EN CHERCHANT CENDRILLON PAR THÉRÈSE ZRIHEN-DVIR
PENSÉES PAR JEAN-MARC DESANTI
J'ai débuté en lecteur bienveillant le dernier livre de Thérèse Zrihen-Dvir. Je dois bien avouer que je pensais, après quelques lignes, avoir saisi l'intention : Il s'agissait de contes pour enfants ou pour adultes avec tous les ingrédients nécessaires à la réussite de l'ouvrage. Nous trouvons dans Les petits escarpins jaunes, une veuve irréprochable, une enfant parfaite, un cordonnier bourru au cœur d'or, des châtelains remplis de préjugés et un jeune maître amoureux … Nous sommes donc tentés d'accélérer notre lecture pour nous contenter de repérer la trame de l'histoire que nous lirons ensuite à nos enfants, amis, grands ou petits. Mais quelque chose de particulier se passe. Notre attention se trouve peu à peu en éveil. Tout cela semble simple mais des éléments viennent perturber notre tranquille assurance. La veuve est une philosophe, la parfaite enfant a une sensibilité de médium, le cordonnier semble servir la destinée … Alors nous ralentissons notre lecture et redoublons de sagacité. Il va se passer des choses imprévues et Thérèse Zrihen-Dvir nous enferme dans un mystère dont elle a le secret. En effet, le sage conte pour enfant devient une stupéfiante réflexion sur le sens de chaque vie, sur la liberté que nous avons de mystifier pour mieux nous échapper de notre condition. Nous suivons alors avec des mots simples une magistrale leçon sur le déterminisme et le libre arbitre.
Pour Thérèse Zrihen-Dvir le fatalisme n'est seulement qu'une des multiples données dans ce contrat à durée déterminée qu'est la vie. Les cartes, bonnes ou mauvaises, nous sont distribuées mais il existe une transcendance qui peut être le joker suprême. Cette transcendance à laquelle nous voulons croire mais qui nous échappe à grande souffrance, c'est l'Amour.
Mais la conteuse ne tranche pas, refuse de jouer les oracles, elle nous laisse le choix d'imaginer si cette passion peut être réelle ou dévastatrice, source de vie ou saison de mort. Angeline et Ludovic nous prennent par la main pour nous conduire dans le labyrinthe des sentiments puis, brusquement, nous abandonnent. Nous comprenons alors qu'un subtil échange vient de se produire : Nous sommes devenus des enfants perdus devant des questions compliquées. Eux, les jeunes pousses, semblent nous avoir devancés dans la maturité, l'audace, l'impertinente et mystérieuse attitude face à notre cauchemar permanent qu'est la maîtrise de notre sort.
Avec le deuxième conte, Le crime ne paie pas, nous passons, comme un rite initiatique, les portes de l'enfer.
La pauvreté extrême, et ses tentations malsaines pour s'en sortir, rendent le récit pénétrant et éternel.
Là encore, Thérèse Zrihen-Dvir nous cueille à froid. Nous nous attendons à une issue sinon heureuse mais au moins tintée d’espoir comme il se doit. Nous l'espérons surtout pour Oriane, l’irrésistible jeune fille du quartier juif d'Oran. Cette Cendrillon illustre ce que les derniers marxistes appelleraient « la lutte des classes ». Elle semble condamnée à une perpétuelle pauvreté alimentée à la fois par des conditions sociales misérables, un environnement saccagé où la morale n'est plus qu'un luxe inaccessible et une lâcheté, une veulerie que seuls les riches se permettent avec leur argent renforçant l'exploitation et la misère.
Oriane c'est Zola à Oran.
La jeune fille est le jouet de vents mauvais. On l'admire, la désire, on l'envie même, mais sa beauté trouve plus d'acquéreurs salaces, degodelureaux avides que d'amants sensibles. Alors plus que jamais nous nous mettons à espérer un miracle et les signes apparaissent enfin ... pour mieux nous duper. Comme pour Hitchcock, la fin, ici volontairement teintée de magie orientale, « n'enjolive pas le contenu, elle le crée. ».
Le dénouement n'est pas une ruse mais un basculement vers des réalités que le plus souvent nous nous cachons, miroirs de nos noirceurs que nous peignons d'or et d'argent … Après tout, il nous faut bien, nous aussi … Survivre.
Survivre ! Le livre se termine par un texte d'une force romanesque étrange.
Les amants damnés nous présentent en effet l'histoire singulière d'une Cendrillon au masculin, Sadoq, sauvé de l'infortune par Saâda, une prostituée folle d'amour.
La respectabilité contre un petit viatique … Et même si Sadoq saura faire fortune, saura transformer le petit Bien en richesse, il ne dépassera jamais la honte de l’aumône. Sadoq et Saâda nous conduiront sur les chemins incommodes de la vie de couple. L'amour comme oxygène, puis l'amour étouffant, décevant et mesquin, et enfin, l'amour retrouvé dans une agonie synchronisée où la miséricorde se substitue à la désolation.
Avec Thérèse Zrihen-Dvir, il faut se méfier de nos certitudes. Elle nous montre que nos vies sont beaucoup plus guidées par le dogmatisme et l’égoïsme que par la clarté des sentiments. Seulement elle ne juge pas. Ses héros sont à leur place comme autant de mots, de phrases et de livres pour comprendre. C'est à nous, en fin de compte, et en fin de conte, de prendre la relève de son travail.
Je dis travail comme je dirais sermon ou oraison en songeant à Bossuet. Écrire pour l'auteure c'est questionner, se questionner et donner en partage des souvenirs à peine transformés. De ce don elle espère la fraternité du lecteur. Elle ne se veut pas gourou ou exégète qui délivre un message mais bien plus cette essayiste qui tente de communiquer ses enseignements de la vie.
À nous ensuite de reprendre le flambeau et d'éclairer les passages, avec nos ombres et nos lumières, chacun de ces sentiers, ces raidillons qui martyrisent nos prochains.
Jean-Marc Desanti
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