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Entendement et raison, morale et éthique - David Bensoussan

Entendement et raison, morale et éthique

David Bensoussan

Professeur à l’École de technologie supérieure

 

La morale peut-elle être raisonnée ? Les choix moraux sont-ils faits en toute liberté ? Quelle est la perspective des philosophes et celle du message biblique ?

Entendement et raison

Il est possible d’établir une différence entre entendement et raison. L’entendement rattache inconsciemment l’effet des sensations à leur cause. C’est une expérience de l’esprit qui se base sur des évidences sensibles et sur un raisonnement qui peut rendre cohérent l’ensemble des impressions de nos sens.

La raison est abstraite, méthodique, logique, déductive et désincarnée en ce sens qu’elle ne se fie guère aux sens qui peuvent être trompeurs. Le principe de la causalité qui stipule que tout effet a une cause qui le précède, relève de l’entendement des représentations, des perceptions des expériences des phénomènes naturels.

On pourrait être tenté de projeter cet entendement des phénomènes au monde extrasensible. En effet, le principe de la causalité s’applique aux phénomènes définis dans l’espace et dans le temps. Mais le problème de l’origine de l’univers ou de la causalité première reste alors ouvert. S’il y a une origine des temps, la question de l’antériorité de cette origine reste sans réponse à moins d’admettre un créateur ex nihilo.

Morale et éthique

De la même façon, on établit la différence entre morale et éthique : la morale différencie entre le bien et le mal. La notion de morale est parfois considérée comme innée (Rousseau), inculquée (Freud), raisonnée (Descartes), innée et acquise, mais aussi universelle (Kant).

L’éthique est le principe sous-jacent de la morale. Elle n’est pas assujettie à la morale, à un dogme ou à une religion bien qu’elle rejoigne en plus d’un point la morale.

Descartes a voulu ramener la morale et l’éthique à une équation : ethica more geometrico demonstrata. Il a eu une vision purement scientifique de l’homme. Son contemporain Blaise Pascal lui a reproché d’avoir réduit Dieu au rôle d’horloger cosmique.

Pascal a refusé de définir l’homme par la raison seulement, car le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point : la dimension affective de l’homme est subjective et l’homme est inscrutable (homo absconditu), car la compréhension humaine est limitée par ses sens et ses limitations physiques. L’essence de l’homme ne se ramène pas à l’existence du cogito ergo sum, mais touche à une autre dimension : celle du souffle intime de Dieu qui résonne au for intérieur de la conscience de chacun.

Du libre arbitre

On pourrait avancer que l’homme est doté de raison, raison qui lui permet d’exercer sa volonté comme il l’entend. Ainsi, les actions de l’être humain seraient guidées par sa volonté, elle-même soumise à sa raison, laquelle est guidée par sa conscience.

La morale constituerait un a priori implicite, car elle se retrouve chez tout être doté de raison ; les impératifs moraux n’obéiraient pas aux désirs que l’on peut avoir, mais dériveraient de la seule raison.

Si le principe de la causalité s’appliquait à la raison seulement, la liberté n’existerait pas, car tout serait prédéterminé et on sombrerait dans le fatalisme.

Toutefois, considérant l’antériorité des êtres et des choses, on est porté à avancer que l’être humain est soumis à un déterminisme social, familial et physique. On pourrait aller plus loin et avancer que la volonté est illusoire en ce sens qu’elle relève de l’intuition et découle des désirs et des pulsions. Pour Freud, le moi n’est pas maître de sa maison.

Pour Spinoza, les êtres humains sont mus par la finalité des désirs et des instincts. Le bien et le mal ne seraient que la généralisation de ce qui est bon ou mauvais pour l’individu. D’où la nécessité d’établir une éthique qui se réapproprie l’affect afin d’orienter son désir sachant que le monde, êtres humains compris, est tel qu’il est et que la transcendance n’influe en rien.

Contrairement à ceux qui soutiennent que l’édifice des croyances religieuses ne serait là que pour idéaliser ce que l’on ne peut être, Pascal avance que c’est le cœur qui sent des vérités fondamentales parce qu’il exprime le sentiment de Dieu : « c’est le cœur qui sent Dieu et non la raison. » La liberté se définirait comme un engagement spirituel, le sentiment du bien étant souvent confondu au divin (ou même à la croyance en la rétribution divine).

La question de savoir qui de la raison, du cœur ou des désirs est à la tête de la structure psychique ne peut être tranchée de façon nette, car la raison intrinsèque, la causalité induite par les sens, l’affect et les pulsions biologiques sont imbriqués dans le moi. « Le je est un autre », soutenait le poète Arthur Rimbaud.

