Antisémites à tous les étages
L’Edito de Riss. Directeur de la rédaction Charlie Hebdo
On assiste depuis quelques temps à la multiplication des actes antisémites. Dernier exemple en date, les insultes proférées dans la rue, à Paris, contre Alain Finkielkraut par une poignée de « gilets jaunes ». Après les tags sur les vitrines des magasins et les portes des immeubles, les injures, le vieil antisémitisme à la française–que les optimistes disaient moribond–semble encore vigoureux.
Il est toujours délicat d’évoquer les violences antisémites. Si on leur donne trop d’importance, on prend le risque de participer à la diffusion du climat de menaces qu’elles cherchent à propager. Si on n’en parle pas, on prend le risque de les banaliser, voire de témoigner à leur égard une bienveillance suspecte. Il n’existe pas, comme pour la crue de 1910, un niveau d’alerte identifié par un trait rouge sur les bords de la Seine pour savoir quand la limite a été atteinte. Car en matière de haine, il n’y a pas de limites, mais seulement des principes. Même si tous les Français de confession juive n’ont peut-être pas été personnellement victime de ces actes, il n’est pas nécessaire d’attendre que ce soit le cas pour dire « cette fois, c’est trop, il faut en parler ». Dès la première agression, il est légitime d’en informer la nation et de condamner tout acte antisémite, car il porte atteinte aux principes fondamentaux de notre démocratie.
L’ambiance quasi insurrectionnelle qui a pris possession du pays depuis plusieurs semaines a vu éclater une multitude de revendications et de colères aussi diverses que contradictoires. Comme un barrage qui cède sous la pression, elle a libéré un flot de paroles sur lequel le pays semble se noyer. Dans cette vague, on trouve le meilleur comme le pire. Le pire, c’est ce que nous entendons dans la bouche de quelques « gilets jaunes » contre la personne de Finkielkraut. Ce sont aussi des graffitis sur des murs, des vitrines ou des portes cochères. « Ici vivent des ordures juives » : cette inscription fut découverte sur une porte de la rue Ordener, dans le 18e arrondissement de Paris, en septembre 2018.
Dans les archives de la préfecture de police, on trouve cette photo presque identique, datant de 1941, de la porte d’un immeuble du 18e arrondissement, recouverte de cette affichette : « A louer eau-gaz électricité et JUIFS à tous les étages. »
On a peine à croire qu’en 2018 il existe encore des Français capables d’écrire exactement la même chose qu’en 1941 contre les juifs.
Les périodes de guerre sont intéressantes à examiner. Elles révèlent des sentiments qui s’expriment de manière exacerbée, alors qu’en temps de paix on a du mal à les déceler car ils sont en sommeil et donnent l’illusion d’avoir disparu. Comme ces bactéries et virus mortels enfouis dans la banquise depuis des millénaires et qui attendent la fonte des glaces pour reprendre vie et se diffuser partout à la surface de la terre.
La période que nous vivons n’est pas encore celle d’une guerre civile, mais des signes ténus devraient nous alerter. La multiplication des propos antisémites qui fleurissent depuis des semaines est-elle un signe avant-coureur de cette course vers l’abîme ? Grisés par leur puissance, certains dans la rue semblent ne plus avoir de limites éthiques à l’expression de leur âge, qui se transforme–s’en rendent-ils compte ?–En haine pure et simple.
Et quand la haine se croit légitime, elle peut aussi s’attaquer à des boucs émissaires, au premier rang desquels, le juif.
Le grand débat voulu par l’Élysée parviendra peut-être à calmer les esprits pendant un certain temps. Mais rien ne garantit que cela nous protégera d’une nouvelle vague de violences encore plus grande, dans cinq ou dix ans. Comme la révolution russe avortée de 1905 avant celle réussie de 1917. Ou le putsch raté de la Brasserie, à Munich, en 1923 avant l’accession au pouvoir réussie des nazis en 1933. Tel le mince filet d’eau d’une source qui cherche et trouve un chemin pour creuser son lit au milieu des champs et des vallées, l’Histoire a tout le temps devant elle pour avancer inexorablement. Si ce n’est aujourd’hui, ce sera demain. La constance de l’antisémitisme dans l’histoire de France en est le triste exemple.
L’Edito de Riss. Directeur de la rédaction Charlie Hebdo
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