Johnny Hallyday : le roi est mort
Avec la disparition, dans la nuit de mardi à mercredi, du plus grand rocker français à l'âge de 74 ans, plusieurs générations de Français sont en deuil. En un demi-siècle, le showman était devenu un monument national.
Par Serge Raffy - NouvelObs.com
Existe-t-il un paradis des rockers ? Est-ce Nashville, Memphis ou Liverpool ? Pour Johnny Hallyday, il faut chercher du côté de Tulsa, deuxième ville de l'Etat de l'Oklahoma, entre le Missouri et l'Arizona, où naquit son père de substitution, Lee Ketchman, alias Lee Halliday, un danseur américain. Lee, fan de Fred Astaire, épouse Desta, la cousine de Johnny et ne quitte plus ce gamin aux yeux limpides. Il le berce d'histoires de cow-boys et d'Indiens, de grandes plaines, de déserts à perte de vue.
Johnny n'est pas né à Paris comme l'indique son état-civil, mais dans cette partie de l'Amérique profonde, où la route n'a pas de fin. Il a vécu toute sa vie dans la nostalgie d'une terre fantasmée, celle de John Huston et de Clint Eastwood.
Quand le rock a déboulé dans la France du gaullisme triomphant, il était écrit que ce gamin qui traînait dans le quartier de la Trinité avait été programmé pour le recevoir. Au fond, il était aussi américain qu'Eddy Cochran et Buddy Holly. Une nationalité imaginaire plus riche que tous les passeports. Depuis, ce fils d'un poète maudit belge et d'une crémière de Montmartre, n'a fait que brandir cette nostalgie devant son public. C'est le mystère Johnny. Par quelle alchimie, ce roi du déhanchement et du rythme binaire a-t-il maintenu ce lien inoxydable avec la France profonde ?
Comment un homme qui rêvait de vivre en Harley-Davidson entre Kansas City et Albuquerque a-t-il séduit les mangeurs d'escargots ? Parce qu'il a joué "Easy Rider" à domicile. Cinquante ans à innerver la France de Dunkerque à Perpignan, à faire don de ses boyaux aux ouvriers, aux marins pêcheurs, aux caissières de supermarché, aux employés de banque. Johnny est une légende vivante. Il voulait terminer en beauté. Dans un feu d'artifice de concerts grandioses.
C'était sa dernière tournée, celle du "patron", comme le surnommaient les chanteurs de la nouvelle génération, ces gamins qu'il bluffait dès qu'il entrait sur scène. Le gamin de Montmartre était devenu un monument national, entre de Gaulle, BB et la tour Eiffel. Le secret de la mythologie Hallyday ? Il avait l'art du rebond. La bête de scène était un phénix, renaissant sans cesse de ses cendres, multipliant morts et résurrections professionnelles, depuis l'époque du Golf Drouot jusqu'aux grands-messes du Stade de France.
Il entretenait sans cesse, avec une rare habileté, le syndrome de la chute, de l'homme au bout du rouleau, au bout de ses amours, au bout de ses rêves. Les puristes du rock le vomissaient. Ils le traitaient de beuglard, d'ersatz béret-baguette d'Elvis Presley. Johnny et ses millions de fans s'en moquaient. La communion entre lui et son public était dans ce cri, celui de ceux qui ne se sentent jamais à leur place. Dans quel Panthéon va-t-on installer sa statue ? Lui, sans doute, en se posant souvent à Los Angeles, se rapprochait de son "pays natal", le pays des cow-boys et des Indiens. Il ne finira jamais dans un virage de la route de Tulsa, là où le vent, le sable et le goudron se perdent dans la lumière blanche de l'Oklahoma.
Serge Raffy
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