Je suis née au Maroc, à Casablanca plus exactement. Française de nationalité et de culture, juive de foi et de tradition. J'y ai vécu 18 ans, jusqu'au moment d'aller faire mes études, mon bac en poche. J'habite aujourd'hui et depuis bientôt treize ans Paris....
Pourtant, au fil des jours, des mois, des ans, je reviens vers mes racines....
Vous allez me dire : "Et alors ? quoi de plus banal ?". Oui, c'est vrai, banal de revenir aux sources, de chercher à se trouver et à s'épanouir au sein de ce qu'on est...
Mais justement, qui suis-je ? Qui sommes-nous qui avons grandi là-bas, sur les plages marocaines ? Nous parlions français, on nous enseignait que nos ancêtres étaient gaulois. Nous apprenions par coeur les cartes de France. Pourtant, chaque jour, à chaque visage, nous découvrions le nôtre, l'amitié, l'amour, les valeurs, en arabe. Nous avons mangé marocain, bu marocain, aimé et détesté marocain. Et nous étions français, juifs. Nous ne posions pas alors de questions. C'était très simple. Nous y vivions, en citoyens heureux. Mais les interrogations ont jailli lorsque nos pieds ont embrassé le sol français. Alors même que nous croyions "rentrer" en France, nous quittions "la maison". Paradoxe. Comment rentrer chez soi quand on vient d'en partir ?
Il a fallu se résoudre à penser que "chez nous", c'était Nous. En nous. Nous tous.
Alors nous nous sommes cherchés, fréquentés, aimés...Nous avons recréé un univers un peu magique et tout à fait artificiel. Un monde de rescapés de "là-bas". Des "sans-pays". Ou des "deux-pays". Comme vous préférez. Peu importe d'ailleurs ! Ce qui compte, c'est qu'un jour enfin, on puisse penser que nous sommes "à la maison" de nouveau, et pour de vrai !
Certains ont craqué, sont repartis, les poings dans leurs poches vidées. D'autres se sont exilés plus loin encore...A l'autre bout du monde. Pour être sûrs cette fois qu'ils ne seront pas du tout chez eux et par là même pour ne plus se poser de questions. D'autres encore ont cherché à trouver Le pays qui serait un "autre Maroc"...Ils ont trouvé Israel. Enfin, les derniers ont décidé, d'un commun accord avec eux-mêmes, de ne pas s'interroger et de continuer...Je leur souhaite surtout de parvenir à ne pas se poser de questions longtemps. Car j'ai bien essayé ce système. Il ne fonctionne pas très bien...
Rien ne fonctionne que l'authenticité. Car ce besoin de Vrai, de Fort, nous le portons en nous. Il nous porte aussi.
Vous allez me dire, là, que je suis nostalgique et triste. Sûrement. Et pardon pour cette larme au milieu de nos éclats de rire d'enfants des blanches ruelles marocaines.
Je ne devrais pas écrire cela. Je devrais surtout penser que nous avons eu la chance de connaître l'odeur de la chaux de nos cabanons, celles des épices s'échappant des maisons aux portes laissées ouvertes, la chance de sentir ce léger rayon de soleil caresser nos joues sur le chemin de l'école, les étouffantes embrassades de celles que nous appelions nos "bonnes" (mot qui choque en France, n'est-ce pas ?), d'entendre leurs rires aigus et leurs coups de colère quand nous marchions sur le sol qu'elles lavaient pour la 10ème fois, le muezzin retentir dans l'air passionné du soir...Le goût du Coca-Cola local, plus fort et plus gazeux que tous les autres...
Oui, décidément, ce pays a un goût qui colle aux lèvres.
Martine Benzaquen
http://martine.org
Recette du
the a la menthe, par Arielle
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