Le jeune Macron et le vieil antisémitisme
Chaque semaine jusqu’à la présidentielle, le Docteur Askolovitch se saisit d’un détail (lapsus, petite phrase, scène cathartique) pour décrypter la psyché du candidat et, par extension, la nôtre.
On doit toujours disséquer les idioties. Elles racontent la fange et le désarroi. Voilà donc un scandale que l’on évacue, entêtant malgré tout, une caricature postée par le compte twitter des Républicains (parti politique héritier putatif du Général de Gaulle), où un homme riche d’espérances politiques est dessiné avec un nez cassé. Emmanuel Macron, aisément reconnaissable, l’air de se foutre du monde, est habillé en banquier, ce fut sa profession, avec les attributs du genre - le costume, le chapeau, l’opulence manifeste - et donc, avec, en plus, un nez qui n’est pas le sien (le nez de Macron, tel celui de Cléopâtre, est droit et parfait - Macron est une perfection, ses amis nous l’assurent). De manière plus incongrue, le banquier tient dans sa main une faucille, la moitié du symbole de feu le communisme. Il utilise cet outil pour découper un cigare. Autour du banquier gravitent des têtes un peu connues, de personnages de gauche marchant avec Macron ; on y voit Claude Bartolone, le co-propriétaire du Monde Pierre Bergé, Bertrand Delanoë, Gérard Collomb, et Bayrou en cousin centriste. L’ensemble s’appelle « La Vérité sur la galaxie Macron ».
La caricature n’a pas tenu une journée. Un mot l’a expédiée aux enfers de la communication : « antisémitisme ». Ce banquier à la faucille et au nez déphasé ravivait un cauchemar sanglant. L’image du banquier judéo-bolchévique faisait florès aux temps obscurs où, intellectuellement, se préparaient les chambres à gaz. Le juif était alors accusé d’être à la fois Trotski et Rothschild, l’exploitation et la révolution, la subversion complète de nos sociétés. Ces idioties tuèrent directement des millions d’innocents, plus sûrement que l’antisémitisme chrétien des siècles précédents : il valait mieux, somme toute, avoir tué le Christ qu’être banquier et révolutionnaire. Voir ressurgir cette esthétique dans la saleté quotidienne d’une campagne était perturbant ; de la part d’un parti démocratique, insoutenable. Les Républicains se sont excusés. Ils ne voulaient blesser personne. La caricature a disparu, remplacée par une simple photo de Macron, toujours entouré de ses comparses socialistes, avec la même légende sur la galaxie ; preuve que les fillonniens veulent faire passer un message. Patientons.
Dans cette histoire, l’imaginaire et la mémoire sont primordiaux. Je ne sais pas si l’idiot dessinateur avait une judéité de Macron en tête, ou simplement de vieux impensés ? Le nez de Macron, sur le dessin, pour un expert en antisémitisme, n’est pas un nez juif. Le nez juif est autre, et Gainsbourg pouvait en rire, lui qui fut un enfant survivant, infiniment plus spectaculaire ! Le nez juif des antisémites est crochu ; qu’on aille explorer la presse collabo, les feuilles anti-juives de l’affaire Dreyfus, le Stürmer nazi. Le nez du juif détestable est courbe, souvent pointu à son extrémité. Le nez du Macron caricaturé n’avait rien de courbe ; il était cassé, tombant en angles droit, peut-être arrondi pourtant ; il était aussi bien un nez de mauvais garçon, de boxeur de bande dessinée, qu’un nez juif. Il pouvait être juif, mais pas forcément. Ce qui est intéressant, c’est qu’on l’a vu juif, aussitôt. Parce qu’un nez hétérodoxe lié à l’argent et à la faucille, forcément, est sémite ?
“ Le nez de Macron, sur le dessin, pour un expert en antisémitisme, n’est pas un nez juif. Le nez juif des antisémites est crochu, courbe, souvent pointu à son extrémité. Le nez du Macron caricaturé était cassé, tombant en angles droit. Ce qui est intéressant, c’est qu’on l’a vu juif, aussitôt. Parce qu’un nez hétérodoxe lié à l’argent et à la faucille, forcément, est sémite ? ” Les détracteurs indignés de l’idiotie des Républicains ont eu une lecture antisémite - horrifiée, de bon aloi - tout autant que l’impensé, ou le délibéré - scabreux, honteux - du dessinateur. Se sont-ils trompés, les indignés? Ont-ils mis du juif là où il n’y avait que de la méchanceté artistique - briser d’un dessin le nez d’un bel homme, tel un soldat de César frappant au visage le bellâtre de Pompée ? On ne le saura jamais. Les Républicains, en abandonnant le dessin, ont plaidé coupable, de fait. Mais pouvaient-ils ergoter sur la judéité d’un nez ? C’eut été malséant. Et il y avait le reste, l’argent, le banquier, la faucille…
Je retiens donc ceci. L’argent et la révolution associée sont encore des entités juives. Ce que l’on nous fit (aux juifs et aux non-juifs, inégalement victimes d’une vilenie conceptuelle) perdure, dans notre vision des choses. Il s’agit, évidemment, de devoir de mémoire, et d’éradiquer la bête immonde, je n’en doute pas ? Mais je retiens encore cela. Soixante-douze ans après le suicide de Hitler, son fantôme parcours nos peurs ; et avec lui, ceux de Drumont, l'auteur de "la France juive", de Rebatet, de Vallat ; de tous ceux qui firent de l’antisémitisme un courant politique, chez nous, en France… On peut sourire de nos refus des repentances coloniales ; nous ne sommes même pas guéris, en France, des haines interdites.
