L'antisionisme, cet antisémitisme à visage "humain"
La France cache-t-elle qu'elle est antisémite? Les statistiques d'actes antisémites, que certains découvrent aujourd'hui, étaient déjà là depuis longtemps.
Daniel Leconte Producteur et réalisateur, prix Albert Londres
Pour combattre l'antisémitisme en France ce n'est jamais le bon moment. Il y a toujours une bonne raison pour ne pas le faire. Pendant l'occupation, la "bonne" raison, c'était la présence allemande. Dans la zone occupée, elle dissuadait la majorité des Français de tendre la main à "ces Français pas comme les autres". Mais dans la zone libre, c'était quoi la bonne raison? En zone libre où il n'y avait pas d'Allemands jusqu'en novembre 1942, les Français n'ont eu besoin de personne d'autre pour rafler et organiser les convois qui menaient à Auschwitz.
Une fois la guerre finie, le général De Gaulle fixe comme règle de conduite de passer l'éponge pour rassembler les Français qui s'étaient déchirés dans la guerre. Résultat, il faudra attendre le film "le Chagrin et la pitié" dans les années 60 et le discours du Vel d'Hiv' en 1995 de Jacques Chirac pour reconnaître et assumer ce passé honteux. Faire l'impasse sur Vichy, "blanchir" ces Français qui s'étaient montrés complices de la solution finale, ménager ceux qui avaient tourné la tête pour éviter de voir, c'était peut-être le passage obligé pour reconstruire un pays en miettes. On peut discuter sans fin pour savoir si oui ou non le Général De Gaulle a eu raison de refermer rapidement cette parenthèse tragique -lui au moins avait des raisons solides pour le faire- mais les autres?
En 1972, il y a la prise d'otages et le meurtre de 11 athlètes israéliens par un commando palestinien pendant les Jeux Olympiques de Munich. Un acte présenté par une partie de la gauche et de l'extrême gauche française comme antisioniste mais qui déjà ne vise que des juifs. Jean-Paul Sartre, l'icône de cette mouvance, déclare alors: "Le terrorisme palestinien, c'est l'arme des pauvres". Dès lors ce raccourci indigent qui rassemble dans une formule facile l'héritage communiste et anticolonialiste à la fois va fixer pour longtemps les éléments de langage de l'antisionisme jusqu'à aujourd'hui dans la gauche française.
Et pourtant, Sartre n'était pas le pire de ces esprits égarés. Il aura même des mots réparateurs sur Israël. Mais le mal est fait. En 1976 en Ouganda, des commandos pro-palestiniens séparent les juifs des autres passagers du Boeing d'Air France détourné sur l'aéroport d'Entebbe dans l'intention de les exécuter. La frontière factice entre antisionisme et antisémitisme tombe. Sartre tentera bien de prendre ses distances avec ses amis mais trop tard. Les antisionistes ont franchi la ligne rouge depuis trop longtemps, ils ont un boulevard devant eux qui mènera la gauche au déshonneur.
En 1982 en Union soviétique, nous filmons clandestinement avec Jean-Louis Saporito les juifs persécutés par le régime parce qu'ils ont demandé un visa pour Israël (1). Qui se met en travers de notre travail à l'époque? Moscou qui ne veut pas déplaire à ses alliés arabes en guerre contre Israël. Et à Paris, les communistes français qui font le travail pour Moscou. L'ambassadeur d'URSS à Paris écrit une lettre ouverte au Président de la République pour s'étonner du geste inamical de la France, François Mitterrand tient bon. Quant aux communistes, ils agissent. Une grève du service public "opportune" décidée par la CGT empêche la diffusion du film. Le film sera diffusé le dimanche suivant en prime time grâce à un Président d'Antenne 2 inflexible, Pierre Desgraupes...
