Branle-bât de combats, par David Bensoussan
L’auteur est professeur de sciences à l’Université du Québec
Du plus fort, la raison n’est pas toujours la meilleure
La tentation est trop forte pour l’instinct chamailleur
D’infatuation de sa puissance l’ours était imbu.
Des ovins de l’est, il n’avait pu maintenir l’obéissance,
Et avait dû abandonner leurs terres pour le cens.
Il craignait que le déclin de son domaine agreste ne soit qu’un début.
La brebis ukrainienne autrefois si soumise, voire maniable
S’acoquinait avec les bovins de l’Ouest à même son arrière-cour.
C’en fut trop. Quel effronté parangon pour la basse-cour!
Seul l’ours blanc était maîtrisé, s’avérant à peine fiable.
À la hâte, toute une armada de troïkas sur les routes fut déployée
Afin d’éviter de la neige et de la raspoutitsa l’embourbement
Et ils devinrent la cible sur laquelle la brebis fit mouche aisément ;
Leurs conducteurs stagnaient, car on avait négligé de les ravitailler.
Devant cette stratégie défaillante, les bovins de l’Ouest encouragés
considérèrent que la brebis mieux armée mieux pouvait tenir
Ergotant cependant sur le nombre de charrettes à fournir
Voulant s’assurer que le condor américain soit avec eux engagé.
L’ours colérique réalisa qu’il fallait de tactique alterner
Il dépêcha ses coucous, ses roquettes et sa flotte
S’engageant à ébranler et balayer la bergerie en rase-mottes.
Semant la dévastation autour de la brebis décharnée.
Le panda asiate inquiétait au plus haut point le condor
Qui comptait délacer la pression de ses serres en Europe,
Mais retrouvait sa stature de puissant seigneur et sans tropes
En prodiguant engins, chariots et attirails en renfort.
Le panda n’avait d’yeux que l’écureuil formosan.
Il méprisait de l’ursidé la relâche sur la dictature,
mais admirait encore sa redoutable armure
et observait avec attention ses revers boboïsants,
C’est que le panda friand du barda de l’ours
Avait appris à en imiter la confection.
Bientôt, hormis son or noir acheté en spéculation,
Il n’aurait plus besoin de ses ressources
Son appétence dans les eaux du Pacifique du Sud-Ouest
Avait aux faunes riveraines fait serrer les rangs.
Bien qu’elles entretinssent entre elles un passé de différends,
Elles exhibaient maintenant une solidarité manifeste.
Ses ambitions mercantiles fourmillantes étaient contrées
Par des entités endettées et moins sensibles à son laïus
Et du fait que sur les puces le condor avait imposé un blocus.
À l’inconnu, les nations préféraient au Condor rester amarrées.
À court de munitions, l’ours commanda du chat persan
Des essaims de guêpes bruyantes qu’il largua en Ukraine.
Le matou fut heureux de satisfaire ce chant de sirène,
Lui qui semait ravage et carnage au Levant
Il avait maté l’hyène libanais, le léopard yéménite et le faucon syrien
Il menaçait maintenant les pays du chameau et du dromadaire
De l’inflammation de leur or noir et d’actions d’usure quasi suicidaires
Et se promettait sans vergogne de trucider le cabri israélien.
Au pays du faucon, l’ours laissait le cabri agir contre les minets en postille
Dépêchés par les soudards et les nervis du pays du tchador
Lequel avait en hantise l’influence du pays du condor.
C’est que l’ours ne voulait pas que le cabri si agile à la brebis s’allie.
Prudent, le cabri renforçait ses alliances avec les camélidés.
Le condor, son grand allié, sur lui faisait pression
Pour qu’il sortît de son abstention et changeât de position
Et vienne cavalcader en appui auprès des ovidés.
Chaque jour, les champs de la brebis étaient ravagés.
Tout y passait : prés, taillis, bosquets, fourrés et futaies.
Jusqu’à son dernier poil de laine, la brebis jurait de résister
Avec ses moutons, ses agnelles et ses agnelets assiégés.
L’ours déversait des cohortes aux menaçants crocs
Convaincu que pour faire une omelette il fallait casser
Non pas des œufs, mais tout un poulailler effacer.
La rage de vaincre le rendait toujours plus accro.
Le fier coq gaulois qui espérait les bovidés armer
Et des buffles et des taureaux aiguiser les cornes
Se désolait de leur admiration sans bornes
Pour le bataclan du condor et de leur option confirmée.
Le reste de la faune fourbissait son armature
S’équipant aussi pour se mettre au diapason
Incrédule devant tant de déprédation et de désolation
Faisant fi du don divin de la raison et de la nature.
Aura-t-on mérité cette céleste bonté
Alors que l’on vit sous la menace du champignon
Capable de souffler de la vie le lumignon
De l’atomiser, de la vaporiser et de l’antidater ?
L'ours boulimique et sa portée
En ces temps difficiles, rimer sur la tragédie peut paraître indécent.
Néanmoins, l’écriture est une arme au service des innocents
Il était un grand méchant ours boulimique
Qui ambitionnait une adulation totémique.
Des ruches, il se réservait les meilleures
Avec ses acolytes gaspilleurs.
Il régnait en maître dans la forêt,
S’en appropriant capital et intérêt.
Il fondit sur les petits mammifères
Cela fit bien son affaire.
Il s’attaqua à des parties de la Géorgie,
En arrachant l’Ossétie et l’Abkhazie,
S’acoquina aux canidés iraniens
Et aux potentats africains.
Ses victimes étaient lointaines il est vrai.
