À 50 ans, je suis incapable d'aimer une femme qui ne sache pas préparer le couscous
Laurent Sagalovitsch
Yann Moix en pince pour les Asiatiques plutôt jeunes. Moi l'âge m’indiffère du moment qu'elles savent cuisiner comme ma mère.
Vu mon physique des plus avantageux –petit, chauve, trapu– que vient sublimer un caractère irascible, hargneux et colérique, j’ai évidemment toujours eu et continue à avoir une vie amoureuse ô combien mouvementée. Même si, à la différence de Yann Moix, je me refuse d’apparaître à la télé, conscient des ravages que je pourrais commettre, je ne compte plus les sollicitations diverses et variées venues d’admiratrices prêtes à tout pour explorer à mes côtés les mille et un recoins de ma chambre à coucher.
Toutes prétendent m’aimer, toutes me promettent des délices exquis, toutes m’énumèrent leur pedigree, leurs aptitudes particulières, leurs excentricités savantes, leur délicatesse sauvage, quand elles ne me vantent pas l’étendue de leur patrimoine immobilier, la vastitude de leur compte épargne, la richesse de leur parc automobile, sans oublier d'insérer dans ces missives glissées sous ma porte ou dans ma boîte mail, quelques photos compromettantes où elles apparaissent dans des déshabillés affriolants.
Au hasard, j’en convoque quelques-unes. Elles viennent toutes apprêtées, vêtues de tenues distinguées qui laissent apparaitre la noblesse de leur rang. Voilà que nous minaudons autour d’un thé au jasmin et, au cours de ces conversations à bâtons rompus où se glissent parfois quelques remarques équivoques, promesses des plaisirs à venir. Dans le souffle du chuchotement des cœurs qui se confient leurs secrets les plus intimes, je sens monter en moi des ivresses ineffables. Peu importe leur âge, leur taille, leur poids, je les trouve toutes exquises et quand je sens notre complicité bien établie, lorsque dans leurs yeux ravis, je devine l’aveu de leur chair déjà conquise, entre deux dernières mignardises avalées en silence, à brûle-pourpoint, je leur demande comment elles s’y entendent pour préparer un couscous-boulettes.
Elles manquent de s’étouffer. Elles me demandent de répéter. Je m’exécute. Elles portent leur main à leur bouche, à leur cœur, tripotent machinalement leur collier, rectifient leur mise en pli, ajustent leur chemisier, dessinent dans l’air des arabesques qui sont autant de témoignages de leur perplexité latente. Brutalement, je les congédie. Je les avais crues peut-être juives, en tout cas bonnes cuisinières, manieuses de graines de couscous de génération en génération, ayant passé leur jeunesse dans les suaves parfums de barils d’huile d’olive alignés dans la cuisine familiale comme autant de trophées.
Je repars déçu, amer de m’être encore trompé sur les origines de cette demoiselle dont j’avais pourtant déjà commencé à apprécier les charmes et les manières. C’est que, pour une raison qui m’est inconnue, je ne saurais partager mes extases amoureuses autrement qu’auprès d’une orientale, si possible juive d’origine sépharade, familière de la cuisine tunisienne ou marocaine et capable, à la virgule près, de respecter la recette des plats préparés par ma mère. Les ashkénazes, je m’en méfie comme de la peste depuis que l'une d'elles a osé m’offrir à notre premier rendez-vous un pot de cornichons casher dont je me sers parfois pour changer l’ampoule de mon lustre à sept branches.
Tout comme Yann Moix avec ces demoiselles asiatiques à la jeunesse pas encore consommée, j’ai une franche aversion voire une répulsion atavique pour toutes ces provinciales, issues de régions gauloises, nées dans le jus de cuisson de rôtis de porcs, de blanquettes de veaux, de coqs au vin, dont la simple évocation me plonge dans des tourments sans nom. Qu’elles fussent minces, lourdes, brillantes ou taciturnes, des premiers âges de la vie ou un pied déjà dans la tombe, elles me répugnent dans cet amour qu’elles ont pour des plats raffinés qui jamais n’ont connu l’onction d’une bonne rasade d’huile d’olive, de harissa, de poivrons marinés dans leur jus, de bricks au thon...
L’odeur du couscous montant des profondeurs de la cuisine m’est aphrodisiaque. La vue du couscoussier posé sur la gazinière déclenche en moi des érections monumentales qu’aucune cuisinière hexagonale, même affublée d’un simple tablier posé comme une décoration florale sur sa peau nue, ne saurait provoquer. Je bande pour des boulettes faites de pommes de terre moelleuses ou d’artichauts confits et quand on me sert une assiette de cornes de gazelle mielleuses comme des nuits d’orient, j’ai des poussées orgasmiques si violentes que sur la table à peine débarrassée, j’embroche ma partenaire dans des assauts bestiaux à l’intensité tellurique.
De tels penchants m’ont valu des problèmes à répétition. Soral a dit de moi que je «ritualisais la haine de la goy dans sa tradition culinaire bien française»; des féministes à la langue bien pendue ont cru percevoir, dans mon mépris pour les cuisinières traditionnelles, l’archétype du mâle oriental bouffi de suffisance judéo-tunisienne; j’ai reçu une palanquée de tweets vengeurs où des Marie, des Christine ou des Cunégonde posaient nues dans leurs cuisines, à côté de leurs dernières préparations, accompagnées de textes rageurs: «Tu ne sais pas ce que tu manques, le petit sémite bouffeur de boulettes»; «Dommage, moi c’est tes toutes petites boulettes circoncises que j’aurais bien mangées.»
M’en fous. Je ne changerai pas. J’exige de ma partenaire qu’elle soit...
-Laurent?
-Oui Marie-Catherine adorée?
-Qu'est-ce que vous fabriquez encore? Il est 8 heures et le repas n'est pas encore prêt. Vous attendez quoi au juste? La venue de votre Messie?
-J'arrive ma chérie. Tout de suite.
Et voilà.
Un mythe s’effondre. Un de plus.
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