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Juifs de France : une minorit? tr?s h?t?rog?ne

Envoyé par jero 
Juifs de France : une minorit? tr?s h?t?rog?ne
23 janvier 2007, 21:53
Juifs de France : une minorité très hétérogène

Intervention de Jean-Pierre Chemla à l'occasion de la célébration du nouvel an berbère, le 21 janvier 2007 à la salle Marcel Cerdan de Levallois-Perret.

Bonjour,

Je vous remercie de m’accueillir pour cette célébration du nouvel an berbère.

En m’accueillant en tant que représentant juif d’une association, par essence, laïque et républicaine, vous faites une démarche, porteuse d’avenir, annonciatrice d’une nation retrouvée où les identités ethniques, religieuses et culturelles seront reconnues et respectées, mais où la nationalité française devra rester prééminente. Croyez-moi : nous n’avons pas d’avenir commun autrement que réunis autour du drapeau de la République et adossés aux valeurs du fronton républicain : liberté, égalité, fraternité, auxquelles il faudrait désormais en rajouter une : laïcité. Je vous ferai circuler, en fin d’exposé, un appel allant dans ce sens, co-rédigé par deux amis, Arezki Bakir et Nafa Kirèche d’une part, et notre association, Primo-Europe, d’autre part.

Je ne suis pas historien et je ne suis pas particulièrement habilité à parler de l’Histoire des Juifs de France. Il est difficile, cependant, de ne pas se servir de la perspective de l’Histoire pour tâcher de comprendre la problématique des Juifs de France en 2007.

La minorité juive de ce pays a eu des rapports houleux avec le reste de la nation au cours de son Histoire, mais à l’arrivée, son intégration s’est faite sans difficulté. C’était vrai jusqu’il y a plus de six ans, lors du déclenchement de la seconde Intifada. Ca ne l’est plus tout à fait désormais.

A vrai dire, le terme «intégration» est impropre quand on parle des Juifs de France. Présents depuis l’Antiquité, certains Juifs de France ont des ancêtres dont on retrouve trace dès l’époque gallo-romaine. Des commerçants juifs fréquentaient alors le port de Marseille et sont à l’origine des communautés de Provence et de la vallée du Rhône, composées non seulement de Juifs exilés mais aussi de gallo-romains convertis.

Ailleurs, dès le Moyen-Âge, on assista au développement de nombreuses communautés juives bien intégrées avec un rayonnement intellectuel important comme à Narbonne ou à Troyes où le célèbre Rachi exerçait la profession de vigneron.

Cependant, les Juifs subirent rapidement des persécutions, surtout à partir des Croisades. Le roi Louis IX dit "Saint-Louis" fut à l’origine de la première marque distinctive destinée aux Juifs, la rouelle, petit cercle de tissu jaune dont le port était obligatoire. En 1244, on brûle le Talmud en place publique. Diverses mesures aboutissent, en 1394, à l'expulsion des Juifs du Royaume de France. Ne subsistent dès lors que les communautés provençales, sous la dépendance directe du Pape ainsi que celles d’Alsace et de Lorraine rattachées alors à l'Empire romain germanique.

Les communautés de Provence, dirigées donc par le Pape, subsistent, moyennant une série de conditions dégradantes : port d'un chapeau de couleur jaune, résidence obligatoire dans un ghetto fermé pendant la nuit, paiement de taxes spécifiques, obligation d'assister périodiquement à des prêches, en leur suggérant la conversion, etc.

L’Eglise préféra, plutôt que l’expulsion ou l’extermination, le maintien d’une petite communauté juive humiliée, en témoignage de leurs supposés crimes envers le Christ et la chrétienté.

Mais pour près des deux tiers, après 1394, les Juifs se trouvaient en Alsace et en Lorraine où leur sort y était globalement plus enviable. Non acceptés dans les grandes villes, ils développèrent un réseau de communautés rurales.

Aux 17e et 18e siècles, ce sont les régions du Sud-Ouest de la France qui accueilleront des Juifs portugais, officiellement convertis au christianisme. Ces commerçants fortunés et dynamiques participèrent à l’essor de la région mais aussi au commerce triangulaire de sinistre réputation.

