La Dignité de Penser, par Leo Ferre
Je sais que vous avez envie que je vous dise ce que j'adore ou ce que je hais, c'est plus fort. Eh bien, allons-y!
Je hais la bêtise, sous toutes ses formes. Ça ne veut pas dire que je me pense, et veuille me faire paraître, très intelligent. Sincèrement, je ne sais pas ce que c'est, d'être très intelligent...On est intelligent pour ceci ou pour cela, on est doué, on a du talent. Le génie, vous savez la phrase de Jacques Iber : c'est 5 % d'inspiration et 95 % de transpiration.
Je hais l'ennui, et la bêtise distille l'ennui. «La bêtise au front de taureau», comme disait Baudelaire. Remarquez que je ne suis pas tellement d'accord avec lui, car je préfère personnellement le taureau au toréador....
Je hais les gens faux et hypocrites, je hais la lâcheté, la lâcheté morale. Je ne hais pas celui qui fuit sous les bombes, car je hais la guerre...
Je n'aime pas les meubles modernes, la pluie quand elle s'attarde, le plastique quand il quitte la cuisine et qu'il se prend pour un objet d'art, les académies, quelles qu'elles soient, car on y vieillit trop vite.
Les jurys.Je hais les jurys de toute mon âme, les critiques, quand pour faire un mot ils détruisent une pièce de théâtre ou un livre, les critiques à l'aise devant un art difficile.
Je hais les foules muettes devant un pantin de la politique. Je hais, au fond, je hais ce qui est haïssable comme on dit, et cela fait beaucoup au bout du compte.
J'adore le soleil, tous les soleils, je hais les cours sombres et humides. J'adore les fleurs des champs, je hais les fleurs artificielles, j'adore les gens qui cueillent les fleurs des champs, je hais les gens qui achètent des fleurs artificielles. J'adore le vent, la nature, le bruit des choses de la vie simple, je hais le bruit des voitures devant ma maison et les trompettes de l'apocalypse quand elles font pin-pon pin-pon comme les pompiers et l'ambulance.J'adore l'air libre et que l'on respire à grandes gorgées avec un être qu'on aime et qu'on adore.
J'adore les chiens. Ça, c'est autre chose. Tous les chiens. Je ne peux pas vivre sans chien. J'ai dû être chien dans une autre vie. Les chevaux, les éléphants, si un jour je suis très riche, vous voyez ce que je veux dire... Je vais finir par vous raconter ce que j'aimerais avoir. Non, ça aussi, c'est un autre chapitre. J'adore ma femme, aussi, et depuis si longtemps que cela revient à dire que j'adore notre fille. J'adore la musique, la belle musique. C'est tout. C'est beaucoup d'adoration.
J'adore la vie, j'ai une peur atroce de mourir. Même très malheureux, je n'ai jamais voulu mourir.
LEO FERRE .Extrait de l'émission Le Roman Des vedettes, 1960.
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