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L'heure du renard - Conte de Noël, par Gilbert Naccache

L'heure du renard

Conte de Noël,  par Gilbert Naccache

 

 

Un jour, il arriva que, dans la jungle, les animaux les plus faibles se rebellèrent. Nous ne voulons plus servir de repas aux grands, dirent tour à tour ceux dont la vie ne dépendait que de la rapidité de leur course ; et, en masse, regroupés et décidés, ils firent face et, malgré les représailles, finirent par chasser le roi Lion, qui n'avait, à vrai dire, plus guère belle allure : il était toujours très gourmand, ne prenant que le meilleur et jetant le reste, et devait entretenir une nuée de fidèles pour maintenir une domination contestée. Mais ses manières avaient gonflé le nombre de ses ennemis, même parmi les courtisans qui s'étaient vu décerner le droit de se servir sans limite sur la population animale, ce qu'ils ne se gênaient pas de faire.

Le roi, aveuglé par sa supposée puissance, et la soumission apparente de tous, multipliait les excentricités, et provoquait toujours de nouvelles rancunes. Le jour, donc, où le peuple de la jungle secoua ses épaules et décida de mettre fin à l'état des choses, osant défier l'ordre éternel des lois de la jungle, il renversa tous les obstacles ! Il y eut de nombreuses victimes, mais, en fin de compte, le roi s'enfuit,sans même désigner de successeur.

Dans la confusion qui suivit, certains des dignitaires de la cour essayèrent bien de prendre la suite ; las, habitués surtout à obéir, à vivre dans la soumission au roi, à seulement exécuter ses volontés et s'engraisser à son service, ils se virent incapables de diriger le royaume où nul ne reconnaissait désormais l'autorité de personne.

Quant aux animaux révoltés, ils ne savaient que faire, éprouvant mille difficultés à survivre, les prédateurs qui s'étaient multipliés ne connaissant plus de limites autres que celles que fixaient les autres prédateurs. La jungle toute entière commençait à désespérer, les anciens puissants craignaient que ne soit partie à jamais leur puissance, et les humbles ne voyant pas les bienfaits de leur révolte, en dehors du fait qu'ils n'avaient plus peur, qu'ils se savaient forts ; mais ils ne savaient comment utiliser cette force, et ils laissèrent une partie des courtisans, les moins haïs, diriger tant bien que mal la jungle.

On dit que certains animaux, ceux qui ne faisaient pas trop ouvertement partie de la cour royale, se consultèrent longuement pour trouver la manière de faire revenir le cours normal des choses. Ils ne le dirent pas sous cette forme, mais ils cherchèrent une solution pour rétablir la stabilité et l'autorité royale, de manière à ce que l'ancienne cour se reconstitue et ses dignitaires reprennent leurs rangs et privilèges : c'était difficile, car il ne fallait pas trop énerver ce peuple d'animaux inférieurs susceptibles, qui était capable d'encore tout désorganiser.

Ils firent des délégations et prirent conseil chez les souverains des peuplades voisines. C'est ainsi qu'ils finirent par demander à un vieux renard, qui avait cessé de s'occuper des intérêts du royaume pour se concentrer sur les siens propres, de bien vouloir leur venir en aide. Ce que le rusé lascar accepta, ne posant qu'une condition, celle d'être nommé roi s'il réussissait.

Les anciens dignitaires, barons, marquis, comtes et chevaliers promirent tout ce qu'on voulait, pourvu que cesse l'incertitude dans laquelle ils vivaient et qu'ils puissent reprendre leur place. Et notre Goupil de se mettre au travail, montrant un grand zèle pour faire revenir la paix, prêchant la réconciliation et affectant le plus grand désintéressement, et laissant la voie libre à ceux qui avaient été ses pires ennemis, les hyènes et les corbeaux.

Les contrer, se disait-il, en ferait des héros. Laissons-les faire, utilisons leur balourdise, leur ignorance, jouons habilement sur leur appétit revenu, semons des pièges sur leur chemin, en profitant de toutes leurs erreurs, même de celles qu'il ne feraient pas, en appuyant sur leurs liens d'amitié avec des royaumes peu aimés, comme celui de ces horribles porteurs de peste : j'arriverai bien, en fin de compte, à faire que tous ces animaux misérables me supplient de les débarrasser de leur joug !

Ainsi fut fait. Le renard saisissait toutes les occasions pour discréditer ses adversaires en affichant l'air de celui qui respecte les accords. Il profitait habilement des occasions que, conformément à ses prévisions, lui fournirent les régents, et surtout il sut utiliser un immense cataclysme qui avait frappé le royaume de leurs lointains parents : la séisme fit de nombreuses victimes, et rendus responsables de la colère de Dieu, las amis des régents passèrent d'un seul coup « du Capitole à la roche tarpéienne », en un mot, ils furent proprement étripés. Goupil organisa alors de grandes prières pour que le Ciel n'abatte point sa fureur aussi sur le malheureux peuple de la jungle, pour lui faire payer les fautes d'une poignée d'égarés : cela fit l'objet d'une telle démonstration de force, que lesusurpateurs s'enfuirent, laissant le trône à de nouveaux régents.

Débarrassé de ce danger, notre renard se mit en devoir de se faire accorder le titre suprême. On eut un moment l'impression que, rassurés et requinqués, les anciens dignitaires ne le laisseraient pas faire, qu'ils ne respecteraient pas le pacte passé avec le renard. Mais ils ne purent s'entendre, et aucun d'eux n'avait les moyens d'éliminer tous les autres, comme l'aurait exigé la très ancienne loi suprême de la jungle. Aussi, dans une hypocrite cortège de reconnaissance,vinrent-ils tous assurer le renard qu'ils seraient ses plus sûrs féaux, et ne perdirent guère de temps pour le démontrer par leur zèle à le servir

Et c'est ainsi qu'eut lieu le couronnement historique de Goupil, premier renard à devenir roi de la jungle. Les festivités furent grandioses, tous laissaient éclater leur joie. Les agapes, disproportionnées, firent un instant craindre le retour des massacres chez ceux des animaux ordinaires qui s'étaient félicités du retour au calme. Ils se consolèrent rapidement en se disant que c'était tout de même un jour de fête. Notre Goupil, ne voulant pas être dépendant des anciens courtisans, ils ls connaissait trop bien, se préparait à offrir des entrées à la Cour à ses anciens ennemis...

Et dans l'ombre, les grands fauves affûtaient leurs griffes et vérifiaient leurs crocs, se demandaient s'ils trouveraient le courage de déclencher la bataille finale, chacun craignant qu'un autre ne commence, et tous de se demander comment se débarrasser maintenant de l'importun renard...

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