Ces Fassis d’origine juive
Un fonctionnaire du protectorat français raconte comment des juifs de Fès, les « Mouhajirines », ont dû se convertir à l’islam, donnant ainsi naissance à de grandes familles fassies dont on pensait qu’elles avaient toujours été musulmanes.
C’est une histoire méconnue mais en même temps assez significative du Maroc du Moyen-Âge. Celui qui nous la raconte est un certain Marcel Vallat, à qui l’Histoire prête une implication directe dans la déposition du sultan Mohammed V en 1953. Pour son mémoire de fin de stage au corps des contrôleurs civils du protectorat français au Maroc, ce jeune fonctionnaire a choisi une chronique d’un auteur inconnu et qui décrit un événement lui-même peu connu de l’histoire du Maroc. Ce texte raconte en effet comment, au XIIIe siècle, de nombreux juifs de Fès se sont convertis à l’islam, donnant ainsi naissance à de grandes familles fassies dont on croyait à tort qu’elles avaient toujours été musulmanes. Aujourd’hui, on sait qu’elles ont abjuré leur foi après un grand massacre qui a décimé une partie de leur communauté à Fès et a ouvert la voie à une conversion massive à l’islam.
Le mérite de ce jeune contrôleur arabisant est d’avoir découvert un document manuscrit et inédit relatant cet épisode. Par un heureux concours de circonstances, Vallat a en effet mis la main sur un recueil, ou Mejmoue, appartenant à un vieil alaouite de Rabat, Moulay Abderrahmane, plus connu sous le nom de «Moulay El Kébir». Ce recueil entièrement en arabe se compose de plusieurs documents. D’abord, un manuscrit relatant une rihlat (voyage), rédigé par le Fqih Zniber et dont l’écriture est qualifiée par Vallat de «modèle de calligraphie maghrébine». Ensuite, quelques kassidate de Sidi Kaddour Alami, un soufi mort en 1850 et considéré encore de nos jours comme un grand poète marocain. Suit une autre kassida sur l’élevage du cheval à la manière d’Ibn Tofaïl Al Andaloussi, un érudit de Grenade né en 1100, ainsi que quelques documents administratifs de moindre importance et, surtout, une «perle». Un manuscrit dont Vallat traduit ainsi le titre : «Histoire des Mouhajirs appelés aujourd’hui citadins. Un manuscrit relatant la conversion, en masse, des Juifs de Fès à l’islam au XIIIe siècle de notre ère et les conséquences sociales de cet événement». Ce texte, dont Vallat n’identifie à aucun moment l’auteur, a été écrit pour être offert à Mohammed Ben Abderrahmane, le sultan Mohammed IV (1859-1873) qui était le père de Moulay Hassan, le futur Hassan Ier (1873-1894). Le document date de la deuxième moitié du XIXe siècle. Il aurait appartenu à Hassan Ier puis, après sa mort, a échoué entre les mains du fameux «Moulay El Kébir», qui a consenti à le prêter au jeune Vallat. Le texte original en arabe est archivé à la bibliothèque royale. Il a été étudié une première fois par le Fqih El Manouni, puis par l’historien médiéviste Mohamed Fatha (cette analyse érudite a été publiée aux éditions Bouregreg en 2004). Quant à Marcel Vallat, après l’échec de la déposition de Mohammed V et l’indépendance du Maroc en 1956, il a rejoint l’Hexagone et s’est retiré totalement de la vie publique, coupant tout lien avec le Maroc où il avait fait pratiquement toute sa carrière administrative.
Par Adnan Sebti
La suite de l’article dans zamane N°13
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