Marcos Elbaz, fervent admirateur de Mohammed V
Marcos Elbaz est né en 1927 à El Jadida dans une famille originaire de la même ville. Après son certificat d’études primaires, il choisit le métier de tailleur-coupeur qu’il exerça pendant toute sa vie active à El Jadida, Casablanca et à Ivry-sur-Seine en France. Pendant les moments difficiles de la Deuxième Guerre mondiale, Marcos Elbaz se souvient du rôle primordial du Roi Mohammed V dans la protection des Marocains de confession juive. Marcos a bien voulu témoigner sur cet épisode.
« Je suis Marcos Elbaz, fils d’Aaron Elbaz et de Rachel Cohen. Mon nom vient de l’arabe et signifie faucon. Ma famille est marocaine, installée à El Jadida depuis plusieurs générations. Nous étions cinq frères dans la famille et on habitait le quartier populaire de Sid-Daoui, un peu plus loin du tombeau du saint portant le même nom. Il y avait dans notre ville d’autres familles Elbaz, mais qui n’avaient pas de relations directes avec la mienne. Il y avait par exemple la famille de l’artiste-peintre André Elbaz et celle du coiffeur sur l’ancienne place Brudo.
Mon père avait une épicerie donnant sur la place Gallieni (aujourd’hui place Khattabi). Cette épicerie était proche de la rue des Bijoutiers. J’ai fait ma scolarité jusqu’au certificat d’études primaires puis j’ai appris le métier de tailleur. Je n’étais pas le seul dans la famille à exercer ce métier : il y avait aussi mon frère et mon oncle. Mon père me répétait souvent l’adage : « Marcos, un métier, s’il ne t’enrichit pas, te protège ». Car à l’époque, sous le Protectorat, on ne pouvait pas aller plus loin dans les études. Certains Jdidis avaient pu continuer jusqu’au baccalauréat ou plus, mais c’était très rare. Il faut dire qu’à l’époque, chez les Marocains, les enfants représentaient en quelque sorte la retraite des parents. Ce sont les enfants qui en grandissant allaient travailler et aidaient pécuniairement leurs parents. Je me rappelle que beaucoup de Jdidis partaient travailler à Casablanca et revenaient tous les quinze jours pour apporter un peu d’argent à leurs familles.
Aujourd’hui j’ai 93 ans et j’ai encore, Dieu merci, une bonne mémoire. Je peux dire que j’ai vécu une période pleine d’évènements et riche en rebondissements : Protectorat, crise des années trente, Deuxième Guerre mondiale, politique de Vichy, pénurie alimentaire, résistance, manifestations nationalistes, déportation de Mohammed V, Indépendance..., et la liste est longue. Cette période était jalonnée certes de moments de joie mais également de difficultés. Cependant, il faut dire, qu’en général, la vie était très simple au Maroc et surtout à El Jadida. Je peux même affirmer que par rapport à d’autres villes au Maroc ou en France, « on était très bien à Mazagan ».
Dans ma jeunesse, nous vivions juifs et musulmans presque mêlés dans le quartier de Sid-Daoui et sur la place Moulay Hassan. On se rassemblait dans les mêmes cafés, on fréquentait les mêmes bains, on se ravitaillait aux mêmes souks et on pratiquait les mêmes jeux. En ce qui me concerne, mon ami le plus proche était un musulman qui s’appelait Si Mohammed ould Raïs, car son père était propriétaire d’une barque de pêche. On avait également des associations réservées aux juifs comme le Cercle de l’Union. Certains musulmans jdidis avaient épousé des femmes juives mais ils n’étaient pas nombreux, peut-être cinq ou six.
La période de Vichy était très dure car le Protectorat voulait étendre les mesures anti-juives aux Marocains de confession juive, mais le Roi Mohammed V s’y est fermement opposé. Je voudrais dire que feu le Roi Mohammed V, que j’estime beaucoup, a défendu ses citoyens juifs. Toute la communauté admire ce roi bienfaiteur qui a fait face avec courage à la politique pétainiste. Grâce à lui aucun juif marocain n’a été déporté en France, ni en Allemagne, ce ne fut pas le cas pour l’Algérie et la Tunisie. Chez les Français du Maroc, il y avait deux tendances distinctes : l’une était en symbiose avec le régime pétainiste et l’autre était contre cette politique sans le montrer ouvertement. Je me rappelle, par exemple, un commissaire de police français à El Jadida, à l’époque du Protectorat, qui défendait les Juifs mais en toute discrétion. En fait, il vivait avec son amie juive et compatissait au sort réservé aux juifs. Puis avec l’avènement de l’Indépendance, le départ des Français et la fermeture de plusieurs entreprises, la situation économique devint difficile. Cette conjoncture a fait que, dès les années 60, beaucoup sont partis à Casablanca ou ont immigré dans d’autres pays.
En 1962, je suis parti à Casablanca où j’ai travaillé pendant dix ans dans le textile chez Alba confection. Ma fille Emma et mon fils Edouard sont nés dans cette métropole. En 1972, j’ai quitté le Maroc définitivement pour m’installer à Ivry-sur-Seine en France. Je dois préciser que j’étais déjà venu en France une première fois en 1964 mais, à ce moment-là, ce pays ne m’avait pas plu du tout. Je suis donc retourné à Casablanca où il faisait, à l’époque, bon vivre. Quand j’ai décidé de m’installer en France, j’ai tout de suite trouvé du travail comme coupeur dans une usine textile. Je n’avais pas, au début, les papiers de résidence et c’est mon patron qui a constaté mon sérieux et m’a aidé à les obtenir. En France, j’ai eu mon troisième enfant, Emile.
Plus tard, avec l’âge, ma femme, Gaby Ouaknine, est tombée malade, atteinte d’Alzheimer. Elle est entrée dans une maison de retraite et j’ai préféré l’accompagner dans cet établissement pour ne pas la laisser seule. Aujourd’hui les temps ont changé et la vie moderne est devenue de plus en plus compliquée pour la nouvelle génération. La mienne a vécu à une époque où l’on avait beaucoup plus de temps. »
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