La Russie et l’Occident : vers une nouvelle guerre froide ?
David Bensoussan
L’auteur est professeur de sciences à l’Université du Québec
La Russie a un visage européen mais est également influencée par une composante asiatique non négligeable : la population slave s’est enrichie de populations mongoles lors des invasions successives des Huns d’Attila, des Mongols de Gengis Khan, de la Horde d’or et des Tatars. Néanmoins, le peuple russe a conscience de sa personnalité, de ses capacités et de son identité en propre.
La résignation devant la rigueur du climat et l’immensité du territoire ont forgé la volonté de remonter les défis force volonté, discipline et endurance, sans sombrer dans le pessimisme ou la fatalité. Bien au contraire. La littérature russe traduit souvent des pressentiments de destinée personnelle et nationale qui frôlent le mysticisme. La finesse psychologique de la culture livresque, la créativité artistique, la musique et la danse ont un très haut niveau de sophistication. La Russie peut s’enorgueillir d’un niveau scientifique très élevé même si elle n’a pas les capacités de mises en marché de beaucoup d’autres pays.
Au XVIIe siècle, pour sortir la Russie de son retard par rapport à l’Occident, le tsar Pierre le Grand amorça un programme d’occidentalisation visant à réformer l’ensemble du système d’éducation. Il alla même jusqu’à forcer les boyards de raser leur longue barbe et les Moujiks de se vêtir à la manière occidentale. Les slavophiles russes ne l’entendaient pas de la même oreille, convaincus que l’âme russe pouvait s’épanouir avec sa propre vision chrétienne orthodoxe qui n’avait rien à envier à l’église de Rome.
Il n’en demeure pas moins que la politique autoritaire de Pierre le Grand permit à la Russie de rattraper son retard technologique et de surmonter les assauts suédois en 1709 puis français en 1812 au prix de lourdes pertes, de la même façon que Staline le fit au lendemain de la Première Guerre mondiale en développant une infrastructure industrielle et militaire qui permit de repousser l’invasion nazie jusqu’à Berlin.
Historiquement, les Russes se sont résignés à la dictature pour surmonter des défis énormes. Après la chute du Mur de Berlin, un vent d’occidentalisation souffla partout en Russie : depuis la musique américaine jusqu’aux restaurants de fast food. Cette euphorie ne dura pas très longtemps en raison de la transition sauvage du mode de gestion communiste centralisé au libéralisme économique ouvert à des initiatives privées. La déception devant la perte de repères économiques traditionnels et la corruption ont fait regretter l’autoritarisme préexistant.
La nostalgie du puissant Empire qui a perdu sa souveraineté sur près de 2 millions de kilomètres carrés - soit plus que l’équivalent de l’Europe ou l’Inde – prend le dessus. La confiance des Russes envers l’Occident est minée par l’impression qu’ils ont d’avoir fait le jeu d’un ordre mondial américain avant toute chose. La méfiance envers l’Occident entretenue durant 75 ans de communisme n’a pas complètement disparu et l’Occident est souvent dépeint comme décadent ou encore aux prises avec des partis fascisants. La Russie d’aujourd’hui oscille encore entre l’occidentalisation et le repli sur soi.
La Russie a subi des revers militaires sérieux en Afghanistan entre 1979 et 1989. Elle a perdu la guerre froide tout comme elle avait perdu la guerre de Crimée en 1853-56, la guerre russo-japonaise de 1904-1905 ou la Première Guerre mondiale qui se termina par la fin de la dynastie des Romanov. Il reste que la Russie du régime des tsars et du régime communiste a historiquement étendu son territoire et son influence sur l’Eurasie au cours des derniers siècles. C’est aujourd’hui une cyberpuissance qui dispose du plus grand arsenal d’armes nucléaires sur la planète. Qui plus est, Le dispositif d’armes conventionnelles de la Russie et ses grandes manœuvres militaires terrifient ses voisins de toute l’Europe.
Combinant charme et rudesse, affabilité et pragmatisme proactif, la politique russe a toujours eu un facteur d’imprédictibilité. Le président Poutine tient les rênes d’un pays en crise mais néanmoins équipé d’une formidable machine militaire homogène. Bien des Russes font confiance au président Poutine pour que leur pays puisse rebondir comme il l’a fait par le passé au prix de lourds sacrifices.
Poutine veut redorer le blason de la Russie en jouant la carte de la realpolitik. Il peut cependant aliéner l’Occident par des actions intempestives qui peuvent résulter en des sanctions et contre sanctions stériles, risquant de retarder ainsi le rapprochement dont la Russie et le reste du monde pourraient grandement tirer parti. En outre, un nouvel espace économique se consolide au travers l’Organisation de coopération de Shanghai, l’Union économique eurasiatique, respectivement contrôlés par Beijing et Moscou. La Chine devient une superpuissance économique qui défie la suprématie américaine et la collaboration militaire entre la Russie et la Chine est par ailleurs grandissante. Les contacts plus fréquents entre les présidents russe, iranien et turc – ces deux derniers tiennent un langage acide à l’égard des États-Unis - pourraient résulter en la formation d’un bloc eurasien formé de régimes autoritaires qui s’éloigneraient de plus en plus de la démocratie libérale occidentale.
Serait-on à la veille d’une nouvelle guerre froide ?
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