Pourquoi parle-t-on d’une guerre imminente à Gaza ? (010510/18) [Analyse]
Par Sami el Soudi © Metula News Agency
Depuis mercredi matin, je suis sur le pourtour de Gaza. Je n’imagine pas que c’est en restant devant son ordinateur que l’on peut se faire une idée complète d’une situation. Si j’ai fait ce déplacement, c’est parce que la tension est sensiblement montée depuis la semaine dernière, lorsque les bandes armées de l’enclave côtière ont ajouté une centaine de grenades aux habituels engins incendiaires qu’elles précipitent sur Israël lors des émeutes du weekend. De plus, ces groupuscules islamistes ont envoyé un plus grand nombre de personnes se faire tuer au pied de la barrière de sécurité qu’à l’accoutumée.
Ces sacrifices humains s’accompagnent de tentatives nocturnes de franchissement de la frontière en vue de saboter les travaux titanesques de la construction de la barrière anti-tunnels que les Israéliens ont entrepris.
Ces actions ne font qu’égratigner les ouvrages en voie d’édification, mais tous ces signes n’échappent pas à l’attention des militaires de Tsahal. Ces derniers ont dépêché de consistants renforts sur le pourtour de la Bande, et j’ai croisé en chemin des dizaines de Merkava et d’obusiers autotractés en route vers le Sud.
Ceci dit, les points de passage d’Erez – pour les piétons –, tout au nord de Gaza, et de Kerem Shalom – pour les marchandises -, tout au Sud, tout près de l’Egypte restent ouverts. Et c’est même étrange, puisqu’ils avaient été fermés suite à la persistance des lancers de cerfs-volants et de ballons boutefeux sur la faune et la flore du Néguev.
Désormais les agressions sont plus nombreuses et dangereuses, mais la réaction des autorités israéliennes est moins vigoureuse qu’au début de l’été. La raison de cette retenue est double : d’une part, Jérusalem est conscient que ce n’est pas le Hamas tronc central, ou ce qu’il en reste, qui donne les ordres mais la quinzaine de factions indépendantes qui prennent ces initiatives. Frapper chaque fois le Hamas en représailles ne fait que renforcer ses ennemis ainsi que le chaos ambiant, ce qui n’est pas dans l’intérêt des Hébreux. D’autre part, la situation économique et humanitaire dans l’enclave palestinienne est alarmante. La faute, principalement au Hamas, qui après la confrontation de 2014 a utilisé toute l’aide internationale pour reconstituer son armement et ses infrastructures guerrières et non pour venir en aide à la population.
A Gaza, dans le califat islamique, les habitants sont effectivement considérés comme des pions au service du Djihad et non comme des personnes dont il faut subvenir aux besoins vitaux. On s’en sert pour provoquer les soldats, en tant que boucliers humains, et pour étaler leur misère devant les caméras des journalistes toujours très friands de ces images.
Les malades les plus gravement atteints sont envoyés se faire traiter à Beersheva en passant par Erez. Il y a quelque chose d’irréel à voir arriver ces centaines de personnes journellement, qu’attendent des dizaines de taxis médicalisés côté israélien, sans provoquer la curiosité du moindre photographe. Leurs enfants, à quelques kilomètres de là, balancent des grenades sur les soldats et eux vont se faire soigner, le plus naturellement du monde chez leur ennemi, qui les accueille et leur prodigue les meilleurs soins possibles, sans la moindre ségrégation relativement aux patients israéliens.
Le contraste est encore plus violent à Kerem Shalom, où l’on peut s’asseoir des heures durant à observer quotidiennement la noria des camions venant approvisionner la population de Gaza. Toutes les denrées qui lui sont nécessaires lui sont exclusivement livrées par "l’ennemi sioniste". Cela va des vêtements, à la nourriture, le fioul, jusqu’aux voitures de sport destinées aux fils des dirigeants du califat, qui ne ressentent aucune pénurie. Car ce n’est pas l’approvisionnement qui manque au peuple, mais l’argent pour se le payer. Particulièrement après le lâchage financier des pays arabes, des Etats-Unis et de… l’Autorité Palestinienne, las de soutenir une économie qui ne fait strictement rien pour prodiguer du travail à ses 80% de chômeurs.
Ce matin, j’ai été témoin d’un incident inhabituel à Kerem Shalom : quatre camions-citernes transportant du fioul pour la centrale électrique qui étaient parvenus dans la zone de transit ont rebroussé chemin par là où ils étaient venus. Renseignement pris, l’Autorité Palestinienne de Mahmoud Abbas a refusé de payer le prix du chargement.
Ramallah fait tout son possible pour accentuer les difficultés économiques de la Bande. Pourtant, après de très âpres négociations menées par l’envoyé des Nations Unies au Moyen-Orient, Nickolay Mladenov, le Qatar avait accepté d’acheter pour 60 millions de dollars de pétrole afin – ajoutés à l’allocation concédée par l’Autorité Palestinienne -, de faire passer l’électricité à disposition des Gazaouis de 4 heures par jour à huit. A la veille de l’hiver frais et humide dans la région côtière, occasionnant mille souffrances à la population, c’était une bonne nouvelle, mais si l’AP coupe sa participation, cela n’aura servi à rien.
