Ma sœur Mireille ! Par Bob Ore Abitbol
Mon père l’adorait
Elle ressemblait trait pour trait à sa mère dont elle portait le prénom: “Myriam” en hébreu.
C’était le même que celui de notre grand-mère maternelle mais ça ne comptait pas vu que c’est sur sa mère à lui d’abord et avant tout qu’elle avait été nommée!
Il en était fier!
Il lui trouvait toutes les grâces du monde et même de l’univers.
En fait elle avait tous ses défauts ce qui rendait ma mère hystérique et quelques unes de ses qualités à lui ce qui le ravissait !
Coiffure à l’artichaut, petit visage rond et sympathique, yeux immenses et expressifs, nez refait plusieurs fois a partir de 18 ans alors qu’il était très bien mais fallait faire comme les copines, pas grande mais bien proportionnée jusqu’au jour où elle a commencé ses regimes.
Désordonnée et fière de l’être, la logique d’un escargot en mutation, têtue, “accumulatrice” à outrance de tous les objets grands ou petits sur lesquels elle tombait ravie, de robes excentriques qui lui allaient ou pas, de chapeaux de toutes formes, de toutes couleurs et de toutes dimensions qu’elle arborait fièrement comme un coq de village dont elle adoptait la démarche cocasse.
Collection rare de poupées russes qu’elle refusait de vendre alors qu’elle les avait acheté à cet effet, sous prétexte qu’un jour elles prendraient de la valeur. Collections de vases tarabiscotées de différentes époques parce qu’on sait jamais ça peut revenir à la mode. Collections enfin de petits bonshommes ridicules parce qu’elle les trouvait irrésistibles: Une folle!
Une folle adorable mais une folle quand même!
Avec tout ça, pleine de bonté accompagnée d’une certaine candeur dont elle n’était pas vraiment consciente.
Adorée de ses amies, amitiés qu’elle cultivait avec amour et fierté elle était une excellente cuisinière , ayant heureusement hérité quand même quelques gènes maternels.
Elle était devenue d’après elle, à son humble opinion, une experte absolue en manipulation végétale et avait développé des recettes miracles dont elle seule détenait le secret exclusif !
Elle faisait de l’agro-alimentaire medical!
Selon les jours et son humeur en effet, elle administrait, préconisait ou recommandait chaudement du chou blanc pour la prévention de la chute de cheveux, de la betterave sucrière pour le diabète, des carottes pour la vue , des concombres pour les yeux, des bananes avec pain complet pour la diète, de l’ail contre le mauvais oeil mais aussi pour la digestion, deux belles fonctions en somme, du cucurma pour les égratignures et les coupures en tous genres, du gingembre dans tout, ça ne pouvait pas vous faire de mal, du jus et des écorces de citron pour l’estomac, du vinaigre de cidre pour maigrir, des artichauts pour la tension, des navets blancs pour le cholestérol, des radis pour l’arthrose et d’extraits de grains de pépins pour les varices et j’en passe!
Ses épices savamment mélangées servaient soit pour le mal de coeur soit pour le mal d’amour au choix du client.
De toutes façons, disait-elle péremptoire, je l’ai lu quelque part et de ce fait cela rendait le texte et l’information sacrée au même titre que la Bible qu’elle ne consultait jamais du reste!
Pas de discussion possible !
On avait beau lui faire valoir des arguments de taille contre ses théories burlesques et rocambolesques elle refusait de bouger ne serait-ce que d’une once! Sa foi en elle-même était sans faille!
Devant notre réticence à la croire et nos mines dubitatives elle s’insurgeait, nous traitant d’ignares et d’ingrats moi et mes frères, continuant de prodiguer des soins à une clientèle aussi invisible qu’inexistante sinon à elle qui était fort heureusement son cobaye unique et favori!
Lorsque nous étions jeunes elle nous coupait les cheveux au hasard laissant de grands trous béants sur nos petites têtes ou nous décolorait totalement parce que disait elle ça nous donnait l’air de petits américains.
-Ça va repousser nous rassurait-elle
Mon père l’aimait et la protégeait des six diables de frères qui ne la ménageaient pas.
Elle se défendait très bien du reste.
Malgré ses mille diètes différentes, ses cures d’amaigrissement en série, quelquefois simultanées, je ne l’ai jamais vu perdre un gramme!
Mais c’était sans doute parce qu’on lui faisait de l’oeil! Et aussi j’imagine une question de temps!
Peut-être ! Qui sait?
Bob Oré - boboreint@gmail.com
Extrait de “Le fils du relieur” à paraître prochainement aux éditions Balzac
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