LES NOUVELLES ROUTES DE LA SOIE
DAVID BENSOUSSAN
PROFESSEUR DE SCIENCES À L’UNIVERSITÉ DU QUÉBEC
La légendaire route de la soie qui évoque une imagerie romantique d’opulence, de raffinement, d’épices rares, de bazars exotiques et de caravanes traversant l’Asie d’est en ouest est en train de renaître sous plusieurs formes alors que la Chine tisse un réseau routier, ferroviaire et maritime qui va changer la réalité économique et politique dans les prochaines décennies. Un sommet réunissant 28 chefs d’État consacré à ce projet s’est tenu à Pékin le 14 mai.
Connue également sous le nom de route des Oasis ou route des Steppes, cette voie de caravanes millénaire de près de 4000 kilomètres a mis en contact la Chine avec les pays de la Méditerranée. L’économie de troc permit d’échanger des objets de bronze, des soieries et des pierres précieuses de Chine, des fourrures et de l’or de Sibérie, du jade, des tissus fins et des chevaux du Turkestan, des turquoises et des tapis de Perse, ainsi que les verreries de la Méditerranée orientale. Cette voie fut abandonnée vers le XVesiècle en raison des guerres turco-byzantines et du fait que de nouvelles voies maritimes vers l’Inde furent mises à profit.
DES PROJETS TITANESQUES
L’initiative connue sous le nom d’OBOR (One Belt One Road – une ceinture, une route) rebaptisée BRI (Belt and Road Initiative – Initiative « la ceinture et la route ») est un projet économique intégrateur porté par la Chine couvrant 68 pays et près des deux tiers de la population mondiale. La Chine investit chaque année près de 150 milliards de dollars dans l’intégration dans une même infrastructure des routes, des voies ferrées, des voies maritimes, des pipelines et des ports qui vont constituer un nouveau moteur de la globalisation et vont agrandir considérablement l’influence économique et géopolitique de la Chine dans ces pays.
Deux routes de la soie terrestres sont en construction : la première passe par la Sibérie et la seconde par les pays d’Asie centrale. Un train à grande vitesse reliant Pékin à Berlin et à Londres est projeté. D’autres voies ferrées relient la province de Xinjiang à Téhéran, Eilat à Ashkelon (ce qui constitue une voie alternative au canal de Suez), Kars à l’est et Edirne à l’ouest de la Turquie. Une voie maritime connectera la Chine à la Méditerranée via l’océan Indien et le canal de Suez.
La Chine construit, acquiert ou loue de nouveaux ports en plusieurs endroits stratégiques dans l’océan Indien et en Méditerranée.
En plus d’investir 120 milliards de dollars dans le secteur énergétique iranien, la Chine finance le gazoduc Asie centrale-Chine ainsi que le gazoduc anatolien acheminant le gaz azéri à l’Europe. La Chine a également entamé la construction d’un pipeline transsibérien, car un contrat d’approvisionnement de gaz à long terme pour un montant de 400 milliards de dollars a été signé avec la Russie.
RÉPERCUSSIONS FINANCIÈRES
Forte d’un capital de 100 milliards de dollars, la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures estime que 26 billions de dollars seront nécessaires pour assumer les coûts des projets d’infrastructure d’ici 2030. En encourageant les échanges en yuan, il est possible qu’à la longue cette devise remplace le dollar américain dans les échanges internationaux, ce qui affectera sérieusement l’économie américaine. Depuis 1944, l’économie mondiale est basée sur le dollar américain et est agencée par les institutions de Bretton Woods : la Banque mondiale (BM), formée de la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) et le Fonds monétaire international (FMI).
RÉPERCUSSIONS POLITIQUES
Les routes de la soie pourraient avoir des conséquences bénéfiques qui dépassent le domaine de l’économie. L’influence économique grandissante de la Chine crée un état de dépendance qui pourra faire reculer des conflits. La Chine n’est pas intéressée à ce qu’un conflit s’engage dans le golfe Persique, car elle importe de cette région un tiers de ses importations de gaz et la moitié de ses importations de pétrole ; en outre, il est prévu que ses besoins doublent d’ici 2030. Il en sera de même au Cachemire au travers duquel passe une autoroute menant au Pakistan ou au Proche-Orient en raison des voies ferrées aboutissant en Israël.
L’Organisation de coopération de Shanghai se consolide : c’est un organisme de concertation qui réunit de nombreux pays asiatiques (Chine, Russie, républiques d’Asie centrale) et qui vient d’admettre l’Inde et le Pakistan en son sein. Par ailleurs, les traités bilatéraux qui vont remplacer les partenariats transpacifique et transatlantique (TPP et TTIP) dont les États-Unis se sont retirés n’ont pas la vision ou l’envergure des nouvelles routes de la soie.
RÉPERCUSSIONS MILITAIRES
L’industrialisation massive de la Chine – sans égard pour les incidences écologiques – s’accompagne d’une modernisation de l’armée. La Chine loue une île de l’archipel des Maldives et construit une base militaire à Djibouti. L’affirmation militaire actuelle en mer de Chine est prématurée, car d’ici une à deux décennies, elle pourra s’imposer d’elle-même tant l’influence chinoise sera envahissante.
Bien que ces routes de la soie comportent des risques financiers, notamment en raison de l’instabilité au Proche-Orient et dans les républiques d’Asie centrale, la Chine parie que dans l’ensemble, le projet deviendra porteur.
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