Compte rendu d'une conference au College Academique
de Netanyia
Nous pourrions
commencer par désigner les auteurs français qui ont
influencé la littérature francophone juive marocaine.
Je cite au hasard cette poésie de Paul Valery, le
cimetière marin.
« Ce toit tranquille où marche des colombes entre les
pins palpite entre les tombes.
Midi le juste y compose de feux la mer
La mer toujours recommencée.
Oh récompense après une pensée qu'un long regard sur le
calme des dieux. »
Voici la première strophe du cimetière marin
Quelle adéquation rêvée au deux sens de l'expression.
S'agit-il de l'Atlantique qui roule ses vagues
puissantes et fécondes ou la Méditerranée d'huile étale.
Cette terrasse qui surplombe la mer n'existe que dans
votre imaginaire.
Vous pouvez à la façon de David Hockney y croquez
mentalement le dessin d'une famille juive qui contemple
ses deux mille ans d'histoire au Maroc .
Il n'y a pratiquement pas d'écrit sur la vie des juifs
au Maroc particulièrement en ce qui concerne la période
a laquelle on peut y dater les premières traces .
Curieusement la vie juive au Maroc est très peu
documentée.
Pourquoi les Juifs du Maroc n'ont-ils pas écrit leur
histoire ?
Auparavant effectuons un bref retour en arrière de 2000
ans.
L'exode vers le Maghreb
D'où venaient-ils , comment sont-ils arrivés au Maroc,
ou s'y sont-ils établis, quels ont été leur rapport avec
les habitants de la région, quel métier exerçaient-ils ?
Sans documents ou presque, les réponses ne sont pas
faciles.
Imaginons qu'expulsés de leur terre natale par les
Romains après la destruction du deuxième temple de
Jérusalem, les Hébreux seraient venus essentiellement
par caravane.
Après avoir traverse les pays qui longent la rive Sud
de la Méditerranée , à savoir l'Egypte, la Libye, la
Tunisie, l'Algérie, ils arrivèrent finalement au
Maghreb , terme qui désigne jusqu'à ce jour le Maroc .
L'océan Atlantique signifiait la limite de ce voyage.
Ou se sont-ils établis ?
Le peuplement se fera d'abord sur les côtés puis dans
les contreforts montagneux de l'Atlas où les populations
peuvent se protéger des agressions venues de la mer. Il
est établi que les Juifs sont d'excellents guerriers
Ils ont réussi à résister aux légions romaines.
Certains d'entre eux ont peut-être dans un premier
temps exercé le métier de mercenaire et leur habilité à
guerroyer les a peut-être aussi aidé à s'imposer. Il n'y
a pas d'indication sur une confrontation avec les
peuples qu'ils vont y rencontrer.
Il s'opérera progressivement une démarche fusionnelle
assez frappante et les juifs deviendront au gré des
peuples qu'ils ont rencontré bergers, agriculteurs ou
pécheurs.
Ils rencontreront des Africains noirs qui
constituaient la première population autochtone du
Maghreb et des Berbères blancs qui les ont précédés.
Les paramètres de la démocratie
Judaïsme, implique immanquablement par la lecture
thoraique une forme incontournable d'alphabétisation.
Le judaïsme s'imposera sur le plan métaphysique en
introduisant le concept moderne du monothéisme. En
retour les Berbères suggèrent un modèle social ... Il
s'agit d'une organisation que l'on pourrait qualifier à
son tour de moderne.
Elle introduit des notions qui sont fondatrices de notre
système démocratique.
A savoir :
Une voix, un homme
Le partage des richesses et la proximité de la nature
Une forme d'égalité entre les sexes illustrées par la
présence de prêtresses
L'interdiction des sacrifices humains prôné par le
judaïsme est lui aussi un élément moralisateur de la vie
religieuse.
Nous sommes ici au coeur d'un débat inachevé.
Les points que nous avons évoqués contiennent nombres de
paramètres qui déterminent la problématique politique
et sociale en Israël.
L'ensemble des pays d'origine des citoyens israéliens
n'est pas issu de pays à modèle démocratique. Les Pays
Arabes, La Russie et ce que l'on appelait les Pays de
l'Est, ne parlons pas de l'Espagne de Franco ou du
Portugal de Salazar, deux chefs d'Etats qui ont bien
mérité leur nom de dictateur. Le meilleur est pour la
fin : Hitler et Mussolini. La majorité des citoyens
israéliens viennent de dictatures pour construire un
projet démocratique. Ils viennent de pays laïques pour
construire un État dont les fondements sont religieux.
