Le nom de famille Hannoun appel des précisions.
La racine consonantique sémitique Ḥ-N-N est commune à divers noms de famille, qu'il s'agisse de ramifications hébraïque, musulmane, voire chrétienne comme c'est le cas au Liban. Cf. le père Andraos Hannoun, prêtre chrétien maronite qui a créé une base de données généalogiques :
Cette racine Ḥ-N-N est à l'origine de mots et de noms propres dans les langues sémitiques voisines que sont le phénicien, le cananéen, l'hébreu, l'arabe, l'araméen... La signification de base est « grâce » dans son acceptation hébraïque.
Selon le contexte de la langue d'usage (phénicien, syriaque, hébreu, araméen, arabe...), le sens rendu est cependant sensiblement différent, ainsi que le recense Richard S. Tomback dans son ouvrage "A comparative Semitic lexicon of the Phoenician and Punic languages", page 109, consultable sur Google Books .
Plus précisément, la racine Ḥ-N-N (hébreu : ח-נ-נ ; arabe : ح-ن-ن) est une racine trilitère / triconsonantique qui trouve son origine dans les langues phénicienne et punique sous la forme du verbe ḤN au temps du parfait, qui signifie « accorder une faveur ».
La racine Ḥ-N-N a donc donné le mot « hannoun » en arabe (ح-ن-ن) - le « -oun » ayant valeur d'augmentatif - qui peut se traduire par « très tendre », « compatissant ». Deux significations de base peuvent ainsi être discernées dans le terme « hanàn » : (1) aspirer à, désirer quelque chose ou quelqu'un ; (2) éprouver de la tendresse ou de la compassion.
En revanche, en hébreu ce Ḥ-N-N véhicule la notion de la « grâce », sens différent de celui de l'arabe.
On trouve dans le Tanakh des occurrences de cette racine trilitère Ḥ-N-N graphiée חַנּוּן en hébreu et translittérée dans diverses langues occidentales en channûn (khan-noon’) - le ch- / kh- se prononçant comme la jota espagnole -, qui est le plus souvent rendue par «hannoun» en transcription romanisée française.
On relève ainsi une translitération du Tehilim 111 (psaume 110), verset 4b, avec une graphie exacte en «hannoun» de l'adjectif חַנּוּן à la page 1 de l'ouvrage "Chrestomathie hébraïque" de Jean-Baptiste Glaire, professeur à l'Ecole des langues orientales au XIXe siècle, publié à Paris par l'imprimeur Eberhart en 1834 et consultable sur Google Books à l'adresse :
Cette translittération de 1834 donne donc « hannoun verahoum Yehôvâ ». La classification Strong's de l'hébreux biblique référence au numéro H2587 le mot hannoun / חַנּוּן et donne en équivalence de la traduction de la Bible dite « King James Version » (ou KJV), toujours en usage dans le culte anglican : « The LORD is gracious (H2587) and full of compassion. » Traduction qui se fonde sur l'hébreu biblique du Tanakh massorétique comme l'a souhaité le roi Jacques d'Angleterre au XVIIe siècle, initiateur de cette entreprise.
Cela n'est en revanche ni le cas de la Septante, ni de la Vulgate, qui utilisent sur une composition en grec ou en latin et dont les traductions rendent le sens hébraïque de חַנּוּן de manière très éloignée. L'adjectif « hannoun » a ainsi étrangement dérivé vers « miséricordieux » dans la Vulgate latine. Ainsi l'exemple du Tehilim 112 (psaume 111), verset 4b (qui est en miroir du Tehilim 111 précité) : le texte originel est rendu dans la Vulgate latine par « Exortum est in tenebris lumen rectis: misericors, et miserator, et justus », qui est finalement traduit en français par : « La lumière se lève dans les ténèbres pour les hommes droits, pour celui qui est miséricordieux, compatissant et juste. » Dans sa traduction du Livre des Psaumes, André Chouraqui reste beaucoup plus proche de la langue hébraïque et redonne son sens au mot hannoun / חַנּוּן comme c'est le cas pour le Tehilim 111, verset 4b : « Il mémorise ses merveilles, graciant, matriciel, IHVH-Adonaï ! »
Vous trouverez la classification Strong's H2587 au lien : https://www.blueletterbible.org/lang/lexicon/lexicon.cfm?t=kjv&strongs=h2587
En langue française, la traduction dans l'édition de la Bible du semeur (BDS) se rapproche elle aussi du sens initial de l'adjectif hébraïque biblique hannoun/ חַנּוּן : « L'Éternel est compatissant, et il fait grâce. »
La formule « וְרַחוּם יְהוָה חַנּוּן » translittérée par Jean-Baptiste Glaire (cf. plus haut) en «hannoun verahoum» est une formule consacrée classique dans l'Ancien testament dont la première occurrence apparaît dans Exode 34:6, dans le passage où Dieu énonce à Moïse son nom, transcrit par le tétragramme YHWH. La KJV l'a traduit, comme retranscrit plus haut, par «Dieu est gracieux et plein de compassion». L'adjectif «gracieux» correspondant à hannoun / חַנּוּן et « plein de compassion » à verahoum / וְרַחוּם .