Il y a autre chose dans cette affaire. L’idiotie de la charge, en elle-même, de la part d’un parti de droite. Que le dessin ait été remplacé par une simple photo, de Macron entouré de ses amis de gauche, démontre une intention cohérente : il s’agit d’avertir le citoyen de droite que Macron, ce banquier libéral, est un faux ami, fourrier des partageux, qui ramènera le socialisme - le hollandisme - dans les fourgons de sa marche. Ce que l’on reproche à Macron n’est pas son opulence, mais sa part de gauche. Admettons. Je comprends. Mais à ce compte, il était absurde, j’en reviens au dessin, de présenter méchamment Macron le banquier ! Un banquier, vu de droite, est gentil, pas un usurier sardonique ! Un banquier est un personnage respectable qu’il convient de ne pas moquer ? C’est ailleurs, à l’extrême droite, à l’extrême gauche, que la banque est le diable ! On comprend alors que ce n’était pas le banquier, qui était caricaturé, mais le faux banquier ; le banquier défroqué ; le banquier trahissant ; on comprend que la faucille était la vérité de Macron, qui décapitait son cigare en métaphore, pour tuer la libre entreprise. Tout cela est exagéré. Mais il fallait, par le dessin, détruire la part de droite, la part honorable, du jeune homme. On cherchait à suggérer la duplicité. Ce n’est pas nouveau, le concernant : Macron est suspect de non sincérité, de part-double, de dissimulation - lui qui pourtant ne cache rien de ses intentions. Les suggestions qu’il fut homosexuel masqué, reprises un moment par Nicolas Sarkozy lui-même, participaient de cette construction ; pour le coup, la judaïsation de Macron, si l’on se souvient que le Juif, pour l’antisémite, est un corps étranger, faussement de notre monde, reprend du sens. Le nez quasiment juif, finalement, disait quelque chose. Il ne serait, subtilement, pas comme tout. Le Juif, subtilement, reste différent.
Il y a six ans, au temps où Dominique Strauss-Kahn n’était pas encore un monstre lubrique, mais un socialiste capitaliste favori des sondages, juif au surplus - réellement celui-là, Laurent Wauquiez, jeune ministre de Nicolas Sarkozy, avait opposé l’authenticité de la Haute-Loire, son département, au déracinement de l’adversaire : « Ce n'est pas la même approche, Dominique Strauss-Kahn est à Washington, il a sûrement une très belle maison qui donne sur le (fleuve) Potomac. Ce n'est pas la Haute-Loire, ce n'est pas ces racines-là. » Le député Christian Jacob, lui, expliquait que Strauss-Kahn n’était pas « l'image de la France, l'image de la France rurale, l'image de la France des terroirs et des territoires, celle qu'on aime bien, celle à laquelle je suis attaché », et insistait : « Moi qui suis un rural, un paysan, je ne peux pas me reconnaître ni m'identifier à Dominique Strauss-Kahn ». D’aucuns avaient, alors, crié au pétainisme de la terre qui ne ment pas et dont les juifs ne sont pas. L’affaire s’était dissipée avec la disparition de Strauss-Kahn. Laurent Wauquiez est toujours là, plus adepte désormais de la méfiance envers les migrants, et Christian Jacob aussi, dont on ignore s’ils pensaient à mal, un peu, beaucoup, s’ils jouaient exprès, comme des enfants avec des allumettes, avec des images vilainement sépia. Ce qu’ils disent, ce qu’on dessine pour eux, ce dont on s’excuse, ce que cela inspire, toute cela flotte, un peu moisi, négligé, l’odeur d’une vieille maison mal tenue, pleine de secrets, et qui est la nôtre, où l’on vit. Les cris mêmes semblent déplacés, tant nos fantômes sont installés, au chaud, au fond de nous.
LA MINUTE PSY DU DOCTEUR ASKOLOVITCH
Journaliste passé par Le Nouvel Observateur, Marianne, Europe 1, i-Télé et RTL, Claude Askolovitch est contributeur pour Slate, Vanity Fair, et l'un des intervieweurs réguliers de l'émission, « 28 minutes » sur Arte. Passionné par la politique et le football, entre autres, il n'a pas son pareil pour ausculter la société française sous le prisme de la culture populaire. En janvier 2017, il a publié « Comment se dire adieu ? » aux éditions JC Lattès.
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