Extrait
de l'Ouvrage Le Fils de mogador
de David Bensoussan
(Les
Éditions Du Lys, 5170 Hingston, Montréal, Québec, H3X 3R4 Canada)
Tout
jeune, Alain prêtait l'oreille lorsqu'il se trouvait devant les boutiquiers
du Sok Jdid. À l'entrée des
boutiques aux tissus soyeux et odorants, il était toujours possible d'écouter
des conversations savantes. C'est que tout Mogadorien qui se respecte sait
tout et même plus. Les conversations qu'Alain appréciait le plus étaient
celles qui traitaient d'étymologie car tout était ramené à la Bible. Des
bribes de conversations éparses reviennent à la mémoire d'Alain alors qu'il
avait sept ans et qu'il attendait d'être servi à l'entrée des boutiques de
tissus de Sok Jdid, et que les
intervenants se servaient des verres de thé à la menthe bien chauds.
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L'Afrique porterait le nom de Épher, fils de Madian, le neveu
d'Abraham.
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Ne serait-ce pas la déformation de 'évér,
ou hébreu demandait Alain ?
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Que non, c'est l'Ibérie qui doit son nom aux 'ivri,
premiers navigateurs hébreux.
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Quant à l'Espagne, son nom vient de l'hébreu I
Shfanim, c'est-à-dire l'île aux lapins, nom qui lui fut donné par les
premiers colons Hébréo-phéniciens ;
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Les Arabes seraient un mélange ou une association de
peuples dont la descendance d'Ismaël fils d'Abraham ainsi que le signifie le
terme hébraïque 'arev signifiant mélanger.
Nos
compères pensent que la population du Maroc n'est qu'un amalgame de
descendants des trois branches issues de Noé : Sem, Cham et Japhet. À ces
premiers ancêtres viennent se greffer des populations cananéennes chassées
par Josué et celles des Philistins vaincus par le roi David. Les recoupements
linguistiques qui déferlent sont aussi troublants qu'effarants. La ville
marocaine de Ceuta tiendrait son nom de Sabta, fils de Couch et neveu de Cham.
Le cap Russadir signifierait Rosh Adir
soit Cap majestueux. L'Oued Draa dans le Sud marocain devrait son nom à la
ville biblique d'Édréi où régna Og le roi du Bassan et la région du Sous
devrait son nom aux Choussous de l'Antiquité qui seraient les Bené Shét de la Bible. Azemmour proviendrait de Zimrane l'un des
enfants d'Abraham et de Qetoura. Il y a des personnes qui peuvent se
gargariser d'une telle étymologie à longueur de temps. Tout y passe :
Tanger, Fès, Gibraltar, Ifrane, Sijilmassa et même Mogador dont le nom découlerait
de Migdal (Migdol en tenant compte
de l'accent phénicien) signifiant tour. De telles conjonctures donnent le
vertige mais certains semblent y croire ferme. L'origine des populations berbères
n'a également pas de secret pour nos amis. Les théories continueront d'être
élaborées tant et aussi longtemps que les théières brûlantes de thé à
la menthe circuleront dans le cercle d'amis.
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Les Berbères se considèrent comme des Amazig. C'est là
le nom de Dédan, fils de Shéba, rendu par Mézég dans la traduction araméenne
de la Bible.
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Le rapprochement de Sanhadja avec Zendj, signifiant
noir, est tout indiqué. Tout comme dans le nom de l'île de Zanzibar (le pays
de Zendj).
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Pour les historiens arabes, les Zenata sont d'anciens
Philistins.
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Les Chleus descendraient de la peuplade des Caslouhim
qui, selon la Bible, donna naissance aux Philistins.
Le
souk Jdid au début du XXe siècle
La
discussion continue sur la base berbère des différentes dynasties marocaines
: Sanhadja pour les Almoravides, Masmouda pour les Almohades, Zenata pour les
Mérinides. Les dynasties
saadienne et alaouite, toutes deux originaires du Sud marocain dans la région
de Zagora pour la première et du Tafilalet pour la seconde ont eu à leur tête
des chérifs qui seraient les descendants d'immigrants venus de l'Arabie au
XIIIe siècle. Cependant, lorsqu'il s'agit d'établir la provenance
de la langue berbère, les doctes de Mogador se trouvent à court d'arguments.
Beaucoup s'évertuent à aligner ensemble des mots berbères et tentent de
faire des rapprochements linguistiques avec les langues sémites ou indo-européennes
mais en vain. Ainsi, ils tentent d'aligner en série les mots berbères avec
leur équivalent hébreu, arabe ou latin en vue de faire des rapprochements
linguistiques : Aghroum, lehem,
khobz, pain ; agmar, sous,
'aoud, cheval ; anri, béér,
bir, puits; ergaz, ish,
rajel, homme ;
tamghart, isha, emra,
femme ; araras, dérékh, trik,
route ; tagartilt, shatiah,
hatsira, tapis ; tafroukht,
bat, bent, fille ; oho,
lo, la,
non. C'était la quadrature du cercle.
Qu'est devenue toute cette tradition orale ?
Balayée par la modernisation et la francisation, elle renfermait toutefois
des éléments véridiques et Alain se mit à regretter le fait que peu de ces
légendes aient été retranscrites et que peu de gens y aient trouvé un intérêt
certain. Les dissertations et les thèses sur l'histoire de France ont trouvé
bien plus de preneurs. Il se sentait tel le dernier des Mohicans. Dans les
boutiques de Sok Jdid, Alain avait
pris grand plaisir à enregistrer dans son cerveau d'enfant de telles
anecdotes jaillies du fin fond des encyclopédies orales. Il lui en est tout
de même resté quelque chose.
La « lampe magique » des conversations :
La théière…
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