L'honneur perdu des jeunes filles d'Agadir
Le procès de Philippe Servaty est une première : il s’agit de juger en Belgique un homme coupable de tourisme sexuel. Pour Cathline Van Rymenant, ce procès, et surtout la requalification des faits par la Procureure, ne tient pas compte de la réalité vécue par les jeunes Marocaines abusées.
C’était des jeunes filles comme on en connaît beaucoup, naïves, cherchant le prince charmant, rêvant aussi d’une vie meilleure. Elles ne se connaissaient pas. Marocaines, elles vivaient à Agadir, les unes travaillaient, les autres étaient au chômage, certaines étaient mineures. Entre le 6 novembre 2001 et le 31 janvier 2004, leur route a croisé celle de Philippe Servaty. Journaliste au Soir, propriétaire d’un appartement à Agadir, il leur fait un numéro de charme, les séduit, promet le mariage, les emmène chez lui. Pour elles, c’était " faire l’amour ", pour lui l’occasion de prendre des photos d’elles à leur insu, dans des postures dégradantes quand elles deviennent publiques. Il diffuse les photos sur internet sur des sites pour touristes sexuels: son visage est flouté, elles sont toutes reconnaissables ….
Des victimes devenues coupables
Une des jeunes filles est avertie par une amie que sa photo circule sur un DVD au marché. Elle porte plainte. Philippe Servaty est interrogé par la police puis peut librement partir en Belgique, sans aucune poursuite judiciaire. 13 jeunes filles sont, elles, arrêtées; de victimes elles sont transformées en coupables et condamnées par une justice expéditive à des peines de prison ferme de 6 mois à 1 an, pour débauche et autres accusations infamantes. Quelques-unes seront graciées grâce à l’action d’un comité de soutien emmené par un syndicaliste marocain et une sénatrice belge, Fatiha Saidi, qui parlera de " David contre Goliath ". Mais le mal est fait. Elles doivent subir l’opprobre d’une société encore marquée par le machisme, certaines fuiront Agadir, d’autres seront rejetées par leur famille ….
En Belgique, Philippe Servaty est dénoncé puis poursuivi pour " viol d’une mineure d’âge, exploitation de la débauche et de la prostitution de plusieurs mineures de moins de 16 ans, diffusion de pédopornographie et traitements inhumains ". Redwan Mettioui Redouane, un avocat bruxellois, s’est constitué partie civile en représentant 13 des victimes ainsi que l’Association marocaine Anazur (espoir en amazigh), qui lutte contre le fléau du tourisme sexuel au Maroc. Sept ans plus tard, le procès s’ouvre enfin en décembre 2012. L’ouverture du procès a été renvoyée d’année en année par la Chambre des mises en accusations.
Fait marquant de ce 8 janvier 2013 : le réquisitoire de la Procureur du Roi de ce 8 janvier 2013 requalifie en prévention d’attentat à la pudeur la prévention de viol, l’âge de la victime mineure n’étant pas formellement établi. Comment cela se fait-il ?
Des femmes en position de faiblesse dans leur pays
Dès lors, elle requiert seulement deux ans de prison avec sursis possible et une amende, sans être " opposée à une mesure de faveur " estimant que l’ex journaliste a déjà été " professionnellement condamné puisqu’à l’époque, il a été licencié par le journal Le Soir, et qu’il a également déjà payé socialement puisqu’il a reçu plusieurs menaces de mort : " L’important, c’est que les femmes soient rétablies dans leur dignité et que leur statut de victime soit reconnue ", a-t-elle déclaré ce mardi.
C’est ici que l’on mesure l’incompréhension qu’il peut y avoir entre une société européenne du Nord et une société majoritairement arabo-musulmane fortement marquée par les traditions, le culte de la " pureté " de la femme, de l’ "honneur ".
La procureure du Roi se rend-elle compte que les victimes vivent dans un pays où, encore aujourd’hui, une jeune fille violée subit une triple peine : le profond traumatisme du viol, le rejet par sa famille, son entourage car " souillée ", le risque de devoir épouser son violeur sous la pression familiale ? A-t-elle tenu compte du fait que 13 des jeunes filles ont purgé une peine de prison comme si elles étaient des coupables et non des victimes ? Et que la société civile les a condamnées de la même manière, provoquant l’exil de leur ville, le rejet par leur famille ?
Monsieur Servaty est un prédateur intelligent. Pas de viol au sens strict du terme avec contrainte, violence. Non, dans un pays où les femmes sont en position de faiblesse devant la justice, également dans la société, elles constituaient des proies de choix pour lui. A peine sorties de l’adolescence, elles n’étaient encore capables de deviner le prédateur en lui. D’autant plus fragiles qu’elles rêvaient d’une vie différente, meilleure … et que cet Européen la leur faisait miroiter.
Le juge n’est pas obligé de suivre les réquisitions …. Pourra-t-il entendre ces voix féminines venues d’ailleurs ?
Cathline Van Rymenant
61 ans, universitaire, ayant travaillé dans les secteurs hospitalier et universitaire ainsi que dans l'éducation permanente (au chômage, Cathline Van Rymenant est un des rédacteurs et lecteurs du blog Respectivement.be sur lequel ce texte est paru une première fois. Engagée pour la défense de la laïcité, pour l'égalité réelle entre tous, contre tous les extrémismes, d'extrême-droite tout autant que celui des fanatismes religieux, islamistes, chrétiens ....
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