La Révolution française fait enfin des Juifs des citoyens à part entière grâce à l’Abbé Grégoire et leur refuse, par la voix de Clermont-Tonnerre, le statut de nation : «Ne rien accorder aux Juifs en tant que nation ; tout leur accorder en tant qu’individus».

Puis vint Napoléon. En 1808, le décret de Bayonne leur impose l’obligation d’avoir un nom et un prénom. C’est le Consistoire israélite, voulu et créé par l’Empereur qui assurera cette tâche.

Le 19e siècle fut celui d’une forte immigration juive en provenance de l’Europe de l’Est, où l’antisémitisme s’accompagnait encore de persécutions. La France avait valeur d’exemple par sa capacité émancipatrice. Après l’annexion de l’Alsace-Lorraine par l’Allemagne en 1870, il y eut également un très important flux migratoire des Juifs de ces régions vers la France.

L’antisémitisme en France, moins violent que celui qui sévissait dans l’Europe de l’Est, y était plus sourd, se manifestant par la fameuse affaire Dreyfus. Cette affaire divisa profondément la nation mais n’entacha pas l’attachement des Juifs à la nation française comme ils le prouvèrent par leur engagement dans la guerre 14-18.

La forfaiture que fut le régime de Vichy qui participa activement à la Shoah des Juifs de France, et qui trahit donc le pacte républicain du Comte de Clermont-Tonnerre, ne vint pas à bout de l’attachement des Juifs à la nation française après la seconde guerre mondiale. Les survivants, Juifs français, du génocide n’en gardèrent comme séquelle, pour beaucoup d’entre eux, qu’un reniement de leur religion et un rejet de la croyance en Dieu.

Les grandes modifications géopolitiques de la décolonisation modifièrent considérablement la sociologie des Juifs de France par l’arrivée massive des Juifs d’Afrique du Nord dès les années 1950. De très minoritaires, les Juifs séfarades devinrent majoritaires pour constituer, de nos jours, 60% des Juifs de France. Les Séfarades sont, en principe, les Juifs d'origine espagnole. Dans ce cas précis, beaucoup d'entre eux voire la plupart, en réalité, sont d'origine berbère.

C’est sans doute là que se trouve un des premiers facteurs d’hétérogénéité de la population juive française.

Plus que de traditions et de cultures différentes, nous avons affaire à un vrai clivage entre populations ashkénaze et séfarade en raison de leurs histoires récentes respectives. Les uns ont connu la Shoah, les autres non. Les uns se sont toujours senti Français à part entière. Les autres ont dû faire un effort pour y parvenir. Les Juifs séfarades des années 1960 avaient quelque chose des immigrés actuels : sentiment de déracinement et de rejet de la part de la population autochtone. La fameuse sécularisation des Juifs de France n’est pas une notion si pertinente que cela quand on parle de Juifs séfarades.

Préoccupés par leur survie ou leur réussite matérielle, la religion occupait une place secondaire dans leur vie, d’autant que dans leurs pays d’origine, Algérie, Tunisie et Maroc, le rigorisme religieux était déjà peu pratiqué.

Une fois cette survie matérielle assurée, la deuxième génération des Juifs séfarades, en quête de plus de spiritualité et voulant se réapproprier sa mémoire, est sans doute à l’origine d’un attrait plus marqué pour la religion. Les yeshivot commencent à se multiplier, l’observance stricte du Shabbat se généralise, etc. Un autre événement géopolitique viendra exacerber cette situation nouvelle : la révolution islamique d’Iran et l’exportation mondiale de son idéologie. Vécue comme une menace, elle aboutira à la surenchère religieuse des deux autres religions monothéistes. L’orthodoxie juive connaîtra ainsi un nouvel essor.

A l’arrivée, on arrive à un groupe communautaire très protéiforme. La boutade veut «qu’il existe autant de Juifs que de manière de pratiquer le judaïsme». Ce qui est certain, c’est qu’on n’a affaire ni à une ethnie ni à une race. Il n’existe aucun déterminisme biologique malgré la filiation du judaïsme se faisant par la mère, filiation qui a dû être maintes fois contournée si l’on s’amuse à comparer les phénotypes de Juifs provenant d’Afrique du nord, d’Ethiopie ou de Pologne. Mais quoi alors ?