Pour en revenir brièvement au patronyme Hannoun, le sens hébraïque en est donc substantiellement autre que l'acceptation arabisante porteuse justement du sens de « compassion » et qui, dès lors, aurait dû inciter les familles juives à opter pour l'adjectif "rachoum" .
Plus généralement, dans les sources bibliques, on retrouve ce "chanûn" dans : Exode 22:27 ; Exode 34:6 ; le second livre des Chroniques en 30:9 ; Néhémie 9:31...
L'adjectif « hannoun/chanun » porte donc l'idée de la grâce au sens où Dieu est un père matriciel infiniment gracieux (cf. la traduction d'André Chouraqui précitée) : il donne sans limite et sans compter au genre humain, sans attendre aucune contrepartie en retour. Chanûn/hannoun correspond au cinquième des treize attributs de la miséricorde de YHWH énoncés en Exode 34:6. Cf. l'article correspondant sur Wikipedia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Treize_Attributs_de_Dieu
Point intéressant qui souligne par ailleurs que les familles juives d'Algérie portant le patronyme graphié Hannoun s'inscrivaient dans la langue hébraïque biblique et non pas dans l'arabe littéraire ou dialectal (même s'il s'agissait de la langue courante en Algérie avant l'arrivée de la France), la France a rapidement instauré un registre d'état civil, devenu obligatoire pour les sujet indigènes de l'empire français de confession juive dès 1830 pour les inhumations, et dès 1836 pour les naissances. Or, ne sachant pas signer en français en écriture romane les actes d'état civil, les Hannoun de Constantine graphiaient leur patronyme non pas en arabe mais bel et bien en hébreu cursif. Il est facile de le vérifier sur le site des Archives nationale de l'Outre-Mer, et tout particulièrement pour la ville de Constantine d'où viennent la très grande majorité des Hannoun dont le nom a été translittéré dans l'état civil avec deux « n », justement comme dans l'ouvrage de Jean-Baptiste Glaire de 1834 cité plus haut.
Pour donner un exemple, c'est le cas dans l'acte de naissance de Fredj Hannoun, déclaré en 1868 à Constantine par son père Aaron Hannoun, qui signe donc en hébreu cursif les actes officiels. Sa signature se trouve en bas à droite du document. Point intéressant qui corrobore et atteste doublement de cette graphie cursive hébraïque du nom de famille Hannoun, immédiatement à gauche sur cet acte de naissance, la signature de son frère Khalfa, présent comme témoin devant l’officier de l’état civil de Constantine. Tous les deux signent bien Hannoun par חנּוּן : cf. http://anom.archivesnationales.culture.gouv.fr/caomec2/osd.php?territoire=ALGERIE&acte=237446
Le sens du patronyme Hannoun / Hanoun dans son acceptation hébraïque est donc bien à distinguer de celui en usage dans les familles de langue arabe, qu'elles soient musulmanes ou chrétiennes.
Pour finir, les prénoms bibliques hébreux formés à partir de cette racine triconsonantique peuvent présenter un double aspect, théophore et non théophore (qui portent le nom divin YHWH). Tel est le cas de Anân ou Hanan, formé sur cette racine trilitère חנן (Ḥ-N-N) signifiant « grâce » et d'où provient « Anne » en français. La même racine H-N-N peut se décliner sous une forme théophore avec l'ajout des lettres YH de YHWH, ce qui a donné soit Ananie (הֲנַנְיָה, Hananiah), soit יוחנן (Yohanan). Ces deux prénoms signifient alors « grâce de Dieu ». En français, Yohanan est à l'origine de « Jean ».
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Lionel Hannoun