L’antagonisme entre ce qui reste du Hamas et Ramallah est plus virulent qu’il ne l’a jamais été. Cela provient du fait qu’Abbas et son AP n’ont pas été conviés aux discussions du Caire entre des délégués d’une fraction du Hamas avec les Egyptiens et, indirectement, les grandes nations arabes, l’Amérique et Israël, concernant la mise en œuvre d’un vaste plan de développement de Gaza, y compris la construction d’un port artificiel, d’une centrale électrique, et d’un aéroport.
Bien que ce plan prévoie un rôle pour l’Autorité Palestinienne dans le contrôle des frontières, celui-ci est plus symbolique qu’autre chose. Tout le monde dans la région comprend que l’objectif de ce projet consiste à séparer la bande côtière de la Cisjordanie et d’un éventuel Etat palestinien, pour en faire une espèce de Singapour arabe démilitarisé. Cela rendrait inutile la construction d’une voie de communication ex-territoriale compliquée qui traverserait l’Etat hébreu, mais aussi, cela priverait un hypothétique Etat palestinien d’un million et demi de citoyens, n’en laissant que 2.7 millions à un futur Etat, dont circa 250 000 habitants de Jérusalem-est [2017], annexée par Israël, qui possèdent la nationalité de ce pays et n’ont pas l’intention de s’en départir selon tous les sondages publiés.
Dans cette situation, Mahmoud Abbas fait ce qu’il peut pour affaiblir Gaza tentée par le séparatisme, sur la base logique suivante (même si elle n’est pas exprimée officiellement) : ils veulent quitter la cause palestinienne et la trahir, il n’existe donc aucune raison que nous partagions les maigres ressources de la Palestine avec eux.
De son côté, le Hamas tronc traditionnel, qui voit son influence se comprimer de jour en jour, compte faire pression sur les Egyptiens en laissant augmenter les provocations contre les Israéliens et en ne faisant rien pour rendre l’existence des Gazaouis supportable.
En vérité, avec l’affaiblissement notoire de l’UNWRA, l’Office de Secours et de Travaux des Nations Unies pour les Réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient, soumise au bon vouloir du Hamas à Gaza, dû à la décision de Donald Trump de lui retirer l’apport financier américain, la quasi-cessation de paiements par Ramallah du salaire de ses fonctionnaires dans la Bande, et l’assèchement des autres sources de contributions, principalement le Qatar, le Hamas tronc traditionnel, le voudrait-il, n’a pas les moyens de contrôler ce qui se fait à Gaza.
L’effet le plus menaçant de ce qui précède est l’augmentation du paupérisme extrême, entraînant l’adhésion de davantage de miliciens volontaires dans les groupuscules armés, et l’idée illogique mais très islamique d’en découdre avec Israël, même s’il doit s’agir d’un conflit suicidaire, possiblement du dernier.
J’ai parlé des heures au téléphone avec des connaissances influentes à Gaza, et j’ai interviewé deux officiers supérieurs israéliens, qui m’ont tous dit qu’une guerre entraînant plusieurs milliers de morts, était pratiquement inévitable dans la contingence actuelle.
Tous m’ont dit que si l’une des milices parvient à "effectuer un gros coup" côté israélien, ou à générer la mort de plusieurs dizaines de Gazaouis à l’occasion d’un seul weekend d’émeutes, la confrontation deviendrait inévitable, et surtout, toutes les factions de l’enclave se joindraient au combat, y compris le Hamas tronc traditionnel.
Ce, même si Tsahal, sans le claironner sur les toits, a abandonné sa doxa consistant à affirmer que le Hamas était responsable de tout ce qui se passait sur le territoire qu’il est censé contrôler, et à le punir même si les agressions proviennent du Djihad Islamique, des Comités de Résistance Populaire, des salafistes, des adeptes d’Al-Qaeda, des pro-iraniens, et surtout, des milices dissidentes, ex-Hamas.
Le mode opératoire d’un conflit éventuel est le "fil en aiguille", soit une augmentation exponentielle des attaques et des répliques. Le détonateur est les émeutes du vendredi et du samedi, et la capacité des organisations armées à créer l’évènement "incontrôlable".
Je suis quelque peu moins pessimiste que mes interlocuteurs, car il existe également des milices, à l’instar du Hamas tronc traditionnel, qui perdraient tous leurs privilèges à l’occasion d’une guerre avec Israël. Ce, même si Yahya Sinwar, le leader contesté du Hamas tronc traditionnel, a affirmé à la Repubblica italienne cette semaine que "dans la situation qui prévaut, une explosion est inévitable". Il faut en tenir compte, même si la surenchère rhétorique est pratiquement une obligation à Gaza, pour ne pas donner l’impression aux autres milices qu’on est un poulet effrayé qui craint la mort et cherche à l’éviter.
On en saura plus cette après-midi déjà en observant l’ampleur des émeutes. Au sujet de l’éventualité d’une guerre, mon pronostic est 50-50. Et cela peut aussi bien être une "explosion" de quatre jours, pas forcément Armageddon.