La victoire de Trump : ce qu’elle est, ce qu’elle n’e
st pas (info # 011411/16) [Analyse]
Par Sébastien Castellion © Metula News Agency
Depuis la victoire de Donald Trump aux élections présidentielles américaines, les mêmes explications – parfois contradictoires entre elles – et les mêmes slogans sont répétés en boucle par les analystes. Etrangement, peu d’entre eux font référence au décompte effectif des voix et aux résultats des sondages effectués à la sortie des urnes. Pour peu qu’on se penche quelques minutes sur ces données, il est aisé de distinguer celles des explications qui ont un fond de vérité et celles qui ne correspondent à rien. Sans ordre particulier, voici ce qu’on lit et entend dire sur la victoire de Trump et comment ces théories correspondent, ou non, aux faits disponibles (source : Pew Research).
1. La victoire de Trump est une revanche de l’Amérique blanche sur les minorités
Diagnostic : faux. Les Républicains obtiennent traditionnellement la majorité des votes blancs, mais cette majorité a été un peu plus serrée pour Trump qu’elle ne l’avait été pour le très modéré Mitt Romney en 2012. Trump a obtenu 58% du vote blanc, là où Romney en avait obtenu 59%.
A l’inverse, Trump a obtenu un meilleur résultat que Romney parmi les principales minorités ethniques : 8 % du vote noir, contre 6 % pour Romney, et 29% du vote latino contre 27% pour Romney.
Il a, en revanche, gagné plus largement parmi les hommes et perdu plus fortement parmi les femmes que son prédécesseur : 53% des hommes et 42% des femmes ont voté Trump contre, respectivement, 51% et 44% pour Romney quatre ans plus tôt.
2. La victoire de Trump est celle des sans-diplômes sur les diplômés
Diagnostic : vrai. Les diplômés de l’Université ont soutenu Clinton par 52% contre 43% à Trump ; ceux qui n’ont pas de diplôme universitaire ont voté Trump à 52% contre 44% pour Clinton. Cet écart est très supérieur à celui que l’on avait observé quatre ans plus tôt (les diplômés avaient voté Obama à 51% contre 47% et les non-diplômés avaient voté Romney à 50% contre 48%).
Le creusement de l’écart parmi les non-diplômés est principalement dû au score exceptionnel réalisé par Trump parmi les non-diplômés blancs : 67% contre 28% pour Clinton. En 2012, les blancs sans diplôme avaient aussi voté Romney, mais avec un écart plus limité (61% contre 36% pour Obama). A l’inverse, Trump a gagné parmi les blancs diplômés avec un écart plus limité que Romney : 49% contre 45% pour Clinton, alors que Romney avait remporté 56% de ces électeurs contre 42% pour Obama.
3. La victoire de Trump prouve une mobilisation exceptionnelle de ses électeurs
Diagnostic : faux. Malgré les efforts rhétoriques du président-élu pour faire passer sa victoire pour le résultat d’une lame de fond électorale, la vérité est que les électeurs américains ont été, mardi dernier, plus apathiques qu’ils ne l’avaient été depuis 20 ans. Seuls 55% des inscrits sont allés voter, contre 64% en 2008 et 60% en 2012. Par conséquent, Trump a reçu moins de vote dans sa victoire (60,3 millions comptés au dimanche 13 novembre) que Romney dans sa défaite (60,9 millions).
4. La victoire de Trump est une erreur démocratique, puisque Clinton a obtenu plus de voix que lui au scrutin populaire
Diagnostic : faux. Il est vrai que Clinton a obtenu plus de voix (60,9 millions comptées le dimanche 13 novembre). Mais ces chiffres sont eux-mêmes le résultat d’un mode de scrutin qui décourage les électeurs d’aller voter s’ils vivent dans un Etat acquis d’avance à l’un ou à l’autre parti. Les électeurs qui vivent en Californie ou en Utah savent que leur voix n’aura pas d’influence sur le résultat final, car la majorité Démocrate ou Républicaine, respectivement, est trop forte. Par conséquent, ces électeurs ont un taux de participation très faible, alors que les électeurs des Etats capables de passer d’un bord à l’autre – Ohio, Floride, Pennsylvanie, Michigan etc. – sont fortement mobilisés.
Ainsi, mardi dernier, 65% des habitants de l’Ohio sont allés voter, contre 53% en Californie et 46% dans l’Utah. C’est la mobilisation des Etats marginaux qui reflète l’état d’esprit réel du pays, et non le total national des voix – comme le prouve d’ailleurs la victoire du parti Républicain aux élections de la Chambre des Représentants et du Congrès qui avait lieu le même jour.
5. La victoire de Trump est une menace pour la démocratie
Diagnostic : faux. Le processus démocratique a parfaitement fonctionné. Les cas de fraude électorale (presque toujours favorable aux Démocrates) signalés à ce jour sont, pour l’instant, moins nombreux que lors des élections précédentes.
