Avec l’antisémitisme qui explose en France, une nouvelle catégorie de Juifs envisage Israël
Avec plus de 1 500 actes anti-juifs entre le 7 octobre et la mi-novembre, soit trois fois plus que sur toute l’année 2022, un ministère israélien a enregistré une hausse de 430 % du nombre de demandes d'information pour l'alyah en provenance de France
Par Romain Chauvet - Times of Israel
PARIS – Freddo Pachter affirme qu’en 17 ans de coordination de l’alyah des francophones en Israël pour le ministère de l’Immigration et de l’Intégration, il n’a jamais vu une demande aussi forte – et ce, y compris après des événements tels que l’attaque terroriste du supermarché Hyper Cacher de Vincennes, les assassinats effroyables du djihadiste Mohammed Merah dont des enfants à Toulouse et la Seconde Guerre du Liban de 2006.
Le nombre de demandes qu’il reçoit de la part de Juifs français n’a cessé d’augmenter depuis le 7 octobre, reflétant le climat de peur, dit-il.
« Certains me disent qu’ils ont peur d’être en France parce qu’ils sont Juifs, et qu’ils ont enlevé leur mezouza », explique Pachter, en référence aux rouleaux de parchemins apposés sur les montants des portes de nombreux foyers juifs.
« Il est insupportable de vivre ainsi, de cacher tout signe de judaïsme alors que personne n’a honte de dire qu’il est chrétien ou musulman. »
Le 7 octobre, des milliers de terroristes du Hamas ont pris d’assaut la frontière avec Israël sous le couvert de tirs de roquettes nourris, assassinant brutalement 1 200 personnes, pour la plupart des civils, et en enlevant plus de 240 autres dans la bande de Gaza, où 132 sont toujours détenus – mais pas tous vivants. À la suite de ce massacre, Israël a lancé une opération militaire visant à récupérer les otages et à évincer le Hamas du pouvoir dans la bande de Gaza.
L’assaut a également déclenché une violente vague d’activités anti-Israël dans le monde entier, les Juifs de la Diaspora faisant état d’une augmentation alarmante des crimes de haine antisémites, souvent accompagnés de messages anti-Israël.
En décembre, plusieurs événements ont été organisés en France afin de fournir des informations et des conseils à ceux qui souhaitent s’installer en Israël. Des rassemblements à Paris, Marseille et Lyon ont chacun attiré des centaines de participants, dont certains ont dû faire le déplacement pour s’y rendre.
Au-delà de l’augmentation des demandes, Pachter a également observé un changement dans le profil des personnes qu’il a rencontrées lors de ces réunions.
Un morceau brisé d’une stèle commémorative en l’honneur de feu la femme politique française et survivante de la Shoah Simone Veil, après avoir été profanée, dans le nord-ouest de la France, sur une photo distribuée le 21 novembre 2023. (Crédit : Stringer/Police municipale de Lesneven/AFP)
« D’habitude, nous voyons des gens qui connaissent des difficultés professionnelles ou sociales, qui ont été licenciés ou qui veulent changer de domaine. Mais cette fois-ci, nous avons eu des ingénieurs, des médecins et des avocats », explique Pachter, qui pense que cela peut être attribué à l’augmentation des crimes de haine antisémite en France.
« Ce ne sont plus des gens qui quittent la France pour des problèmes financiers – leur vie en France serait plus confortable. »
L’observation de Pachter est plus qu’une simple intuition – le ministère de l’Immigration et de l’Intégration a enregistré une augmentation de 430 % du nombre de demandes en provenance de France depuis l’assaut du 7 octobre. Un certain nombre de Juifs français ont confirmé au Times of Israel qu’ils ne se sentaient plus en sécurité en France et qu’ils se sentaient obligés de cacher leur kippa ou d’autres signes ostentatoires de leur judaïsme de peur d’être pris pour cible.
« Je ne me vois plus vivre en France avec tout ce qui se passe. J’ai peur tous les jours pour mes enfants, ce n’est plus une vie », affirme une mère qui vit à Paris et qui a demandé à rester anonyme pour sa propre sécurité.
« Le 7 octobre a tout changé. Je n’aurais jamais imaginé quitter la France pour Israël. Cela peut paraître paradoxal compte tenu de la situation en Israël, mais au moins là-bas nous n’aurons pas à nous cacher », souligne une autre Française juive anonyme qui envisage sérieusement de quitter la France dans les mois à venir.
Le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) est également à l’écoute de ces préoccupations de la communauté juive française, comme il l’a fait par le passé lorsque des événements locaux ou en Israël ont précipité une recrudescence des actes antisémites.
« Les chiffres de [l’immigration en Israël] et l’ouverture de dossiers ont toujours été un baromètre du niveau d’inquiétude des Juifs de la société française face à l’antisémitisme », a indiqué le président du CRIF, Yonathan Arfi.
Même s’il estime que des mesures sont mises en place pour lutter contre ce climat de peur, Arfi pense qu’il s’agit désormais d’un problème beaucoup plus ancré dans la société française.
« Nous ne lutterons vraiment contre l’antisémitisme que s’il est socialement condamné dans tous les milieux de la société française, ce qui n’est pas toujours le cas aujourd’hui », a-t-il souligné.
Plus de 1500 actes antisémites ont été recensés en France entre le 7 octobre et la mi-novembre, selon les dernières statistiques du ministère de l’Intérieur.
« Il s’agit principalement de tags et d’insultes, mais aussi d’agressions et de blessures », a déclaré le ministre français de l’Intérieur, Gérald Darmanin.
Ce chiffre est plus de trois fois supérieur aux 436 actes antisémites recensés sur l’ensemble de l’année 2022 en France.
« Ces actes ne sont pas nouveaux, mais ils sont beaucoup plus intenses », fait valoir le sociologue Michel Wieviorka.
Les massacres perpétrés par le groupe terroriste palestinien du Hamas le 7 octobre est en partie responsable, mais le regard mondial sur les Juifs a également changé, estime le sociologue.
« La Shoah n’est plus ce qu’elle était [dans l’esprit des Français]. Quand les Français [ont pris conscience de l’ampleur du génocide] dans les années 70 et 80 (…), il y avait beaucoup de bienveillance pour le monde Juif à ce moment-là, mais nous n’en sommes plus là. La mémoire a cédé la place à l’histoire. La jeune génération ne connaît plus de témoins ou de survivants, ce qui facilite l’expression de l’antisémitisme », explique Wieviorka, qui a mené des recherches approfondies sur le sujet.
Les actes antisémites d’aujourd’hui doivent également être considérés dans le contexte d’autres discours politiques et préjugés répandus en France, affirme-t-il.
« Ce type d’expression n’est plus seulement le fait de l’extrême-droite, mais aussi de l’extrême-gauche – et s’il est douteux qu’elle soit toujours antisémite, toute personne sensible peut sentir qu’elle n’est jamais loin dans certains discours », prévient Wieviorka.
« Ce type d’expression n’est plus seulement le fait de l’extrême-droite, mais aussi de l’extrême-gauche »
Lorsque les actes antisémites et les discours de haine augmentent rapidement et en parallèle, explique Wieviorka, il existe un risque que l’antisémitisme s’infiltre au niveau politique et gouvernemental.
« La France n’en est pas encore là, mais nous devons rester très vigilants. »
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