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L'histoire des Juifs au Maroc racontée par Mohamed Kenbib

L'histoire des Juifs au Maroc racontée par Mohamed Kenbib

Le Maroc était à l’honneur, avec la Grèce et le Portugal, à l’Institut européen du monde sépharade dans le cadre d’un important colloque dédié au patrimoine sépharade. Le professeur Mohammed Kenbib, directeur de l’Institut Royal pour la recherche sur l’histoire du Maroc-Académie du Royaume du Maroc, a exposé à cette occasion le modèle de cohabitation séculaire entre juifs et musulmans au Maroc. Il a également mis l’accent sur les efforts menés sous l’impulsion Royale pour la préservation et la mise en valeur du patrimoine judéo-marocain.

L'histoire des Juifs au Maroc, partie intégrante de la diversité ethno-culturelle du pays, est particulièrement dense et riche de toutes sortes de spécificités. Avec ses 250.000 à 300.000 âmes à la fin du XIXe siècle, d’après les estimations de la légation britannique à Tanger en 1893, la communauté juive du Maroc était, en termes démographiques, la plus importante de l’ensemble du monde arabe. Ainsi que cela est stipulé dans le Préambule de la Constitution du Royaume, ses apports tout au long de son histoire plus que bi-millénaire sont constitutifs de la civilisation et du patrimoine du pays.

Le Maroc à l’honneur à Paris

Le Maroc était à l’honneur, avec la Grèce et le Portugal, à l’Institut européen du monde sépharade le 30 novembre 2022 dans le cadre d’un important colloque dédié au patrimoine sépharade. Le professeur Mohammed Kenbib, directeur de l’Institut Royal pour la recherche sur l’histoire du Maroc-Académie du Royaume du Maroc, a donné une conférence sur ce sujet à la mairie du XVIe arrondissement à Paris, devant une forte affluence pour laquelle il a fallu mobiliser deux grandes salles. Étaient présents le grand rabbin de France, Haïm Korsia, l’ambassadrice d’Israël en France, Yael German, la consule générale du Maroc à Paris, Nada Bakkali Hassani, et d’autres personnalités. Dans son allocution, le grand rabbin a tenu à remercier Sa Majesté le Roi Mohammed VI pour les décisions que le Souverain prend en vue de la préservation du patrimoine juif du pays et du resserrement des liens des Juifs marocains établis un peu partout dans le monde avec la patrie de leurs ancêtres.

La composante juive de la diversité ethno-culturelle du Maroc

Dans sa présentation, le conférencier a rappelé que la diversité prévalait au sein même des communautés. Les Tochabim (établis dans le pays depuis plus de deux mille ans) et les Méghorashim (expulsés de la péninsule ibérique en 1492-1497), en étaient les deux principales composantes. S’y sont ajoutés plus tard des marranes venus eux aussi de la péninsule ibérique pour retourner ouvertement au judaïsme et pratiquer librement leur culte. Tous ces groupes interagissaient avec leur environnement avant et après l’avènement de l’Islam. En dépit des inévitables aléas de l’histoire et des périodes de difficultés, ils avaient tous le sentiment d’une appartenance et d’un destin communs.

Principaux fondements d’une cohabitation multiséculaire des religions

Le Pr Mohammed Kenbib a mis en évidence à cet effet une cohabitation multiséculaire, les mêmes parlers et dialectes, des convergences y compris au niveau de la religiosité, l’allégeance à un même Souverain, la complémentarité économique, et des réactions similaires face aux tentatives d’invasions étrangères, ainsi que face aux calamités naturelles, notamment les épidémies et les cycles de sécheresse. Ces calamités transcendaient en quelque sorte les clivages religieux, a-t-il expliqué, en ajoutant que «Juifs et Musulmans invoquaient tous la miséricorde divine et la clémence du Ciel». En pareilles circonstances, «les habitants des mellahs organisaient, à l’instar des Musulmans faisant des prières de l’Istiqsa, toutes sortes de prières, de jeûnes, de supplications autour des tombes de rabbins vénérés, et de processions rogatoires» pour que la sécheresse prenne fin.

Dans son analyse des mutations survenues au cours du XIXe siècle et à l’époque du protectorat, le conférencier a évoqué succinctement les facteurs cumulatifs et corrosifs ayant joué dans le sens de l’amorce d’un processus de désarticulation des structures traditionnelles du pays. Il a mentionné en particulier l’impact multiforme de l’insertion accrue du Maroc dans le marché mondial, celui de la convention d’Algésiras (notamment la clause instituant le régime dit de «la porte ouverte»), ainsi que les bouleversements générés par le régime colonial avec, entre autres, la dépossession et la prolétarisation des fellahs. Ces derniers, majoritaires dans la population, étaient naguère les principaux clients des colporteurs, des artisans, des couturières et des soukiers juifs. Parmi les facteurs du changement figuraient aussi, à divers niveaux, les grandes associations juives étrangères, notamment l’Alliance israélite universelle.
À l’époque du protectorat, l’un des faits majeurs est que les Juifs du pays sont restés des sujets du Sultan. C’est ce statut qui a permis au Sultan Sidi Mohammed ben Youssef (le Roi Mohammed V) de prendre leur défense pendant la Deuxième Guerre mondiale et de s’opposer à l’application des lois raciales de Vichy au Maroc, malgré les pressions à répétition du Chef de l’État français, le maréchal Pétain, et de son commissaire général aux questions juives, Xavier Vallat.

