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Interview de Zakya Daoud: "Il existe un Maroc d'avant l'islam"

 

 

Interview de Zakya Daoud: "Il existe un Maroc d'avant l'islam"

HuffPost Maroc  |  Par Dominique Claudon

 

 

 

 

HISTOIRE - L’Afrique du Nord a eu un roi peu commun: Juba II. Esthète, bâtisseur, auteur d’une quantité d’ouvrages naturalistes et historiques notamment, il dirigeait la Maurétanie. Son royaume s’étendait du Maroc oriental jusqu’à la Tunisie, en passant par tout le nord de l’Algérie. La journaliste-écrivaine Zakya Daoud revient sur ce personnage à travers un livre intitulé Juba II, roi, savant et mécène.

HuffPost Maroc: On présente habituellement Juba II comme un roi berbère. Or vous n’utilisez ce terme que deux ou trois fois dans le livre et jamais le mot "amazigh". Pourquoi?

Zakya Daoud: Son caractère berbère me semblait tellement évident que je n’ai pas insisté. En fait, c’était un roi punique.

Punique… C’est-à-dire d’origine phénicienne.

Oui, carthaginoise. Il parlait punique, a "ressuscité" ses ancêtres puniques et a organisé des cérémonies en leur honneur lorsqu’il s’est marié à la fille de Cléopâtre et de Marc-Antoine.

Vous rappelez au début du livre que Juba II est numide d’ascendance, romain par son éducation, sa formation, sa citoyenneté, grec par ses références culturelles et religieuses, égyptophile par sa femme Séléné-Cléopâtre. Est-ce qu’un tel héritage est de nature à interpeller le Maroc d’aujourd’hui, ou est-ce trop éloigné dans le temps?

Il est certain que c’est très loin, mais cela montre que le Maroc existait avant l’islam. Cela ne veut pas dire qu’il faille évacuer l’islam de notre histoire, mais que ce pays a toujours été un melting-pot culturel et humain en quelque sorte.

À part cela, qu’est-ce qui a retenu votre attention dans le contexte et le parcours de Juba II?

C’est d’une part la vie de Juba, ses écrits, qui ont tellement été pillés que l’on finit par se demander s’il en est l’auteur. Donc la trace qu’il a laissée est très ténue. D’autre part, il faut attirer l’attention sur la façon dont les Romains colonisaient le Maghreb, à travers la construction de villes, de routes, l’érection de statues, la gestion, etc. Leur modèle était Rome!

Du même coup, vous êtes fascinée par ce Maroc où Juba II a régné...

Au départ, je ne voulais parler que de sa vie. Puis je me suis laissée entraîner à parler du Maroc de l’époque. Juba II était un roi tributaire de l’Empire romain, mais grâce à sa stature, il n’était pas considéré pas comme un vassal, contrairement à des monarques de l’Asie – comme Hérode, "roi de Judée". Juba II avait gardé ses richesses pour lui, alors que les Romains auraient pu tout capter.

Et votre intérêt pour cette phase de l’Antiquité en Afrique du Nord?

Si l’on regarde la période avant Juba II et celle après lui, on constate qu’il a réussi à sauvegarder la paix dans son royaume, en dépit de temps troublés. Contrairement à des souverains de périodes proches dans la région, il était un découvreur – celui des îles Canaries en particulier –, un homme de culture, un roi esthète.

Vous mentionnez la présence modeste de juifs en Maurétanie. On sait que le judaïsme était une religion en expansion sur le bassin méditerranéen dans l’Antiquité et que l’existence de Maghrébins de confession juive remonte à cette époque. Mais on n’en apprend pas davantage dans votre livre...

En vérité, je n’ai pas plus d’éléments. Tout ce que je sais, c’est que l’on adorait de multiples divinités grecques et puniques, parfois sous couvert de culte romain – ce qui attestait d’un certain pluralisme religieux –, et que la population se caractérisait par des origines très diverses: des Gaulois, des gens d’Europe du Nord… Les légions romaines, c’était tout un mélange.

Dans l’histoire du royaume de Juba II, la Maurétanie, Volubilis avait une grande importance, puisque c’était la seconde capitale de facto. Estimez-vous que l’on néglige trop ce lieu d’un point de vue touristique, patrimonial, alors qu’il y aurait de quoi le valoriser?

C'est un fait, on néglige les lieux patrimoniaux de cette époque. Regardez ce qui se passe à Larache (appelée Lixus dans l’univers romain) Il ne reste plus grand-chose. Ce sont des ruines dans tous les sens du terme. Y a-t-il des visiteurs? En tout cas, la visite n’est même pas balisée!

Pour faire ce livre, je suis allé au musée de Tétouan. C’est assez délaissé. Rien n’est expliqué. On y trouve de très belles mosaïques provenant de Volubilis, mais pas tellement mises en valeur… Quand on va au Musée des arts antiques de Rabat, on a l’impression que c’est vide et que des pièces ont disparu; on se demande si le buste de Juba II n’est pas une copie. Voilà une période qui n’est pas du tout honorée.

À propos de Volubilis, vous racontez que les habitations étaient chauffées si nécessaire. C’est frappant, vu de notre époque, entre autres, et vu de nombreux pays actuels.

En effet. De plus, il y avait de l’hygiène, un système de distribution d’eau… C’étaient des villes modernes, développées, pour l’époque.

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