LES BOUGIES SOPHISTIQUÉES DE SIMHA TORAH par Thérèse Zrihen-Dvir

LES BOUGIES SOPHISTIQUÉES DE SIMHA TORAH par Thérèse Zrihen-Dvir

Simha Torah, quel jour joyeux, quelle fête éblouissante, quelle retentissement du bonheur d’être ceux qui ont reçu le plus beau cadeau du monde : La Torah…

Pour nous les enfants, ce jour avait une importance toute particulière. Avant le coucher du soleil, vêtus de nos plus beaux atours, nos parents nous menaient à la synagogue équipés d’une bougie géante parée de multiples petites fleurs, positionnée sur un échafaudage des plus compliqués, lui octroyant l’apparence majestueuse d’un énorme essaim de lumière.

Mais avant d’arriver à ce fameux jour, les hommes achetaient les quatre espèces végétales mentionnées dans la Torah, l’une des prescriptions majeures et caractéristiques de la fête biblique de Souccot. Elles doivent, selon la tradition juive rabbinique, être rassemblées en faisceau, portées (נטילת לולב netilat loulav) et balancées lors de la récitation du Hallel et des hoshaanot au cours des sept jours de la fête.

Il fallait surtout ne jamais omettre d’acheter des bougies sophistiquées aux enfants.

J’étais l’unique enfant dans la vaste maison de Grand-père et donc, bien avant de sortir faire leurs saintes emplettes, mes oncles recevaient la ferme instruction de mon pépé, de m’acheter la bougie la plus sophistiquée qui existe sur le marché… « Surtout n’essayez pas de mégotter avec notre petit diable, si la bougie n’est pas la plus belle, la plus imposante qui se trouve en vente, elle nous la jettera au visage et nous menacera de faire la grève de la faim ».

Avertis, prévenus, mes oncles partaient au souk du Mellah, choisissant les quatre espèces végétales tout en passant en revue toutes les bougies que les marchands proposaient aux parents, pour leurs enfants.

Ô l’indescriptible joie qui m’envahissait lorsque je découvrais dans un coin de la souccah la fameuse bougie qui m’était destinée. Bien sûr il fallait que j’en rabâche les oreilles de mes amis, que je décrive avec une précision inouïe ses particularités et surtout sa beauté et sa taille considérable… « C’est moi qui aura la plus belle bougie du Mellah pour Simha Torah », m’égosillais-je devant les enfants des voisins.

Mais, si par malheur, quelque autre fille ou garçon se vantait de  posséder une bien plus grande et plus belle, je rentrai chez moi, mortifiée et appréhensive…

« Tonton, es-tu sur d’avoir acheté la plus belle bougie ? Je ne veux en aucun cas me trouver devant une autre plus impressionnante que la mienne durant les Hakafots avec les rouleaux de la Torah à la synagogue ».

« Rien à craindre, m’assurait mon oncle. Nous t’avons acheté la meilleure et personne ne pourra te défier à Simha Torah ».

Tranquille, je ne l’étais pas. Je restais là à l’observer, rêvassant du moment de ma sortie avec, ivre d’orgueil, traversant les rues étriquées de notre Mellah.

Je comptais évidemment les jours qui nous séparaient de ce fameux soir, où nous tous, femmes et hommes, fillettes et garçons, prendront le chemin de la synagogue fréquentée par Grand-père. Ma main dans la sienne, je pénétrais à ses côtés le sanctuaire en attente de voir les saints rouleaux de la Bible quitter le Heykhal et prendre place entre les bras solides des hommes qui chantaient et dansaient tout en tournant autour du dais.

Grand-père alors me hissait dans ses bras et moi toute à ma joie, je levais les miens chargés de ma splendide bougie, le plus haut possible vers les cieux…

Cette coutume n’est plus, et apparemment n’avait existé que dans nos Mellahs au Maroc. Je regrette sa disparition, je regrette cette fébrilité, cette compétition, cette appartenance…

Les hakafots ont lieu aujourd’hui dans des synagogues où les femmes n’ont plus de place, ou alors elles sont dissimulées derrière une vitrine opaque, ou un paravent en tissu.

Nous nous contentons de nous réjouir du merveilleux cadeau de la Bible en allumant des bougies dans nos demeures seulement, plus de parades, plus de procession, seuls nos regrets d’une époque révolue si étincelante…