Néanmoins, une meilleure connaissance de soi permet de mieux relativiser et canaliser les pensées et les actions. La connaissance de soi peut informer (du latin in et forma signifiant donner forme, instruire, donner une structure) l’esprit et affiner les choix moraux.

Pour ce qui est du libre arbitre, Einstein suggère que « chacun agit non seulement sous une contrainte extérieure, mais aussi d’après une nécessité intérieure », circonscrivant ainsi le degré de liberté de l’être humain.

Bergson quant à lui, avance : «On a donc raison de dire que ce que nous faisons dépend de ce que nous sommes ; mais il faut ajouter que nous sommes, dans une certaine mesure, ce que nous faisons, et que nous nous créons continuellement nous-mêmes. »

Jean Paul Sartre affirme que « dans la vie on ne fait pas ce que l’on veut, mais on est responsable de ce qu’on est », idée admirablement articulée par le poète Antonio Machado : « Voyageur, le chemin sont les traces de tes pas, c’est tout ; voyageur, il n’y a pas de chemin; le chemin se fait en marchant. »

Que propose la Bible ?

La Bible propose un certain nombre de préceptes qui visent à articuler les notions de morale, d’éthique, d’entendement et de raison dans une même vision d’ensemble. Le rôle de l’éducation et de l’étude sont primordiaux : les paroles divines doivent être méditées (Josué 1-8) et inculquées (Deutéronome 6-7) ; elles doivent être étudiées, comprises, interprétées, et appliquées à la vie personnelle, tout en maintenant une allégeance aux messages des prophètes divinement inspirés. Elles sont à la base des valeurs qui peuvent guider vers la perfection morale individuelle et collective.

Le récit du Jardin d’Éden consacre la faculté de reconnaître le Bien et le Mal ; juger de ce qui est bien et de ce qui ne l’est pas est du ressort de la réflexion de l’être humain. La faculté d’agir en conséquence est aussi son droit légitime.

Dieu est le créateur du Mal (de la lumière et du Mal, Isaïe 45-7). Il a laissé à l’homme le choix du libre arbitre : « Et voilà Je te présente le Bien avec la vie et le Mal avec la mort… et tu choisiras la vie. » (Deutéronome 30-15, 30-19), tout en engageant l’amour de Dieu, du prochain et de l’étranger (Deutéronome 6-5, Lévitique 19-18 et 19-34).

Toujours selon la Bible, l’homme est naturellement porté vers le mal (Genèse 6-5). Il a également le moyen de développer une attitude cérébrale volontaire pour surmonter son penchant vers le mal (Genèse 4-7).

Cette disposition est indépendante de la rétribution à laquelle un croyant pourrait s’attendre « car vos pensées ne sont pas Mes pensées, ni vos voies ne sont Mes voies, dit l’Éternel (Isaïe 55-8).»

La morale signifiée par les dix commandements intègre l’éthique signifiée par les cinq derniers commandements qui se rapportent aux relations avec autrui, les cinq premiers commandements se rapportant au Créateur et aux parents. Dans la Bible, l’éthique et la morale sont les deux bras d’un même corps que forment les Tables de la Loi.

Selon la Bible, la morale a également une dimension sociale (Amos 2-6, Isaïe 2-7).  Le devoir de justice et de charité généreuse est invoqué en plus d’un verset (Deutéronome 16-20 et 17-68). C’est par la justice et la droiture que la rédemption est atteinte (Isaïe 1-27 et 5-16). D’autre part, la justice divine recherche le repentir vrai : «Dieu ne souhaite pas la mort du méchant, mais qu'il revienne sur sa conduite et qu’il vive (Ézéchiel 18:21-23). »

L’action et l’intention vont de pair :« Qui pourra monter à la montagne de l’Éternel? Qui s'élèvera jusqu'à son lieu saint? - Celui qui a les mains innocentes et le cœur pur (Psaumes 24-4).» L’action positive est tributaire de la discipline personnelle : « Éloigne-toi du mal et fais le bien (Psaumes 34-15). » Le cœur se reflète dans la personnalité: « Tout comme l'eau reflète un visage, le cœur de l'homme reflète l'homme (Proverbes 27-19). » Les bonnes dispositions du cœur sont illustrées par les paroles de Zacharie (8-16 et 8-17) :   « Ne méditez pas dans votre cœur aucune méchanceté l'un contre l'autre, n'aimez pas le faux serment. » (Zaccharie 8-16 et 8-17).

Les qualités humaines devraient être au service d’un idéal universel : la perspective messianique d’une ère de paix doit guider les motivations de tout un chacun vers cet ultime idéal : « De leurs glaives ils forgeront des socs de charrue et de leurs lances des serpettes; un peuple ne tirera plus l'épée contre un autre peuple, et l'on n'apprendra plus l'art de la guerre (Michée 4-3). »

 



 

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