LA DERNIÈRE SÉANCE DES FRÈRES TAVIANI
Avec la disparition de Vittorio Taviani, un mois avant l’ouverture du dernier festival de Cannes, c’est l’une des plus célèbres fratries du cinéma qui s’est éteinte.
Par Elie Korchia
Avec la disparition de Vittorio Taviani, un mois avant l’ouverture du dernier festival de Cannes, c’est l’une des plus célèbres fratries du cinéma qui s’éteint, tant Paolo et Vittorio Taviani étaient indissociables dans leur travail de création, eux qui avaient l’habitude de se comparer au café au lait, dans lequel « il est impossible de dire où commence le café et où finit le lait”
Moins connus que les frères Coen ou Dardenne, les Taviani auront réussi à bâtir une œuvre cinématographique exigeante et sans concession, dans la pure tradition du néoréalisme italien, qu’ils avaient découvert à l’orée des années 50 au travers de l’œuvre de Roberto Rossellini.
Fils d’un avocat antifasciste, les deux cinéastes se seront par ailleurs souvent inspirés d’œuvres littéraires, et même si certains de leurs films n’ont pas très bien vieilli, nous aurons été fortement marqués par trois de leurs opus, qui se situent à trois périodes clés de leur filmographie.
Padre padrone, tout d’abord, qui est sélectionné en compétition officielle au festival de Cannes 1977 etremporte, à la surprise générale, la Palme d’or. Adapté d’un roman autobiographique, le film raconte l’histoire d’un jeune berger qui tente d’échapper au pouvoir despotique de son père, qui l’a contraint à abandonner l’école et le fait vivre dans l’isolement le plus complet. A travers une mise en scène dépouillée et radicale, qui fait ressortir toute la brutalité du rapport humain entre le père et le fils, les frères Taviani réussissent alors un coup de maître, en dépit de fortes critiques et d’une célèbre polémique cannoise.
En 1982, La Nuit de San Lorenzo confirmera tout le talent des Taviani et remportera le Grand prix du jury sur la Croisette, avec un scénario qui s’inspire d’un court documentaire réalisé par eux en 1954, autour du massacre perpétré par les nazis dans la cathédrale de leur commune natale en juillet 1944. Enfin, la fratrie nous avait surpris en 2011 en réalisant une étonnante fiction, sur fond de documentaire tourné en noir et blanc, César doit mourir, récompensé par l’Ours d’or au festival de Berlin en 2012.
On y découvrait sur la scène du théâtre d’une prison, un groupe de détenus transformé en troupe de théâtre, achevant la représentation du “Jules César” de Shakespeare. Une fois la pièce terminée, les prisonniers regagnaient leurs cellules et quittaient la lumière des projecteurs pour l’ombre de leur enfermement.
35 ans après La Nuit de San Lorenzo, le dernier film des Taviani, Une affaire personnelle, revient sur la période de la Seconde Guerre mondiale et nous livre cette fois une histoire d’amour contrariée et obsessionnelle sur fond de Résistance, dans une Italie en proie à la guerre civile. Nous sommes ici en 1943 sur les collines embrumées du Piémont, alors que les partisans attendent la progression des alliés et qu’ils doivent affronter, au détour de dangereux sentiers, les Chemises noires de la république de Salo.
Un jeune partisan dénommé Milton revient par hasard dans la maison de campagne où il était tombé amoureux avant-guerre de la belle Fulvia, auprès de laquelle il composait avec son ami Giorgio un étrange et attachant trio amoureux, à la Jules et Jim. Apprenant par l’ancienne gouvernante des lieux que Fulvia et Giorgio étaient très proches avant le récent départ de la jeune femme pour la ville, Milton décide de se lancer à corps perdu à la recherche de son ami (et potentiel rival) avant d’apprendre qu’il vient d’être fait prisonnier par les fascistes...
Adapté d’un récit autobiographique, ce film pictural et testamentaire nous plonge ainsi dans le brouillard des Langhe et les affres de la guerre, entremêlant constamment et avec un lyrisme étonnant des scènes de combat et une troublante quête initiatique.
Au moment d’écrire ces lignes, nous avons à l’esprit cette phrase qu’avait prononcée Vittorio Taviani à l’automne de sa vie : “le cinéma est ma vie parce que sinon, je serais seulement un fantôme et tous les rapports avec les autres se dissoudraient dans le brouillard”.
Article publié dans le magazine Information Juive
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