Les Juifs du Moyen-Orient, une réalité oubliée et menacée
Tigrane Yégavian
Résiduelle sur le plan démographique, la présence juive au Moyen-Orient n’en demeure pas moins d’une haute importance symbolique. C’est dans le sud-est de la Syrie, dans les ruines de l’antique cité de Doura-Europos, que fut découverte, en 1920, la plus ancienne synagogue au monde. Et il est difficile de considérer les communautés juives qui ont essaimé de Babylone au golfe Persique comme allogènes tant leur présence est enracinée depuis l’Antiquité. On estime que les premiers pratiquants en Orient se sont implantés il y a plus de 2 500 ans, avec comme témoignage dramatique leur déportation en 586 avant Jésus-Christ par le roi babylonien Nabuchodonosor II (605-562), qui avait détruit le temple de Salomon à Jérusalem.
Si les Palestiniens ont été victimes de la Nakba en 1948, les Juifs du Maghreb et du Machrek ont connu leur propre exode. Avant la création d’Israël, ils ont souffert de nombreux pogroms, et, après 1948 et les indépendances arabes, une émigration forcée contraint quelque 800 000 Juifs à quitter leurs foyers d’Égypte, du Maroc, de Tunsie, du Yémen… pour l’État hébreu, mais aussi les États-Unis. Durant la Seconde Guerre mondiale, ils ont même été internés dans des camps dans les territoires liés au IIIe Reich en Afrique du Nord, où les séfarades étaient arrivés à la suite des expulsions d’Espagne en 1492.
Il est difficile de recenser la population juive du Moyen-Orient : selon le croisement de plusieurs données, elle ne dépasse pas 27 000 personnes en 2021, essentiellement installées en Turquie (14 500), en Iran (8 300) – la République islamique compte un député juif au Parlement (le siège est réservé, tel que le prévoit la Constitution de 1979) –, et au Maroc (2 100), où un établissement de l’Alliance israélite universelle se maintient à Casablanca. Alors qu’ils étaient environ un million de juifs de culture arabe au milieu du XXe siècle, ils ont presque disparu dans certains États, comme au Yémen ou en Irak, où ils sont les premières victimes des guerres.
En 2020, la normalisation des relations entre Israël et les Émirats arabes unis, Bahreïn et le Maroc a contribué à briser un tabou et à développer des échanges. Ainsi, à Dubaï, une communauté expatriée s’est structurée, tandis que des mariages juifs ont pu être célébrés à Manama. En Israël, les mizrahim ne ressentent plus de vexations du fait de leur culture arabe, alors que leurs grands-parents avaient souffert de discriminations pour la pratique d’une langue perçue comme celle de l’ennemi. Artistes et intellectuels juifs de culture arabe investissent Internet pour renouer avec leur passé malmené. Et des organisations, telle la Jews Indigenous to the Middle East and North Africa (JIMENA), explorent le patrimoine séfarade et mizrahi, de quoi consolider une passerelle avec les voisins proches et lointains de cet Orient dans lequel Israël trouve sa place en dépit du non-règlement de la question palestinienne.
Commentaires
Publier un nouveau commentaire