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Interview de Nissim-Samuel Kakon, auteur du roman "Itinéraire d'un juif franco-marocain"

Interview de Nissim-Samuel Kakon, auteur du roman "Itinéraire d'un juif franco-marocain"

par Mohamed Amine Hafidi

Nissim-Samuel Kakon est né à Essaouira le 1er février 1951. Il quitte le Maroc en 1956 puis y retourne afin d’y vivre en 2009, à Agadir. Dans “Itinéraire d’un juif franco-marocain”, paru, en mars 2021, aux éditions Auteurs du monde, il nous raconte en 528 pages son récit de différentes expériences autant sociologiques qu’affectives.

Comment est née l’idée de ce roman autobiographique?
En fait, ce n’est pas une idée qui est née concernant ce roman autobiographique, il s’agit d’une idée qui s’est, à soixante ans révolus, imposée à moi de la façon la plus naturelle possible. Il s’agit d’un âge où il devient difficile de se mentir, car le mensonge a besoin de temps pour se déployer, et quand le temps ne vous est plus donné mais compté, sa place devient de plus en plus précaire. La meilleure manière de démasquer le mensonge est peut-être de le formaliser. D’où l’importance de le décrire en l’écrivant.

C’est ainsi qu’il disparaît. Dès lors, l’écriture devient un fossoyeur à mensonge, ce qui répare, ce qui soigne. Elle a, indéniablement, l’indépassable pouvoir de clarifier les choses. Néanmoins nous nous devons de conserver toute son importance au langage, cet authentique fabriquant d’histoires. Mon frère aîné m’en avait judicieusement informé: «Ça n’est pas parce que l’on a menti que l’on doit jeter le langage...»

Dès votre enfance, vous êtes conscient du racisme et des préjugés qui vous entourent. Diriez-vous que votre parcours a été marqué par le déterminisme social?
Mon parcours a définitivement été marqué par le déterminisme social. De plus, faire partie de la caste des intouchables ou celle plus adaptée aux démocraties qui serait les «inapprochables», idiome beaucoup plus lisse et acceptable par la doxa, peut constituer la mort sociétale ou une formidable chance. Pour moi, juif, cela a été une formidable chance.

Car l’exclu, le frustré, doit forcément produire beaucoup plus d’efforts que tous ceux qui sont bien nés et qui finissent par payer d’une manière ou d’une autre la noblesse de leur extraction. J’avoue que rien ne peut contenir plus d’énergie et de force que le déterminisme social lorsqu’il produit des manques et des frustrations qui sont le socle de ladite énergie, du courage, doublé de la détermination.

Deux personnages emblématiques et récurrents traversent avec force votre confession intime; votre mère et le Maroc…
Si l’on peut identifier le Maroc à un personnage, alors oui parfaitement. Mais en fait, ma mère et le Maroc c’est un peu la même chose. Le premier, ma mère, que Dieu ait son âme, que je remercie au passage et tous les jours de m’avoir fait naître au Maroc, est la matrice qui a oeuvré pour ma naissance. Et le Maroc, c’est la terre dans laquelle j’ai été pétri et qui me parle chaque fois que je la foule.

Et, il en sera ainsi jusqu’au jour où je la rejoindrai pour me ré-amalgamer à elle, lui rendre de manière ultime le prêt qu’elle m’a fait d’une partie d’elle-même. Nous ne sommes pas simplement nés sur une terre, mais nous sommes surtout et avant tout faits d’une terre à l’image d’Adam (qui signifie «terresang » au sens littéral «Adama-Dam»). Et le jour où le dialogue entre nous et la terre que l’on foule se rompt, il nous faut vite la quitter et rejoindre notre terre d’extraction pour rétablir d’urgence un dialogue.

Pourquoi avez-vous consacré un Tome 2, en cours d’écriture, à ce récit intime tour à tour drôle et philosophique qui se nourrit de votre identité franco-marocaine et évoque votre retour au Maroc?
Le Tome 2 n’est pas exclusivement consacré au retour au Maroc. On y trouve des résurgences de ce malentendu que j’ai vécu avec la France à qui je dois beaucoup néanmoins, mais que j’ai quittée avant qu’elle ne reprenne tout ce qu’elle m’avait si gentiment donné. Tout cela est confus. Le seul résultat tangible au coeur de toute cette histoire, c’est qu’il m’a fallu un peu plus de cinquante ans pour découvrir, hébété, que j’étais marocain après avoir sciemment voulu l’ignorer. Et, pour finir, j’ai enfin compris le caractère mosaïque dans lequel ce concept s’épanouit et dont je suis une composante à part entière.

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