Elections Europeenes : Allons Enfants
Ou de la nécessité de rendre notre système réellement démocratique
Par Sophie Caillaud
Le constat qui a conduit à la naissance d’Allons Enfants aux élections municipales de 2014 est valable à toutes les échelles : les jeunes sont sous-représentés en politique. Cette sous-représentation est préjudiciable à toute une génération qui ne peut pas faire entendre sa voix et participer à la prise de décision, mais aussi à l’ensemble de la population qui se prive du regard neuf, dynamique, innovant, d’une tranche d’âge mobilisée autour d’enjeux d’avenir. C’est pour cela qu’après les élections municipales, nous avons présenté une soixantaine de candidats aux élections législatives de 2017 et que, cette année, nous nous lançons dans la course pour les élections européennes avec une liste de 79 candidats de moins de trente ans.
Nous nous sommes lancés dans cette campagne mus par notre volonté de faire bouger les choses, de prouver que la politique n’est pas réservée aux professionnels et que tout citoyen, quel que soit son âge, peut s’engager et se faire entendre. Toutefois, nous nous sommes heurtés à la réalité du terrain et nous devons le reconnaitre : le système démocratique français tel que nous le connaissons est issu d’une époque où deux partis de masse se partageaient le pouvoir en alternance à chaque mandat. Ce temps est révolu, pourtant le système n’a que peu évolué. Qu’il s’agisse de la répartition du temps de parole dans les médias ou des règles de financement et de remboursement des campagnes, peu de choses sont faites pour faciliter la candidature de mouvements de plus faible ampleur. Toutefois, malgré tous les obstacles, nous avons pu déposer notre liste et nous irons jusqu’au bout pour faire résonner la voix des jeunes lors de cette campagne européenne.
Avant de prendre les rênes de cette aventure, nous étions loin d’imaginer à quel point une campagne politique repose sur l’argent. Les moyens faramineux des grands partis imposent des normes financières sur lesquelles les partis plus modestes ne peuvent pas s’aligner. Pour les électeurs, qui ne voient que la partie immergée de l’iceberg, il est naturel que tous les partis affichent de tels moyens, qui manifesteraient leur légitimité à se présenter. A contrario, un parti montrant des limites financières et ne pouvant pas se payer le luxe d’organiser un meeting au Trocadéro ou dans une salle de congrès de plusieurs centaines de places est perçu comme moins important, moins sérieux. L’aspect « artisanal » d’une campagne est regardé avec amusement, parfois avec mépris, par ceux qui oublient l’essentiel, la raison d’être de la politique : les idées.
Considérez un parti composé uniquement de jeunes, sans financement autre que leurs bourses respectives, devant faire face au coût des tracts, affiches, location de salles, local de campagne, professions de foi envoyées par courrier à tous les électeurs, bulletins mis à disposition dans tous les bureaux de vote… Comment rivaliser avec les « gros partis » dont les budgets de campagne s’élèvent à 7 chiffres ? La somme que nous espérons récolter peut paraitre ridicule, mais elle nous permettra de mener une campagne digne de ce nom. Elle reste néanmoins compliquée à atteindre.
Des aides publiques existent, mais sont réservées aux partis plus importants puisqu’elles sont versées en fonction des scores aux dernières élections. Aucune subvention pour les plus petits partis, là où le PS, en 2017, avait obtenu près de 25 millions d’euros et La République en Marche 22 millions en 2018. Comme nous n’avons aucun élu à l’Assemblée nationale et encore moins au Sénat, nous ne pouvons compter que sur les dons de nos membres et des citoyens souhaitant nous soutenir. Etant donné que la plupart de nos membres sont étudiants et jeunes actifs, leurs contributions restent modestes, bien que défiscalisées à 66 %. Les banques refusent de nous accorder des prêts, de peur que nous n’atteignions pas le seuil de 3% qui nous permettrait de les rembourser. Et pour contracter un emprunt, encore faut-il avoir un compte en banque. Il n’est pas rare, pour une petite structure, de se voir refuser l’ouverture d’un compte par les établissements bancaires. Dans ce cas, la seule solution est de faire appel à la Banque de France qui, au nom du droit au compte, peut obliger une banque à s’exécuter.
Malgré tous ces obstacles, nous n’avons pas abandonné et avons réussi à monter notre propre plateforme de financement participatif pour permettre à tout citoyen souhaitant soutenir notre démarche de nous faire un don (https://crowdfunding.partiallonsenfants.org). Car l’argent reste « le nerf de la guerre » : c’est aux partis d’imprimer les tracts, les professions de foi, mais aussi les bulletins de vote eux-mêmes qui seront répartis dans les différents bureaux de vote le jour du scrutin. Un million de bulletins de vote nous coûtera entre 15 et 20 000 euros. Or, il nous faut un million de voix pour atteindre les 5%.
Ainsi, notre système électoral est encore largement perfectible pour permettre un réel pluralisme politique et l’expression des différents courants d’opinion. Notre démocratie a été pensée pour répartir l’audience entre les partis de masse dans une logique de bipolarisation de la vie politique. Il est temps désormais que le système électoral s’adapte aux évolutions de notre structure démocratique et permette aux idées nouvelles d’émerger et de s’épanouir sans contrainte financière ou d’audimat. Il est temps de rendre notre système réellement démocratique.
Sophie Caillaud