20 ans plus tard, en 2003, Arte diffuse "les nouveaux antisémites" (2) grâce à un autre Président éclairé, Jérôme Clément. A ce moment-là, ce n'est plus au nom de la solidarité avec les partis communistes ou les pays du tiers monde "frères" qu'on est sommé de se taire. Entre temps, il y a eu la guerre civile algérienne et ses 200.000 morts. Alors cette fois, pour contourner l'obstacle, la gauche antisioniste tombe dans le délire conspirationniste: "Qui tue qui?", claironne-t-elle à qui veut l'entendre. Autrement dit pour cette gauche-là, ce ne sont pas les islamistes des GIA qui massacrent en Algérie. Ceux qui tuent, ce sont les militaires. C'est dans ce contexte que sort "les nouveaux antisémites" et "Vous avez dit antisémite?". Ces films disent pour la première fois que l'antisémitisme a changé de "clientèle". Il surfe sur le conflit israélo-palestinien et recrute principalement dans les banlieues de l'Islam. Il décrit aussi les racines de l'antisionisme, ce tour de passe-passe inventé par Moscou au cours de la guerre froide et gobé sans ciller par ses amis français pour délégitimer Israël, allié de l'Amérique au Proche Orient (3). Résultat: une charge au canon des "maîtres penseurs" contre ce film, et pour cause. Ce sont eux qui fournissent clé en main les grilles de lecture de ce conte à dormir debout, à l'Université, dans les écoles de journalisme et dans une partie de la presse.
Les statistiques d'actes antisémites, les mêmes en gros que certains découvrent aujourd'hui, étaient pourtant déjà là, aveuglantes, publiées par les services du Premier ministre de l'époque. Cela n'a pas suffi. Les professionnels du déni ont mobilisé leurs moyens pour convaincre du contraire. Dans les enceintes du savoir, le problème du moment pour eux, ce n'était pas l'antisémitisme répandu partout dans le monde arabo-musulman et désormais installé en France. C'était l'islamophobie supposée des Français. C'est ainsi que nous sommes arrivés à la catastrophe que nous connaissons.
Combien de temps a-t-il fallu à ceux qui disent découvrir ce cancer pour reconnaître cette évidence? Pourquoi le dénoncent–ils unanimement aujourd'hui? Parce qu'il pointe du doigt les seuls gilets jaunes, en gros l'antisémitisme classique de "la bête immonde", qui avance masqué derrière celui du "mâle blanc de plus de 50 ans"? Parce qu'il permet en somme d'orienter la suspicion vers les "héritiers" supposés des hordes nazies des années 30?
Depuis 10 ans, plus de 10 Français juifs ont été assassinés parce que juifs en France par des islamistes. Dans le même temps, combien de musulmans ont été assassinés parce que musulmans? Aucun! Combien par le Front National? Aucun! Par l'extrême droite traditionnelle? Aucun! Que faut-il donc de plus pour nommer le mal?
La leçon de tout cela, c'est que ce n'est jamais le bon moment ni les bonnes personnes quand il s'agit de dénoncer l'abomination de l'antisémitisme. L'histoire récente de la Shoah nous enseigne que le bon moment pour le faire c'est quand il trop tard. Que faut-il alors en déduire? Que la France est antisémite mais qu'elle le cache? Qu'elle trouve toujours un argument pour ne jamais avoir à nommer les vrais bourreaux quand des juifs sont vraiment menacés parce que juifs? Comme l'écrivait Zweig, "il y a pire que le mensonge, c'est la conviction".
En déclarant que "l'antisioniste est la forme moderne de l'antisémitisme," le Président Macron vient de mettre un terme à cette malédiction. Il s'est pour la première fois attaqué à cette fiction mortifère, celle d'un antisémitisme à visage "humain". Il a donné raison à ceux, trop rares, qui depuis 20 ans demandent aux intellectuels, aux journalistes, aux professeurs et aux politiques d'arrêter de jouer avec le feu. Et de mettre les mots en conformité avec les faits. C'est la première chose à faire pour faire reculer l'antisémitisme en France.
(1) "Refuzniks ou la liberté refusée" un film de Daniel Leconte et Jean Saporito
(2) "Les nouveaux antisémites", un film de Jean-Charles Deniau et "Vous avez dit antisémite?" Un film de Barbara Necek et Daniel Leconte. "De Quoi J'me mêle" Octobre 2003.
Commentaires
Publier un nouveau commentaire