Les Juifs du Maroc n'ont pas connu la Shoah et c'est un
peu comme s'il avait fallu leur faire subir la même
négation de leur identité , comme s'il fallait remettre
les compteurs à zéro.
Dadoun devient Daddon, Sebagh devient Segev, Ouaknine
devient Kenan.
La France qui administre le Maghreb reste une
exception.
La période noire de Vichy ne dure que 4 ans et, malgré
son ignominie, elle ne modifiera pas structurellement la
nature démocratique de la société française.Les lois
raciales au Maroc touchent les élites, pas le petit
peuple. Les juifs marocains maitrisent mal la langue
française. Au plus, ils ont une bonne gestion de
l'écriture du français. Ceci est vrai à 90% . Ils
parlent très majoritairement l'arabe.
Ils ne sont pas laïques et cuisinent les plats de leur
tradition arabe ou berbère.
La musique qu'ils écoutent ou qu'ils pratiquent est
arabo-berbère.
Ils sont d'ailleurs soumis jusqu'à ce jour aux lois du
tribunal rabbinique.
Le rapport qu'ils entretiennent à la francophonie est
double. D'une part, la défiance à l'égard d'une culture
et d'une langue étrangère, d'autre part une voie
d'émancipation.
L'absence de l'histoire
Le statut de dhimmi n'est pas enviable. Il perpétua une
humiliation constante.
La francophonie va consigner deux millénaires plus tard
la synthèse et finalement une histoire de l'identité
juive marocaine
Les livres dont l'ambition auraient été de rendre
compte de la vie juive au Maroc sont très incomplets et
ne répondent pas aux questions qu'une curiosité
élémentaire aurait pu générer.
Même lorsqu'il s'agit de rendre compte d'événements
récents, l'historien est vite confronté à une opacité
troublante... La conclusion très subjective et très
partielle de la nature symbolique de cette identité est
que contrairement à sa culture, à ses rites et, à ses
traditions, la construction de l'identité juive au Maroc
s'insère dans l'imaginaire.
La francophonie va tenter de raisonner, de classifier et
d'organiser dans une démarche inédite le mythe de la
juiverie marocaine . Elle sera au judaïsme marocain ce
que Platon sera à Socrate, un accoucheur qui pratiquera
la maïeutique nécessaire.
Les sociétés qui n'ont pas écrits leur histoire sont ce
que Lévi-Strauss qualifie de sociétés froides.
Voila ce que dit Lévy-Straus : « tout en étant dans
l'histoire, ces sociétés semblent avoir élaboré une
sagesse particulière, qui les incite à résister
désespérément à toute modification de leur structure,
qui permettrait à l'histoire de faire irruption en leur
sein. »
Cette refexion ajoute encore un peu plus de confusion à
l'analyse , sauf à penser que la névrose constitutive
d'une négation récurrente de l'identité juive au Maroc
va fonctionner comme une situation d'échec par rapport
à l'ambition légitime d'exister en tant que nation
symbolique .
L'héritage et la transmission de structures sociales
constituent les conditions préalables à l'identité.
Nous parlons d'identité et non pas de culture ou de
traditions.
S'il n'y a pas de transmission, il n'y a pas d'identité
ou alors l'identité est le mythe de Sisyphe.
Camus disait : "il faut imaginer Sisyphe heureux …"
Pourtant au Maroc
la composante hébraïque est centrale.Tout d'abord en
terme d'antériorité.
Les premières traces archéologiques du judaïsme au Maroc
remontent au deuxième siècle de l'ère chrétienne. Ces
traces sont contemporaines de la destruction du
deuxième temple de Jérusalem. Il s'agit d'inscriptions
sur les pierre tombales gravées en hébreu ou en araméen
ou des traces d'objet de culte.
La présence juive au Maghreb à cette échelle est alors
un fait nouveau.
Il y aurait donc eu durant les siècles qui précèdent
l'Hégire, l'avènement de l'Islam, une judaïsation du
Maghreb.
Etait-elle institutionnalisée ou fonctionnait-elle sur
un mode empirique et tribal ? La littérature évoque le
Royaume légendaire de la Kahena (Cohena). La légende
encore ici prime sur le fait historique. Son ampleur n'a
été ni documentée, ni mesurée, mais le judaïsme aurait
pu se développer sur une relative grande échelle.
À ce moment de leur Histoire, les habitants du Maroc
sont des Africains de race noire, de rite animiste,
métissés d'alluvions indo- européens et de rites
berbères polythéistes.
