LE YO-YO DU PETROLE
Par Dov Zérah .Ancien directeur général de l’Agence française de développement (AFD)
Il y a seulement deux mois, je vous ai parlé de la flambée du prix du pétrole.
Sur cinq trimestres, et jusqu’au début du mois d’octobre, le prix du pétrole n’a cessé de monter pour atteindre les 76$ le baril ; parallèlement, le prix du Brent a dépassé la barre des 85 $ le baril, record depuis la crise de 2008. Au cours de cette période, l’or noir a flambé certains jours avec des hausses de plus de 3 %.
Les pétroles se différencient par leur origine et leur composition chimique. Acronyme des forages pétroliers en mer du Nord, Broom, Rannock, Etive, Ness et Tarbet, le BRENT, aussi dénommé « brut de la mer du Nord », est la référence en Europe. Le baril « West Texas Intermediate » (WTI), constitue la référence américaine ; il a une teneur en soufre moins importante que celle du BRENT. L’Arabian Light est la référence saoudienne.
La hausse s’expliquait principalement par l’anticipation des marchés sur les effets collatéraux des sanctions américaines contre l’Iran qui étaient censées devenir effectives le 4 novembre. Les négociants prévoyaient une réduction de l’offre de 1,5 mbl/j, et anticipaient un prix du baril à 100 $. Pourtant depuis octobre c’est la dégringolade et deux mois après le pic, le prix du pétrole est légèrement au-dessus des 50 $ le baril et celui du Brent de la mer du Nord, au-dessus des 60 $ le baril.
Avant cette chute, Donald TRUMP n’avait cessé de la demander, notamment en faisant pression, une pression très forte sur les saoudiens et en se servant de l’affaire du journaliste américano-saoudien Jamal Ahmad KHASHOGGI, mais la baisse ne résulte pas d’une augmentation de l’offre saoudienne mais d’une décision du président américain, lui-même.
En effet, nonobstant les sanctions à l’égard de l’Iran, il a autorisé les exportations iraniennes d’hydrocarbures à destination de certains pays dont la Chine, l’Inde, la Grèce, l’Italie. Autant dire que Donald TRUMP s’est déjugé et il serait opportun de savoir ce qu’il reste des sanctions américaines à l’égard de l’Iran et de la politique américaine vis-à-vis de ce pays.
Depuis, pour enrayer la baisse, les pays de l’OPEP et ses partenaires, au premier rang desquels la Russie, ont décidé de réduire l’offre de 1,2 Mbl/j.
Plusieurs déclarations et prises de positions ont alimentées le débat et les incertitudes des marchés, ce qui est peu propice pour les opérateurs :
– Le ministre saoudien de l’énergie a déclaré que le président américain « n’est pas en mesure de dicter sa conduite à l’OPEP »
– L’Arabie Saoudite, de son côté, invite les pays importateurs à diminuer leur fiscalité sur les hydrocarbures pour compenser les éventuelles hausses des prix aux consommateurs, ce qui renvoie notamment au débat français.
– Le président Vladimir Poutine, de son côté, a déclaré qu’un cours de 60 $/bl était suffisant pour la Russie.
Tout cela n’est pas favorable aux marchés et accentue leur fébrilité, leur volatilité ; certains opérateurs n’hésitent pas aujourd’hui à prévoir rapidement un baril à 100 $ à cause du conflit entre le gouvernement irakien et les indépendantistes kurdes.
Après la guerre d’Irak, les évènements au Venezuela, les sanctions à l’égard de l’Iran, la guerre civile en Syrie, le développement de la production des schistes bitumineux…la géopolitique du pétrole a profondément évolué depuis une quinzaine d’années, comme je vous l’indiquais le 25 novembre.
Ainsi, après être devenu le premier producteur mondial de gaz devant la Russie, les Etats-Unis ont dépassé, en 2014, l’Arabie Saoudite comme premier producteur mondial de pétrole et sont sur le point d’être le premier exportateur.
L’Agence Internationale de l’Energie attendait ce virage pour la fin de la décennie, il est arrivé plus tôt que prévu.
Rappelons que les Etats-Unis retrouvent la position qu’ils avaient jusqu’en 1940, avant la mise en exploitation du pétrole saoudien. Cette évolution a été rendue possible grâce au gaz de schiste et au progrès technologique qui font régulièrement baisser le point mort de leur exploitation. Cette évolution de la situation américaine n’est pas de nature à favoriser les économies d’hydrocarbures ce qui va ralentir la transition énergétique de ce pays.
Au-delà, la volatilité des marchés pétroliers a des effets sur l’ensemble des marchés financiers. Depuis plusieurs semaines les bourses reculent pour plusieurs raisons :
– Les craintes pour la croissance mondiale, malgré les éléments positifs de la baisse du prix du baril et de la récente décision de la banque centrale américaine d’ajourner la hausse des taux programmée pour le dernier trimestre
– Les conditions de réalisation du BREXITt. La décision de la Première Ministre britannique de reporter le vote par crainte d’un échec, alimente l’appréhension de l’absence d’accord avec l’Europe
– La situation italienne et les divergences avec la Commission Européenne.
Plus généralement, les marchés n’aiment pas les incertitudes et elles sont nombreuses, très nombreuses aujourd’hui. Il est grand temps que les principaux responsables se réunissent pour adapter les anciennes règles de la gouvernance mondiale ou en définissant de nouvelles.
Dov Zerah
Dov Zerah est diplômé de l’Institut d’études politiques de Paris, possède une maîtrise de Sciences économiques de l’université de Panthéon-Sorbonne, est ancien élève de l’École nationale d’administration (ENA, Promotion Voltaire (1980) et auditeur de l’Institut des hautes études de défense nationale
De 1993 à 1999, il occupe des postes de direction de cabinets, cabinets des ministres de la Coopération, puis de l’Environnement, puis du commissaire européen chargée de la recherche, de l’innovation, de l’éducation, de la formation et de la jeunesse. De juin 1993 à novembre 1995, il est directeur délégué à la direction générale de la Caisse française de développement (CFD), qui deviendra l’AFD.
Dov Zerah a enseigné à l’Institut d’études politiques de Paris (Sciences Po), à l’Institut supérieur du commerce (ISC), ainsi qu’à l’École des hautes études commerciales de Paris (HEC).
Il a également trouvé le temps d’écrire sept livres et plus d’une centaine d’articles.