Israël-Palestine : Pour qui travaille le temps ?
Par Gérard Fellous
Au-delà des péripéties de l’actualité, au-delà des déclarations belliqueuses de volonté de détruire Israël, au-delà des accusations réciproques d’entêtement et de manque de volonté de paix, la question se pose de savoir pourquoi, 64 ans après la décision de partage de la Palestine en deux États, l’un juif, l’autre arabe, proclamée par les Nations Unies, le conflit israélo-arabe, puis plus précisément aujourd’hui israélo-palestinien n’a-t-il toujours pas été réglé ?
Pour tenter de répondre à cette question, on peut justement se demander si cet état de tension n’est pas, en réalité, souhaité et entretenu par les uns et les autres? En d’autres termes : pour qui travaille le temps, au Proche Orient ?
En philosophie de la politique étrangère, il faut rappeler la genèse de ce conflit qui se situe dans le rejet, par les États limitrophes et par la Ligue arabe, de la décision onusienne de partage, dans une tentative d’envahissement de l’État d’Israël naissant. Le contexte international était alors dominé par la « guerre froide » entre la sphère soviétique et le monde occidental démocratique. Le Proche-Orient se trouve plongé dans la stratégie de politique étrangère du «containment» » -endiguement, en français- mise au point dès 1946 par les États-Unis pour soutenir les peuples libres, face au marxisme. La transposition régionale de l’endiguement s’est faite alors face au monde arabo-musulman. Elle est depuis mise en œuvre par tous les protagonistes du Proche-Orient.
--En premier lieu, par les pays arabes eux-mêmes : Deux exemples en sont donnés, l’un ancien, l’autre actuel :
Depuis la guerre lancée contre Israël par la coalition arabe de 1948, et la promesse faite aux Palestiniens de bientôt leur offrir un pays, les pays arabes, comme, la Jordanie, le Liban ou la Syrie, ont endigué les Palestiniens qui les ont suivis dans des « camps de réfugiés », les empêchant de s’intégrer, afin d’entretenir des dizaines de foyers de futurs combattants.
Cette stratégie du "containment" palestinien avait par ailleurs pour vertu cynique de créer et de maintenir la fiction d’un « monde arabe » uni et cohérent et d’une Union arabe factice, entre pays qui n’avaient, et qui n’ont aujourd’hui rien de commun. Il s’en est suivi deux conséquences non prévues : Une émigration massive de Palestiniens formant une diaspora en Afrique ou aux Amériques où elle prospère en s’intégrant. Mais aussi, plus récemment avec les « Printemps arabes », la transformation d’une « guerre de libération nationale » de la Palestine, en une guerre religieuse d’un choc de civilisations (Djihad) dont les conséquences peuvent être catastrophiques pour le monde.
À l’intérieur même des pays musulmans de la région est apparue, au cours des dernières années, une stratégie de l’endiguement face à l’Iran chiite dont l’objectif est de devenir la puissance régionale dominante. Ce heurt entre sunnites et chiites du Proche et du Moyen-Orient trouve aujourd’hui des retombées en Syrie, à Gaza ou au Liban. Les victoires de l’un ou l’autre camp se mesurent également à l’aune des agressions contre Israël. Cette surenchère est d’autant plus dangereuse qu’arrivent actuellement au pouvoir les partis religieux de la mouvance sunnite des Frères musulmans, depuis la Tunisie jusqu’à, demain, la Syrie.
--Pour Israël, l’endiguement face aux Palestiniens est évident. Il est existentiel, en particulier face à la condition préalable que ceux-ci veulent imposer dans une négociation de paix, à savoir l’application d’une « loi du retour » dans l’État israélien des Palestiniens en exil. Il faut ajouter la stratégie israélienne d’implantation en Cisjordanie.
Enfin, ce «containment» est également pratiqué dans la région par les grandes puissances à la recherche de zones d’influence :
La scène diplomatique proche-orientale comporte aujourd’hui plusieurs acteurs : Les États-Unis d’Amérique, en premier lieu, mais plus récemment la Russie et même la Chine. S’y ajoutent des puissances régionales telles que l’Iran chiite d’une part, et d’autre part l’Arabie Saoudite et les Émirats sunnites, et plus récemment la Turquie qui brigue aujourd’hui le rôle jadis joué par l’Irak face à l’Iran. Enfin, les anciennes puissances coloniales, la France et le Royaume-Uni, qui ne peuvent s’y exprimer pleinement qu’en accord avec l’Union européenne. Il faut noter que l’OTAN, qui est justement l’avatar de la politique américaine de «containment» de la moitié du siècle dernier, se manifeste en apportant son soutien militaire à la Turquie. Pour la première fois, l’OTAN fut sollicitée par les Nations Unies pour intervenir dans la région, lors de la chute du libyen Kadhafi.
Reste que cette doctrine de l’endiguement n’entraine pas, ipso facto, celle dite de la « libération des peuples », faisait remarquer Raymond Aron. Pour celui-ci, « quand les États aux prises appartiennent à un même ensemble de civilisation, quand ils obéissent à la même conception des rapports internationaux, quand ils utilisent également des diplomates liés par une même éthique professionnelle et un même machiavélisme raisonnable, les compromis sont négociés, conformés, ratifiés ». Il semble bien que ces trois conditions pour entamer des négociations de paix entre Israël et les Palestiniens soient encore difficilement réunies aujourd’hui. Il faudra encore donner du temps au temps. En attendant, l’État d’Israël devra encore faire face à des soubresauts et affermir son existence.
Gérard Fellous
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