Lectures de Jean-Pierre Allali - L'affaire Sophie M., par Lionel Abbo et Yohan Perez
Si vous voulez vous détendre, courez vite vous procurer ce roman véritablement déjanté. On y croise des tas de girafes, un lot impressionnant de Sophie et plusieurs policiers juifs. Une délicieuse chakchouka sur fond d’enquête criminelle.
16 décembre 2022. Sur France Inter, la nouvelle vient de tomber : la célèbre chanteuse Sophie Marsault (Marceau ?) a été retrouvée morte à son domicile dans le 4ème arrondissement de Paris. Adorée des Français, celle dont le premier album La Bombe (La Boum ?) avait fait le succès. La piste criminelle se confirme.
« Pas de trace d’agression sexuelle. Juste une entaille de plusieurs centimètres sous la jugulaire ». La brigade scientifique note, parmi les quelques objets qui traînent sur le sol, un exemplaire des Versets sataniques de Salman Rushdie et une Sophie la girafe en caoutchouc. La commandante divisionnaire Victoire Miller est chargée de l’enquête sous la supervision du commissaire Lachkar et avec le concours d’une nouvelle recrue : Gabriel Goldman, petit génie en informatique. Destinées étonnantes que celles de Victoire et de Gabriel.
Victoire, tout en n’ignorant pas ses origines, a été élevée loin de toute pratique du judaïsme. Sa grand-mère a été déportée et c’est son père, qui, un jour où elle demandait à être baptisée, lui a soufflé : « tu es Juive ». La vie n’a pas été facile avec elle. Avec son compagnon Ben et leur bébé, elle a été victime de l’attentat terroriste du 14 juillet 2016 à Nice. Ben Vautier et le bébé y ont trouvé la mort. Elle a survécu par miracle, mais sa hanche est en mauvais état et elle ne se déplace pas sans sa canne.
Gabriel Goldman a, pour sa part, un parcours surprenant. Dernier d’une fratrie de huit enfants, il a passé toute son enfance rue Manin dans le 19ème arrondissement de Paris, il était destiné, par son père, natif de Fès, au Maroc, mais qui pratiquait couramment le yiddish, à lui succéder comme dayan, juge rabbinique. Il a vécu dans le milieu très fermé des Loubavitch, étudié en yeshiva à Jérusalem et, s’il a quitté cette congrégation pour intégrer la police, il reste très observant et ne manque pas de s’isoler régulièrement pour faire ses prières ou allumer les bougies de Hannouka discrètement dans son bureau…
Les Sophie abondent dans ce livre : entre autres, Sophie Malkowski, autiste Asperger qui collectionne les poupées Sophie, Sophie Hayes, sud-africaine militante de la défense des animaux et Sophie Musso, née Regnault, patronne des établissements Vulli qui fabriquent la poupée-girafe.
Pressés par le ministre de l’Intérieur et par le Président de la République qui veulent contenter une opinion publique excitée, Victoire et Gabriel mettent les bouchées doubles. Si Victoire, après un entretien avec Isabelle Adjani, penche pour une piste islamiste, Gabriel verrait plutôt l’action d’un shohet, un sacrificateur rituel juif comme son frère Joseph. On découvre que des meurtres du même type ont eu lieu un peu partout dans le monde, tous en rapport avec la girafe : six assassinats étalés sur trente-huit ans. Deux femmes et quatre hommes, une Française, un Ukrainien, un Allemand, un Écossais, un Sénégalais, une Japonaise. Et toujours, une poupée girafe et des traces noires à la Yayoi Kusama sur les corps des victimes. La police finira par avoir le dernier mot autour d’une dernière Sophie.
L’amour est au rendez-vous de ce récit décoiffant qui s’achève par un mariage à Jérusalem. Époustouflant !
Jean-Pierre Allali
(*) Éditions Hugo-Roman, juin 2023, 224 pages, 19,95 €
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