable de lancer définitivement un programme de développement global, à l’échelle du pays.
Dans ce sens, je pense qu’il faut se poser un moment, sortir un stylo et une feuille blanche et commencer à rédiger une check-list énumérant sur une colonne tous les manques et sur l’autre toutes les solutions pour les combler, de manière concrète, mais pas en usant du fameux "Chafawi", ce regrettable vocable qui nomme cette fâcheuse habitude locale consistant à reporter la résolution des problèmes à plus tard, Ad Vitam Aeternam...
Le problème ne réside pas réellement dans les financements à mobiliser. Le souci est ailleurs. Il consiste à prendre la réelle mesure des manques existants, au vu des disparités criantes entre les régions ou les couches sociales, des manques en matière d’éducation, de santé, d’infrastructure routières, de transport aérien, d’accueil ou d’hébergement. Il faut un grand big bang pour remédier à cette situation désastreuse, mais non fatale.
Tant qu’on ne s’attaque pas sérieusement aux racines de nos insuffisances, on ne peut prétendre, amorcer sérieusement un jour le développement du pays. Et le développement ne se décrète pas. Il se pense, s’élabore soigneusement et se décline en stratégies à très long terme, tenant compte de tous les paramètres, sociologiques, économiques, politiques et surtout démographiques...
Et justement la démographie peu de décideurs locaux semblent s’en soucier. Pourtant c’est le véritable indicateur du dynamisme de toute société. La décortiquer, l’interroger, la scruter, permet d’avoir un certain nombre d’informations cruciales pour accompagner toute réflexion prospective...
Ainsi, la population du Maroc croit de 420.000 habitants par an, environ. Cette évolution semble se maintenir depuis 1981, même si le taux de fécondité ne cesse de diminuer, passant de 5,52 enfants par femme en 1982 à 2,21 enfants en 2014. Nous sommes bien loin de la moyenne de 7,2 enfants par couple, enregistrée en 1962, et qui fut palliée grâce à une efficace politique de planning familial, amorcée dès le milieu des années 60.
Nous serons donc quelques 40,52 millions d’habitants en 2030, dont plus de 80% de cette population sera urbaine. En effet le taux de population urbaine au Maroc est passé de 10 % en 1926 à 55 % en 1998, pour atteindre 60 % en 2014. Dès 2022 cette population urbaine attendra 75%, selon les projections du ministère de l’habitat et de l’urbanisme, ce qui représentera un réel défi en matière d’aménagements, de logements, de services...
En tant qu’urbaniste, je tire la sonnette d’alarme depuis un certain nombre d’années déjà, car nous ne savons plus répondre en matière de planification urbaine à ce formidable défi démographique. Nous continuons à penser la ville et les services y afférents, avec des règles d’urbanisme obsolètes, éculées, voire dépassées.
La ville est aussi le lieu privilégié de coexistence des forces vives du pays. Tout démarre et aboutit au niveau de la ville. Et nos villes sont le reflet de notre développement.
La ville marocaine est, et sera, un critère d’évaluation crucial, ainsi que le réceptacle de tout événement international futur, et tant que les 7 villes-régions les plus importantes du pays (Casablanca, Rabat, Marrakech, Tanger, Agadir, Fes, Meknès, Oujda) n’offriront pas des services irréprochables en matière de santé, d’éducation, de logement, de transport, d’accueil, on ne pourra pas parler sérieusement d’éligibilité efficiente au développement ou à l’organisation de quelque événement international d’envergure que ce soit : coupe du monde, exposition universelle, jeux olympiques...
Un seul décideur marocain a-t-il déjà fait, sans aide et seul, le parcours entre la descente d’avion, la prise du transport en commun, l’hebergement à l’hôtel, la visite des médinas, des rues, des restaurants, des cafés, des marchés, des hôpitaux... ou des toilettes des services publics ?
Et pourtant ce parcours des milliers d’étrangers et de touristes le font tous les jours aux côtés des marocains, et peuvent porter un jugement clair sur les insuffisances constatées et la perte de temps que nous occasionnent ces retards au développement. Donc c’est à un Tout qu’il faudra s’attaquer...
Ce ne sera pas facile, mais comme je dis toujours il n’y a pas de fatalité. On peut faire beaucoup de choses au cours des douze prochaines années, si la volonté de faire est au rendez-vous. Ne rien faire, par contre, serait purement suicidaire...
Rachid Boufous