On estime à 20% la proportion de Juifs pratiquant la religion. Cela n’empêche pas les 80% restants, dans leur majorité à se sentir Juifs. Beaucoup retrouvent le chemin de la synagogue le jour de Kippour, plus pour marquer symboliquement leur attachement à ce peuple difficile à définir que par conviction religieuse.

D’autres ont pour référence le regard de l’Autre et ont le sentiment que c’est ce regard qui détermine leur judéité. N’existait-il pas, en Europe, un «problème juif» ou une «question juive» ? Quand on est un «problème» ou une «question», on ne peut s’empêcher de s’interroger sur sa propre identité. On peut tout aussi bien la rejeter avec force dans l’espoir de se fondre dans la masse et devenir ainsi un de ces «Juifs honteux», souvent parmi les plus véhéments envers leur communauté ou envers Israël. Rappelons la fameuse définition de Sartre : «la judaïté ne serait pas une «essence», elle n'aurait aucune existence «en soi», mais c'est seulement l'antisémite qui ferait le Juif». Rappelons enfin que le génocide nazi a redonné une impulsion à un judaïsme européen qui prenait, avant la guerre, la voie d’une douce extinction par l’assimilation des Juifs d’Europe.

Certains refusent d’être définis de la façon négative imaginée par Sartre et, attachés à l’idée de sionisme, soutiennent Israël au nom de valeurs de gauche, en tant que résultat d’un mouvement d’émancipation nationale.

Il existe un grand nombre de Juifs athées ou agnostiques qui revendiquent pourtant très fort leur statut de Juifs, considérant que la Torah est un livre révolutionnaire qui a soufflé au monde des valeurs universelles qui ont façonné les sociétés modernes et démocratiques. Ils sont attachés à leur statut de Juifs au nom de cette fameuse élection, si mal interprétée par des antisémites dont certains se veulent humoristes, élection qui n’est pas un privilège mais une responsabilité.

Judaïsme religieux, orthodoxe ou libéral, judaïsme politique ou philosophique, judaïsme ontologique, judaïsme vécu avec plénitude ou en creux : autant de catégories dans lesquels peuvent se retrouver les Juifs de France ou d’ailleurs.

Religieux ou non, les Juifs de France ont beaucoup évolué face aux événements de ces six dernières années. A tort ou à raison, ils ont considéré que la France était devenu un pays fortement antisioniste voire antisémite. Le néo-antisémitisme provenant des musulmans a provoqué, chez eux, une tendance à la radicalisation politique et, malheureusement parfois, à des comportements et des pensées racistes. Le mouvement d’Alyah, l’émigration vers Israël, a connu une très forte accélération.

Tel est donc, rapidement brossé, le tableau décrivant les Juifs de France dans leur diversité et dans leur complexité.

Personnellement, je fais partie de ces Juifs agnostiques qui se sentent cependant porteurs des valeurs essentielles d’un peuple ancestral. A ce titre, j’estime avoir une part de responsabilité vis-à-vis des générations futures, concernant la paix dans le monde, l’intégrité écologique de notre planète, la démocratie.

Pour parvenir à un monde meilleur, nous devons déjà comprendre qu’il n’existe pas de races, qu’il n’existe qu’une seule espèce humaine et que les communautés culturelles doivent dialoguer, se connaître et s’aimer.

Le peuple juif d’Afrique du nord et le peuple berbère ont une histoire commune, certains historiens spécialisés vous diront même que l’intrication va encore plus loin qu’un simple parallélisme. Je n’ai donc aucun mal, étant moi-même originaire de Tunisie, à me sentir chez moi parmi vous. Je n’ai donc aucun mal à vous soumettre cet appel que nous lançons, comme je vous le disais il y a quelques minutes, avec des amis, eux aussi berbères, afin que nous puissions développer l’idée selon laquelle la France laïque et républicaine est la plus grande idée développée pour réunir les hommes. Ne laissons pas cette idée se faire piétiner et ringardiser. Je vous invite, solennellement, à nous soutenir dans cette action décisive à l’approche d’échéances électorales cruciales.

Je vous remercie.

Remerciements à Thierry Jacob pour les références historiques
Re: Juifs de France : une minorit? tr?s h?t?rog?ne
23 janvier 2007, 23:13
Très belles paroles ..
Malgré vents et marées, persécutions, conversions forcées nous sommes toujours debout ...

<font color=green>Croassez et multipliez</font color>
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