C'est ainsi que l'on retrouve avant l'ère chrétienne et
avant l'Hégire, une tradition africaine maraboutiste qui
va déteindre sur le rite orthodoxe juif. La célébration
des « hiloulot » et la vénération des marabouts en sont
l'illustration.
Cette tradition de complémentarité rituelle est un
exercice fréquent au Maroc qui conjugue les influences
culturelles, religieuses et spirituelles. La déviation
ou l'assouplissement du rite orthodoxe et la sur-dimension
de l'imaginaire s'expriment par la magie et les
superstitions.
Il y a dans l'histoire de la communauté juive au Maroc
trois facteurs déterminants : le statut de dhimmi,
l'expulsion des juifs d'Espagne par Isabelle la
Catholique et le fait colonial.
Il faudra attendre 4 siècles après l'arrivée des juifs
pour que l'Islam fasse irruption au Maghreb.
Les Arabes et l'Islam porteurs du message de la
rupture, (qui est le mot par lequel se traduit l'Hégire,)
vont assez vite y établir un système calqué sur le
califat. Il s'agit d'une conquête militaire, mais qui
s'accompagne d'un message prosélyte puissant. L'Islam a
adapté le message ésotérique et complexe de la pensée
juive à un pragmatisme social. La dimension novatrice de
l'Islam s'applique à la pratique concrète. L'Islam
devient une religion plus accessible qui peut
s'appliquer ici et maintenant ..
Le sort qui est réservé par l'Islam aux juifs et aux
chrétiens est scellé dans la qualification du statut de
dhimmi. Il implique en échange d'un impôt et de
l'acceptation d'une citoyenneté au rabais une forme de
protection sécuritaire.
Il est fait interdiction aux juifs de posséder la terre
et interdiction aussi d'exercer la plupart des métiers.
Interdits de travailler, soumis à des taxes élevées, la
conversion à l'Islam va se normaliser. Le processus de
conversion ne sera pas exhaustif.
Au moment de la colonisation française, la situation
sera stabilisée. La langue française qui s'exerce dans
l'administration coloniale va être à la fois celle de
l'occupant et celle d'un système politique qui esquisse
pour les juifs une promesse d'affranchissement . Bien
qu'il n'y ait pas eu au Maroc l'équivalent du Décret
Crémieux qui donnait sous certaines conditions la
nationalité française aux juifs d'Algérie, la présence
de la France au Maroc a été partiellement ressentie par
les juifs comme un moyen d'émancipation. Ce phénomène
d'affranchissement concerne d'abord les grandes villes
et surtout l'élite. Il s'agit d'un phénomène qualitatif
qui touche la perception du système social et
politique.Le judaïsme marocain peut-il s'accommoder d'un
système politique démocratique ou bien préfère-t-il
négocier son statut avec un système théocratique dans
lequel son identité est reconnue mais jugulée ?
Pour compléter le tableau, référons-nous à une page des
plus brillantes du judaïsme marocain et du judaïsme en
général. Revenons à 1492, date de l'expulsion des juifs
d'Espagne.
Le rayonnement d'une culture judéo-arabe à l'apogée de
Grenade est inégalée sur les plans culturel,
scientifique, architectural, moral et spirituel. C'est
Boabdil, le dernier sultan nasride qui remettra à
Isabelle de Castille les clefs de la ville de Grenade.
Les juifs d'Espagne ou Mégorashims de Castille, porteurs
d'un bagage culturel et politique moderne vont, en
émigrant vers le Maghreb, initier un extraordinaire
débat juridique, génériquement qualifié de Takanot et
Responsa. Ce débat porte encore une fois sur la
confrontation de deux conceptions politiques
antagonistes. A ce jour dans la loi rabbinique au Maroc,
les enfants issus d'un mariage mixte n'héritent pas de
leur père.
La confrontation des deux conceptions a ouvert partout
dans le Monde Juif un débat en profondeur qui fut
l'objet d'exposés brillantissimes. Lorsque l'on parle de
l'excellence du Rabbinat au Maroc, on se réfère aux
Juges du tribunal rabbinique. Il faut cesser de
présenter l'autorité religieuse juive marocaine comme
une confrérie cabalistique obscure et mystique. Ces
hommes porteurs de lumière car porteurs d'interrogation
et de questionnement étaient avant tout des juristes de
bon sens éclairés.
ORGON.
Et Tartuffe ?
DORINE.
Pressé d'un sommeil agréable,
Il passa dans sa chambre au sortir de la table,
Et dans son lit bien chaud il se mit tout soudain,
Où sans trouble il dormit jusques au lendemain.
Ce rapport a ete ecrit par
Claude Senouf. |