Ribbi Moshé Yosséf ben Rafaël ben Éliahou ben Avraham Zénou, zatsal (le souvenir du juste est une bénédiction) est décédé ce 16 Tammouz (ce 10 juillet 1998, juste avant le chabbat) a été mon premier maître et père dans l’étude. Le 16 Tamouz est aussi le jour hébraïque de ma naissance !
Pour les lecteurs de Modia qui reçoivent au second degré son enseignement, je vais présenter brièvement, cette transmission qui vient jusqu'à eux. Qu'ils s'associent à sa famille et à ses proches pour demander avec nous l'élévation rapide de sa néchama (îlouï nichmato) dans la lumière de la Torah qu'il voit désormais clairement. En 1977, devant la perfection de sa lecture publique de la Torah, portée par une intériorité et une humilité constantes, j’avais sollicité de lui de m’enseigner les téâmim de la Torah et du Tanakh, part essentielle pour saisir tous les niveaux du sens, jusqu’à la mélodie des secrets les plus grands que sont les saints téâméï hattéâmim ; il était clair qu’il les tenait d’une tradition sûre et exigeante. Il m’a dit plus tard avoir demandé, pour m'enseigner, l’autorisation de son épouse Lisette, Âziza bate Sultana, zatsal, après lui avoir exposé ma demande. Délicatesse des couples juifs qui vivent dans la qéddoucha.
Je me suis alors assis à ses côtés, comme il avait appris lui-même, et j’ai écouté et répété inlassablement, repris impitoyablement après chaque faute, et cela jusqu’au dernier mois. Ainsi, bien qu'ayant appris auprès de lui, mon hébreu s'est laminé progressivement sous l'effet de la prononciation courante dans le melting-pot israélien et, dès le troisième mot, il me reprenait pour la prononciation incorrecte d'un ayine ou d'un 'héte. Conscient de la grandeur et du privilège de cette transmission, je recueillais ainsi, enregistrais et notais chaque fois non seulement les connaissances, mais aussi la technique de l'étude et de la mémorisation selon la tradition, et les règles résumées dans des moyens mnémotechniques araméens ou dans des gestes de scansion de la lecture individuelle du texte.
Ainsi, il communiquait la chaîne du chant de sa tradition séfarade originaire du Tafilalet (paracha, chant des offices du Chabbate et des fêtes, pioutim, modulation de la lecture d’étude de la michna, du talmud et du Zohar). Nombreux ont dû apprendre de lui, ou par son exemple.
Il m’a transmis aussi les téâmim séfarades de Jérusalem qu'il avait reçus de la bouche de Ribbi Avraham Haccohén, émissaire de la Terre sainte venu demander la tsédaqa et bloqué en Algérie en 1914 pendant la première guerre mondiale, quand... lui-même était enfant. Il était né, en effet, dans les premières années de notre siècle finissant.
Dans l'affection, il n’a eu de cesse que de me transmettre les enseignements gardés vivants dans sa mémoire et qui émergeaient par mes questions continues... jusqu’aux enseignements que son grand-père lui rapportait, reçus par lui des vieux sages qu'il avait lui-même connus. Cela nous faisait franchir les siècles. Emotions.
En effet, son grand-père, Ribbi Éliahou, était le fils de Ribbi Avraham Zénou, grand cabaliste et ami du tsaddiq et gaone Rabbénou Yaâqov Abou’hatséra, le grand-père de Ribbi Yisrael, dit Baba Salé.
Ainsi, par lui, par pure bonté gratuite du Ciel, j’ai ainsi entendu par tradition orale directe la vie quotidienne de ces Sages, leurs paroles et actes dont le peuple était témoin. Il y a quelques mois encore, en 1998, quand je l'écoutais, j'étais avec lui alors qu'il était alors jeune enfant, et je voyais avec lui la scène où il était présent : Ribbi Yits’haq Abou’hatséra de beau visage, fils de Ribbi Yaâqov Abou’hatséra et oncle de Ribbi Yisrael, assis par terre sur son tapis, étudiant et très exigeant envers le niveau de la tsédaqa apportée par les visiteurs pour les pauvres (ce Ribbi Yits’haq qu'il a vu est décédé en 1912 !...).
Une autre caractéristique, chez ces sages d'Afrique du Nord qui avaient gardé toute la tradition reçue (ce qui n'était pas le cas partout, dans les zones ou les familles touchées par l'assimilation progressive), c'était ce mélange de vie dans les bénédictions, l'humilité et la chaleur du coeur.
J’ai, souvent et très longuement, entendu les bénédictions au nom des Sages (Ribbi Chimêone bar Yo'haï, Ribbi Méïr baâl hannés, Ribbi Yaâqov Abou'hatséra, ou le récit de celles que les Sages disaient eux-mêmes, dans l’émotion d’entendre parfois me les rapporter jointes à l’invitation d’écouter : "mon fils...". C’est par cette voie qu'il m'a donné le bonheur de découvrir l’œuvre de Rabbénou Yaâqov Abou’hatséra, dont les douze livres couvrent le champ de la Torah aux différents niveaux, du talmud, de la halakha, de la morale et de la poésie avec le souci d’équilibre et de complétude que j'essaie de transmettre. Sa lecture et ses sources nous sont devenues quotidiennes. Je ne savais comment remercier ; c’est pour cela que j’avais dédicacé la première édition du Lév Gompers à Monsieur Moïse Zénou. Ces bénédictions qui étaient un flux continu parlaient toujours immédiatement des soucis que je portais sans même que j'ai eu à les lui exposer.
L'humilité m'apparaissait en ceci : j'avais appris en étudiant respectueux et, seulement depuis un an, sentant son âge avancer et la demande affective qui l'accompagne, j'osais lui apporter des perles qui lui plairaient et le soutiendraient, et je les avais trouvées souvent dans des livres difficiles de la tradition ; il continuait alors ma phrase et les citations en disant : "vous savez cela aussi maintenant !" alors que rien ne m'avait donné à penser qu'il les connaissait. Tout était intégré, pas dans les livres extérieurs mais dans la connaissance et la mémoire, puissante et vive après 90 ans. Beauté et jeunesse des Sages.
Il intégrait tout cela dans les récits et perles d’une tradition chaleureuse et familiale venue du Sud marocain puis du Sud algérien, émaillant de pittoresques proverbes en judéo-arabe ou en arabe. Il ajoutait : "il faudrait vraiment que je vous apprenne l'arabe pour que vous compreniez tout ce que j'ai à vous dire là".
Ses enfants, qu'ils soient bénis, assistaient avec affection au bonheur de leur père passionné à cette transmission.
Que sa tradition reste vivante pour toujours. Ce sera la meilleure récompense.
azeroual70@hotmail.com
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