De riposte il n’y eut guère quand il goba la Crimée.
On prit conscience de sa voracité proverbiale
Quand il s’attaqua à l’Ukraine orientale.
Il s’en prit à la brebis ukrainienne
Alléguant qu’elle était mitoyenne.
La crainte s’empara des ovins de l’Est
Et un frisson secoua les bovins de l’Ouest.
Tous en Europe comprirent sans détour
Que ce serait bientôt leur tour !
Il en alla de même outre-Manche :
Point d’illusion quant à sa patte blanche.
C’est en ne monnayant pas sa bourse
Qu’ils cherchèrent à restreindre de l’ours,
Sa goinfrerie gargantuesque
Et son ambition ubuesque.
L’ours montra grands ses crocs ivoirins
Pour intimider les bovidés et les caprins.
Or, leur confiance était maintenant brisée.
Et ils avitaillèrent la brebis épuisée.
Dans sa forêt, l’ours combinait hubris et balourdise.
Cherchant à convaincre par roublardise
En interdisant le gazouillis libre des oiseaux,
N’admettant autre son que son grognement mafioso.
Il comptait sur le panda aux yeux bridés
Pour contourner les obstacles des ovidés et bovidés.
Il dominait le bois de chauffage de la futaie
Et le panda fut ravi de s’en offrir au rabais.
Tous se tournèrent vers le condor d’Amérique
Et son voisin lapin blanc des neiges nordiques.
Car le condor était connu pour sa superpuissance,
Bien que beaucoup trouvaient à redire à sa toute-puissance.
Le condor planait partout sans démordre
Et maintenait en place un certain ordre.
Il était préoccupé par la concupiscence du panda
Autrefois insignifiant et maintenant tout tagada.
Il avait pris de l’embonpoint et avait accumulé moult réserves
Qu’il prêtait à intérêt en s’imposant sans réserve.
Il convoitait l’île de l’écureuil formosan
En guise d’entrée, car c’était loin d’être suffisant.
Le condor alerta la brebis vulnérable si pauvre en ressources
Des agissements prochains et des mouvements de l’ours.
L’ours bedonnant détruisait tout sur son passage
Et la brebis inébranlable résistait avec courage.
La brebis n’était pas dans l’enclos des ovins et bovins
Lesquels ne purent qu’offrir refuge à ses agnelets.
Les bovins se mirent à aiguiser fébrilement leurs cornes
Qu’ils avaient négligées des années durant tant ils étaient atones.
De son siège à Manhattan, le roi de la forêt onusien fut alerté.
Or, il ne pouvait rien faire sans de l’ours avoir concerté.
Il était maintenant édenté et incapable de rugir
S’offrant en théâtre aux meutes de pacotille et sans réagir.
Enragé par sa propre impuissance, l’ours se fit plus menaçant.
Il voulait suppléer le condor ou du moins s’en sentir aussi important.
Il s’était convaincu que le condor avait perdu sa dissuasion d’antan.
N’avait-il pas abandonné à leur sort deux gibiers asiates importants ?
L’ours rêvait de devenir des lieux l’absolu pandore
Aussi conspira-t-il pour démotiver le condor :
Il émit des grognements subliminaux en sourdine
Pour faire dévier les orientations du condor dans sa ligne
Pour l’ours, la brebis faisait partie d’un vaste menu jusque-là :
Carnassiers de Syrie, de Biélorussie, du Kazakhstan et du Venezuela.
Suivront les antilopes africaines et des tyrans sanguinaires,
Car il a à sa disposition mercenaires et légionnaires.
Où va-t-on ainsi se demandèrent les animaux de la forêt ?
Le panda aux airs innocents ambitionnait également la stature du condor.
Il avait une emprise grandissante sur ceux à qui il prêtait à ras bord.
Il convoitait les perspectives de gisements et de pâturages
Qui constituaient de l’ours l‘apanage.
Il projetait de faire sur l’ours main basse
Sitôt maîtrisées ses manœuvres de chasse.
Il enverra ses troupes prolifiques subjuguer l’ours puissant
Pour le réduire à l’état de nounours en peluche impuissant.
En attendant, il suivait de près de la brebis les destinées
Afin de s’en inspirer pour sa conquête de l’écureuil non résigné.
Bien qu’il comptât sur le condor aux serres redoutables,
L’écureuil formosan épiait les alentours en éclaireur véritable.
L’ours s’en donnait à cœur joie.
Allait-il se suffire d’un quartier de sa proie ?
Combien de temps encore la brebis allait-elle tenir?
Et la faune observer ce massacre sans intervenir ?
Pourquoi la douce brebis était-elle vouée au trépas ?
Dans son antre, la famille de l’ours ne comprenait pas
Elle redoutait de le contredire
Tant elle craignait son ire.
La détresse de la faune fut abyssale
Et elle se rendit à l’évidence morale :
Pour juguler de l’ours l’impérialisme,
Elle se devait d’enrayer son mécanisme.
Auparavant fragmentée et divisée,
La faune a retrouvé son unité
Et exprime sa détermination
Avec fermeté et résolution.
Que faire encore, interrogèrent les animaux de la forêt ?
L’enclos des bovidés s’était agrandi
Et l’ours y voyait un complot ourdi.
Il revient au condor de le rassurer
Et ce faire sans plus tarder.
Chez les créatures sylvaines, l’utopie de paix semblait lointaine,
mais il demeurait un refrain d’espoir chez les âmes en peine :
« Génisse et ourse paîtront ensemble avec leur descendance;
Pour le lion tout comme pour le bœuf, de paille sera leur subsistance. »
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