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Le succès grandissant des djihadistes

 

Le succès grandissant des djihadistes

 

 

 

La riche histoire de la ville d’Alep disparaît sous les ordures abandonnées sur les trottoirs et dans les rues. Des enfants jouent à côté des bâtiments détruits. Il n’y a ni électricité ni chauffage. Des hommes armés rôdent dans les rues dès la tombée de la nuit. Certains sont des rebelles à la recherche de loyalistes ; d’autres, des criminels à la recherche de personnes à enlever contre rançon. Ici, derrière les lignes de front de la guerre contre Bachar El-Assad, une nouvelle lutte est en train d’apparaître – un conflit idéologique où les brigades rebelles rivalisent pour déterminer la forme que prendra la Syrie d’après Assad. 

Depuis quelques semaines, c’est Jabhat Al-Nosra, une organisation djihadiste considérée comme ­terroriste par les États-Unis et ­souhaitant faire du pays un État islamiste régi par la charia, qui tient le haut du pavé. L’organisation est bien financée, probablement par des réseaux djihadistes mondiaux. Ce phénomène est en train de changer le visage de la révolution syrienne. Le Front Al-Nosra a la réputation d’avoir d’excellents combattants, et ce mouvement ­islamiste lance des programmes humanitaires extrêmement efficaces qui sont en train de lui gagner la loyauté des habitants d’Alep. Imprégné de la discipline née du dogmatisme religieux, il assure la satisfaction des premières nécessités dans cette ville qui manque de tout.

 

Voler du blé

 

La première des difficultés, c’est ­l’approvisionnement en pain. Il s’agit d’une denrée de base en Syrie : sans pain, des dizaines de milliers de pauvres mourraient de faim. Quand les rebelles ont pris le contrôle des entrepôts de blé de la ville, la farine a cessé d’arriver. Les gens ont accusé les membres de l’Armée syrienne libre (ASL, armée des rebelles non islamistes) de piller les entrepôts et de voler le blé pour le revendre. Des manifestations progouvernementales spontanées ont éclaté devant les boulangeries où les familles ­faisaient la queue parfois pendant des jours.

 

L’une d’entre elles s’est produite quelques secondes après notre arrivée devant l’une de ces files d’attente. “Allah, Syrie, Bachar ! Tout le monde aime Bachar El-Assad ici !” hurlaient les gens.

 

Puis, au cours de ces dernières semaines, Jabhat Al-Nosra, qui ne fait pas partie de l’ASL, a chassé les autres groupes rebelles des entrepôts et mis sur pied un système de distribution de pain dans les zones rebelles. Dans un petit bureau attaché à une boulangerie d’Alep, Abou Yahya étudie une carte punaisée au mur. Les rues portent des chiffres griffonnés au crayon. “On a compté les habitants de chaque rue pour évaluer les besoins de la zone, explique M. Yahya. Nous fournissons à cette zone 23 593 sacs de pain tous les deux jours. Et ce n’est qu’un quartier. Nous sommes en train de calculer la population des autres quartiers pour faire la même chose.” La boulangerie est tout le temps en activité. “Je fais partie de Jabhat Al-Nosra, comme tous les directeurs de toutes les boulangeries, déclare Abou Fattah, le directeur.Comme ça, on est sûr que personne ne vole.”

 

Des civils attendent derrière le bureau pour supplier M. Yahya. “S’il n’y avait pas ce pain, je serais obligée de mendier dans la rue pour nourrir ma famille. Mon mari est blessé et ne peut pas travailler”, précise une femme. The Daily Telegraph a pu exceptionnellement rencontrer Hajji Rassoul, “l’émir” (c’est-à-dire le chef) du programme civil.

 

M. Rassoul est profondément conservateur : assis à l’avant de la voiture, il regarde droit devant lui et tourne le rétroviseur pour ne pas regarder accidentellement la femme que je suis. Il choisit soigneusement ses mots. Outre le projet pain, déclare-t-il, le Front Al-Nosra incite les hommes d’affaires à rouvrir leurs usines. Al-Nosra est même en train de lancer un projet pour nettoyer les rues d’Alep.

 

M. Rassoul nous dresse un tableau bien éloigné de la réputation sinistre de son organisation. Celle-ci a revendiqué sur des sites djihadistes des attentats qui ont tué des centaines de civils et de militaires dans toute la Syrie. Al-Nosra, pour beaucoup, est synonyme d’Al-Qaida. Nombre de ses combattants sont étrangers, certains ont combattu avec Al-Qaida en Irak.

 

M. Rassoul dément que l’organisation soit extrémiste. “En Occident, on considère Jabhat Al-Nosra comme Scarface, mais c’est faux. Nous sommes humains et nous ne détestons personne. Nous ne haïssons pas les chrétiens, affirme-t-il. Nous ne sommes pas Al-Qaida. Ce n’est pas parce que certains de nos membres partagent ses idées que nous faisons partie de cette organisation.”

 

L’amputation

 

M. Rassoul ne se laisse pas entraîner à détailler ce que prévoit exactement le Front Al-Nosra pour l’avenir de la Syrie, mais le tribunal islamique qui vient d’être mis sur pied [sous ses auspices] est en train de devenir l’un des principaux pouvoirs de la ville. Cette juridiction n’emploie pas de juges ayant été en activité sous le régime, mais fait appel à des chefs religieux.

 

Certaines peines, comme l’amputation de la main pour les voleurs, ne sont pas appliquées en temps de guerre, mais les gens du coin ont d’autres choses à reprocher au tribunal. Plusieurs hommes ­traduits devant cette juridiction racontent avoir été accusés de “consommation d’alcool” et de “fraternisation avec des femmes”. Tout cela provoque la colère de nombreux habitants d’Alep, qui sont pour la plupart des musulmans modérés.

 

“Je portais un manteau long et un jean ample, et j’étais devant la ­mosquée, raconte une femme. Il y en a un qui m’a dit : ‘Ma sœur, tes vêtements ne sont pas des vêtements islamiques. Tu ne dois pas te maquiller et tu dois t’habiller en noir.’”

 

La plupart des organisations rebelles pensent que la prochaine bataille se fera contre les djihadistes. “Quand nous avons commencé à nous battre contre le régime, c’était pour faire de la Syrie un État moderne. Al-Nosra veut une révolution islamique, mais nous ne sommes pas des islamistes radicaux en Syrie”, déclare Abou Obeida, le commandant d’une brigade locale. Les organisations comme la sienne sont en train de perdre en popularité parce qu’elles sont incapables de suivre les programmes sociaux des djihadistes, ajoute-t-il. “Je n’aime pas Al-Nosra, mais ces types vont gouverner ­pendant un moment ; le temps que nous, les Syriens, comprenions qu’il faut que nous prenions notre destin en main.

Par Ruth Sherlock, pour le Daily Telegraph, traduit en français par Courrier International

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