Le chaos libyen
DAVID BENSOUSSAN
Professeur de sciences à l'Université du Québec
Le 4 avril 2019, le général Haftar a décidé d’envahir la Tripolitaine avec 10 000 troupes, pensant pouvoir conquérir rapidement la capitale Tripoli aux mains de Fayez al-Sarraj, premier ministre du Gouvernement d’union nationale libyen.
Mais la résistance des milices populaires le priva d’une victoire qu’il pensait assurée. La Libye se retrouve divisée entre le Gouvernement d’union nationale libyen à l’ouest et un Parlement parallèle à Tobrouk à l’est. À ce jour, le général Haftar contrôle 80 % du territoire (à l’est et au sud) et 25 % de la population.
Haftar, l’homme fort de Libye
Pourtant, depuis que le colonel Khadafi fut renversé en 2011 à la suite d’une intervention de l’OTAN encouragée par le président français Sarkozy, on pensait que finalement, après une longue guerre civile, les principales factions en présence allaient finir par s’entendre: or c’est justement le 4 avril que le général Haftar a décidé de partir à la conquête de Tripoli, le jour même où le secrétaire général de l’ONU António Guterres se trouvait en Libye pour préparer une conférence de paix.
Les États-Unis, la Grande-Bretagne, la France, l’Italie et les Émirats arabes unis ont publié un communiqué appelant les parties à restaurer le calme, sans cependant condamner l’attaque du 4 avril, ce qui revient à lui accorder l’imprimatur. Parce qu’il est opposé à la mouvance des Frères musulmans, le général Haftar est soutenu par l’Égypte, l’Arabie et les Émirats arabes unis. Ces pays achètent une quantité d’armes considérable à la France qui soutient également le général Haftar. La Russie lui a aussi fourni des armes, bien qu’un stock d’armes considérable commandé en son temps par Khadafi fût tombé entre les mains des belligérants de tout acabit. Confiant de ce soutien et prêt à faire monter les enchères en raison du désintérêt américain croissant, menaçant de faire le jeu de la Russie ou de la Chine, le général Haftar ne pense pas avoir besoin de faire des concessions.
Le premier ministre libyen Sajar est soutenu par l’Italie, la Turquie et le Qatar, l’appui de ces deux derniers pays étant motivé par la présence de milices affiliées aux Frères musulmans qui l’appuient.
Compétition franco-italienne
La France et l’Italie sont opposées quant aux mesures à prendre: mis à part les intérêts pétroliers respectifs, l’Italie est préoccupée par la masse des migrants africains qui s’embarquent à partir de Tripoli et tient à en freiner le flux. Aussi l’Italie préfère que la région de Tripoli ne soit pas encore plus déstabilisée qu’elle ne l’est déjà. Selon le premier ministre Sajar, 800 000 migrants seraient prêts à s’embarquer pour l’Europe sur des bateaux de fortune. En outre, le président italien en veut au président français qui le sermonne sur l’attitude envers les migrants alors qu’il n’est pas prêt à les accueillir pour autant. Pour la France, la stabilité de la Libye est importante, car les milices islamistes, dont Al Qaeda, déstabilisent la région du Sahel. Des milliers de troupes françaises sont stationnées dans les pays bordant la Libye et l’Algérie.
Un conflit difficile à déminer
Quatre tentatives de résolution au Conseil de sécurité ont avorté. Des réunions de médiation en Italie, au Sénégal, au Maroc et à Abou Dhabi sont demeurées sans suite. L’Organisation de l’Unité africaine propose ses services de médiation. Or, l’Égypte, en assurant la présidence, ne peut pas être partie et neutre. Il y a peu de chance que cette médiation aboutisse.
Il est difficile d’entrevoir une solution au conflit tant et aussi longtemps que l’Italie et la France auront des positions opposées et que les pays du Golfe et le Qatar transposeront leur conflit en Libye.
La guerre civile a fait entre 10 000 et 30 000 victimes. Toutefois, l’exploitation des gisements pétroliers par les compagnies italienne (ENI) et française (Total) continue avec l’assurance d’une sécurité relative.
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