Les juifs du Maroc, mémoire et gratitude au Présent

Dans son évocation de cette période, le Pr Kenbib a parlé de la mémoire vivace que les Juifs gardent de la protection leur ayant permis de traverser sains et saufs la guerre et de rester aujourd’hui attachés à leur pays d’origine. Il a cité, à titre d’exemple, «la très belle cérémonie organisée en décembre 2015 par des Juifs marocains des États-Unis dans la plus grande synagogue sépharade de New York, Bnei Yushurun, pour la remise à SAR la Princesse Lalla Hasnaa du Prix Martin Luther King de la Liberté décerné à titre posthume à Son grand-père, le Sultan Sidi Mohammed ben Youssef».
Tout aussi impressionnante et émouvante, devait-il ajouter, fut une autre grande cérémonie initiée à Los Angeles en novembre 2019 par des Juifs marocains de Californie à l’initiative de la Em Habanim Sephardic Congregation. Dans un «Salute to Morocco», ils ont tenu à rendre un vibrant hommage à «A Dynasty of Tolerance» et en particulier aux Rois Mohammed V, Hassan II et Mohammed VI, en présence de la Princesse Lalla Hasnaa et de Lalla Joumala, ambassadrice du Maroc à Washington», rappelle M. Kenbib.

Pour ce qui est du patrimoine, le conférencier a cité la lettre collective, hautement significative, adressée au Roi Mohammed VI par de grands rabbins et des rabbins d’origine marocaine d’Israël, d’Espagne, de France, de Belgique, d'Angleterre, du Canada, des États-Unis, du Mexique, du Venezuela, et d’Argentine. Dans cette lettre, les cosignataires ont exprimé au Souverain leur gratitude pour les mesures qu’il prend plus particulièrement pour la restauration des synagogues et l’entretien des cimetières juifs du pays.

Le témoignage du Secrétaire général de l’ONU

Parmi les autres faits marquants, le Pr Mohammed Kenbib a évoqué «la décision de Sa Majesté le Roi Mohammed VI de créer un Centre national pour le patrimoine culturel immatériel» et «l’insertion de cours sur la culture juive dans le curriculum des établissements primaires et secondaires». À cela s’ajoutent «la création de l’association Mimouna par des étudiants musulmans voilà plusieurs années déjà à l’Université Al Akhawayne d’Ifrane», ou encore dernièrement «l’inauguration d’une synagogue dite “Bayt Allah” sur le campus de l’Université Mohammed VI Polytechnique.
Pour ce qui est de la recherche scientifique, le conférencier a rappelé l’attention portée dans de nombreuses thèses de doctorat ainsi que dans des mémoires de Master au judaïsme marocain. S’agissant de manière plus spécifique de l’Académie du Royaume du Maroc et de l’Institut Royal de recherche sur l’histoire (IRRHM), il a donné, à titre d’exemple, le colloque international dédié en 2019 au regretté Haïm Zafrani, et l’insertion de la dimension juive dans le programme de séminaires et de colloques de l’IRRHM.

Le Pr Mohammed Kenbib a terminé sa conférence en citant un extrait du communiqué du Palais Royal publié à l’issue de l’audience accordée par Sa Majesté le Roi Mohammed VI à Mr Antonio Guterres et indiquant que «Le Secrétaire général des Nations unies a exprimé sa gratitude à Sa Majesté le Roi pour la réussite du neuvième forum de l’Alliance des civilisations qui se tient à Fès… Mr Guterres a salué l’engagement permanent du Souverain en faveur de la promotion des valeurs d’ouverture, de tolérance, de dialogue et de respect des différences».

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Bientôt la troisième édition de «Juifs et Musulmans au Maroc : des origines à nos jours»

La parution de la troisième édition du livre du professeur Kenbib «Juifs et Musulmans au Maroc, des origines à nos jours» est prévue pour bientôt à Paris aux éditions Tallandier. Dans cet ouvrage, l’auteur remet en perspective la présence plus que bimillénaire au Maroc des communautés juives et leur contribution à l’histoire, à la culture, au patrimoine, à l’économie et à la diplomatie du Royaume.

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