Pour l’avenir, l’équilibre des pouvoirs sera assuré par la sociologie des cercles de pouvoir. Il est vrai que la présidence et les deux Chambres du Congrès sont aux mains des Républicains pour au moins les deux prochaines années. Mais Washington est dominé par des professionnels aguerris de la politique, métier dans lequel Donald Trump n’a aucune expérience. Il aura besoin, pour faire passer ses propositions, du soutien de gens qui ne dépendent nullement de lui pour se faire réélire ; il lui sera donc mécaniquement impossible d’augmenter ses propres pouvoirs plus qu’il n’est raisonnable.
De plus, la majorité des juges en place a été nommée par des présidents Démocrates ou par la très modérée famille Bush. La presse est massivement hostile au nouveau président élu, ce qui garantit que toute erreur du président, ou toute tentative d’augmenter ses pouvoirs, sera immédiatement dénoncée aux citoyens.
Un seul mouvement vraiment anti-démocratique s’est manifesté depuis l’élection : celui des manifestants d’extrême-gauche qui, pour protester contre une élection gagnée dans les règles, vandalisent depuis quatre jours les grandes villes américaines, attaquant physiquement à l’occasion les passants soupçonnés d’avoir mal voté. Pendant la campagne, plusieurs commentateurs ont annoncé qu’en cas de victoire de Trump, des fascistes descendraient dans les rues. Il est manifeste aujourd’hui que ces commentateurs avaient raison.
6. Trump est imprévisible
Diagnostic : partiellement vrai. D’une part, le président-élu a bien un programme : arrêter l’immigration clandestine en construisant un mur sur la frontière mexicaine et en déportant les clandestins condamnés pénalement ; augmenter les barrières à l’importation pour protéger les emplois américains ; améliorer les infrastructures en incitant fiscalement les banques à multiplier les prêts pour la remise à niveau des routes et des centres-villes américains en déshérence ; renégocier les alliances internationales pour faire payer plus cher aux alliés le prix de la protection militaire américaine ; améliorer les relations entre les Etats-Unis et la Russie.
Il n’y a aucune raison de penser que son action future ne suivra pas les grandes lignes de ce programme : l’homme n’est donc pas, à proprement parler, imprévisible.
D’autre part, cependant, le détail des mesures à prendre reste flou. Cela est d’autant plus marquant que le programme du président élu n’a pas été écrit pour lui par des groupes de pression finançant sa campagne, contrairement à Bush, fortement influencé par les intérêts pétroliers et saoudiens ; à Obama, formé et encadré par la machine politico-syndicale de Chicago ; ou à Mme Clinton, qui s’était construit, avec les années, un gigantesque trésor de guerre en multipliant les promesses contre paiement aux groupes de pression.
Trump est, pour la première fois sans doute dans l’histoire américaine, entièrement indépendant. Il n’appartient à aucun groupe de pression – ce qui signifie aussi que le détail de la mise en œuvre de son programme dépendra entièrement des nominations qu’il annoncera dans les prochaines semaines. Tant que les personnages principaux de son administration ne sont pas connus, il continue à régner une certaine imprévisibilité autour du détail de ses intentions.
7. La victoire de Trump est la preuve de l’échec d’Obama
Diagnostic : vrai. Le parti Démocrate a connu, pendant les huit ans de présidence d’Obama, un déclin impressionnant : de 51 à 48 Sénateurs, de 233 à 188 membres du Congrès, de 28 à 18 gouverneurs d’Etats. Si l’on compte les législateurs des Etats fédérés, c’est près d’un millier de décideurs politiques Démocrates qui ont été remplacés par des Républicains pendant l’ère Obama.
La personnalité du président Obama continue certes, dans l’ensemble, à être jugée favorablement. Mais sa présidence restera associée à des évolutions politiques qui ont déconsidéré le parti Démocrate dans une part croissante de l’opinion.
En politique intérieure, la réforme du système de santé a très lourdement aggravé le coût des primes d’assurance pour des dizaines de millions d’Américains. Le déficit public a explosé : le président Obama a accumulé, à lui seul, plus de dette que les 43 présidents qui l’ont précédé. Les tensions raciales ont connu une grave recrudescence, avec une multiplication d’émeutes qui n’avaient eu aucun équivalent sous les deux précédents présidents. L’immigration clandestine a explosé et ne semble plus être contrôlée par personne. Le débat politique interne a perdu toute courtoisie, les Démocrates devenant de plus en plus enclins à dénoncer toute opinion discordante comme raciste, sexiste et homophobe, au lieu de chercher à discuter sérieusement.
En politique étrangère, l’Amérique d’Obama a projeté une image de faiblesse et d’indécision, cherchant désespérément et sans succès à réduire l’hostilité du monde musulman et présidant, impuissante, à l’implosion de la Libye, puis de la Syrie. L’immense puissance militaire américaine est largement restée en jachère, pendant que les alliés de l’Amérique perdaient confiance en elle et que ses ennemis – l’Iran au premier chef – profitaient de la faiblesse américaine pour améliorer le rapport de force en leur faveur sans rien donner en échange.
Personne ne sait si Trump saura redresser cette situation. Mais sa victoire montre l’insatisfaction profonde des Américains après huit ans d’administration Démocrate. A lui, désormais, de ne pas décevoir ses partisans comme Obama avait déçu les siens.
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