Les femmes dans l’espace public. Emmanuel Bloch
A quel point le Talmud prône-t-il l’effacement des femmes de l’espace public, et la dissimulation de leur corps par crainte de la concupiscence masculine ?
Sur ce sujet polémique, voici un texte que je trouve absolument terrifiant. Curieusement, il reste peu cité. J’en fais ici une présentation en trois actes.
Acte 1 : le texte (Ta’anit 24a). Rabbi Yossi, du village de Yokrat, avait une fille particulièrement belle ; un jour, Rabbi Yossi découvrit qu’un homme avait percé un trou dans la barrière (entourant sa maison) afin de la regarder. Il demanda des explications, et l’homme répondit : « Maître, si je n’ai pas eu le mérite d’épouser ta fille, ne puis-je pas au moins la contempler ? ». Rabbi Yossi dit alors : « Ma fille, tu causes des souffrances aux créatures ; retourne à la terre, afin que les gens ne trébuchent plus par ta faute ». Et la jeune fille mourut. Dans cette version de l’histoire, l’effacement de la femme atteint un terrible paroxysme meurtrier. La fille de Rabbi Yossi n’a eu AUCUN comportement répréhensible. Rien n’indique qu’elle soit même sortie de la maison paternelle. Sa seule « faute » ? Avoir été belle. Pire encore, la mort injuste qui la frappe, et la « dissimule » à jamais aux regards masculins, est provoquée par la prière de son propre père, soit une personne dont elle était en droit d’attendre amour, protection et compréhension.
Acte 2 : le contexte. Existe-t-il une lecture légèrement plus nuancée de ce texte ? Peut-être bien, si l’on prend conscience que le Talmud présente en fait cette histoire au nom d’un ex-disciple de Rabbi Yossi de Yokrat. Ce disciple (R. Yossi bar Avin) indique avoir abandonné son maître après avoir constaté, à plusieurs reprises, à quel point ce dernier était cruel. L’un des exemples de cruauté excessive cité par R. Yossi bar Avin est précisément le comportement meurtrier du maître par rapport à sa fille.
Ce texte talmudique est donc implicitement CRITIQUE de la conduite de R. Yossi de Yokrat. Le fait d’avoir été renié par un disciple important signifie que l’attitude de Yossi était absolument inacceptable. Son obsession maladive de la beauté féminine et de sa dissimulation des regards masculins avait atteint un point de non-retour dans lequel une femme, fût-elle sa propre fille, n’avait plus de place parmi les vivants.
Fin de ce statut, sur une note positive, donc ? Malheureusement, non.
Acte 3 : la révision du texte. La majorité des textes rabbiniques contemporains qui citent Ta’anit 24a ne restituent pas le contexte général de la critique du disciple. De nos jours, Rabbi Yossi de Yokrat est donc souvent présenté comme un exemple à suivre (!), et non comme un repoussoir des extrêmes dans lesquels l’obsession masculine du corps féminin risque de tomber. En d’autres termes : l’Acte 1, sans l’Acte 2, de ce statut.
(Pour un exemple parmi beaucoup, voyez : Olamot chel Tohar vol. 1 p. 9).
Comme déjà indiqué, je trouve cette évolution terrifiante. Il y avait, dans la vision talmudique, un certain équilibre, minimal mais nécessaire, lequel passe complètement à la trappe dans la lecture opérée par certains auteurs contemporains.
Une leçon importante pour nous reste toutefois que le Talmud n’hésitait pas à critiquer les dérives de la Tsniout extrême. En suivant cette voie de nos jours, nous marchons dans les pas du Talmud, et refusons les dérives fondamentalistes.
Commentaires
Publier un nouveau commentaire