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Maroc: l’exception juive du monde musulman

Maroc: l’exception juive du monde musulman

 

"On assiste depuis la montée sur le trône du roi Mohammed VI à une volonté institutionnelle affichée de mettre en avant la composante juive de l’histoire du Maroc".

Par Julien Nouchi, Consultant fiscaliste à Casablanca en cabinet d'avocats, membre de l'association des amis du musée du judaïsme marocain

 

JUDAÏSME - Il reste actuellement environ 4000 âmes juives au Maroc, très majoritairement établies à Casablanca, ainsi qu’une présence sporadique à Rabat et Marrakech, soit environ 0,01% de la population marocaine actuelle. Au recensement effectué par les autorités françaises en 1946, on dénombrait en zone française environ 200.000 Marocains de confession juive. La minorité juive, tant rurale que citadine, n’était donc pas significative à la veille des “grands départs”.

Les explications de ce départ aussi soudain que massif sont multiples, largement commentées et selon nous essentiellement au nombre de trois: coupure progressive de la minorité juive du reste de la population suite à l’accession à la culture française (et occidentale) au travers du réseau d’écoles de l’alliance israélite universelle; montée en puissance du caractère musulman du panarabisme et du nationalisme indépendantiste marocain, rendant de factoplus difficile toute communauté de destin avec une minorité religieuse; sentiment de peur en tant que minorité aggravé depuis 1948 et le début du conflit israélo-arabe.

 

Avant toute chose, nous souhaitons lever une ambiguïté: la présence juive au Maroc, vieille de 2000 ans, n’a ni constitué un âge d’or ininterrompu entre les communautés juive et musulmane ni une série d’évènements tragiques ou d’humiliations permanentes. Comme toujours, les réalités sont bien plus nuancées et contrastées, selon les époques ou les lieux et diffèrent notamment en fonction des milieux sociaux d’origine. Nous vous renvoyons aux différents ouvrages de l’historien Georges Bensoussan consacrés à ce sujet.

En tout état de cause, aujourd’hui, force est de constater que le seul pays musulman n’étant pas judenraus (expression anti-juive utilisée par les nazis signifiant “les juifs dehors”) est bel et bien le Maroc. Bien au contraire, on assiste depuis la montée sur le trône du roi Mohammed VI à une volonté institutionnelle affichée de mettre en avant la composante juive de l’histoire du Maroc et aucune entrave aux initiatives allant dans ce sens n’est pour l’instant à déplorer.

 

C’est dans ce contexte qu’il est important de souligner qu’une poignée de bonnes volontés animent un réseau associatif au Maroc afin de communiquer sur le passé juif du Maroc mais aussi de promouvoir la sauvegarde du patrimoine juif du Maroc. Parmi celles-ci, fut créée en 2013 l’association des amis du musée du judaïsme marocain (AAMJM), dont nous décrivons ci-après les principales missions et réalisations. 

Des projets culturels très variés pour faire vivre le patrimoine juif

La tâche que s’est assignée notre association est immense car la perception du judaïsme marocain et de la diversité culturelle du pays par le reste de la population musulmane est très limitée ou souvent marquée par les préjugés.

Par ailleurs, nous assistons à la disparition progressive de ceux qui peuvent témoigner de cette entente passée et cela est d’autant plus préoccupant que l’enseignement de cette partie de l’histoire marocaine est occulté par les ouvrages d’enseignement public. Dès lors, les jeunes générations n’ont plus aucun repère: pour elles, le juif marocain est abstrait et l’existence d’une cohabitation réelle entre musulmans et juifs sur le sol national est méconnue.

Ceci est bien sûr contradictoire avec le soutien apporté par les autorités pour retisser le caractère unique de la relation entre le Maroc et ses enfants juifs, malgré le déracinement. En vue de pallier ces manques, l’AAMJM a réalisé un projet de documentaire adressé à la jeunesse marocaine avec pour objectif d’expliquer l’histoire de la présence juive au Maroc. 

Sur un autre registre, l’association a participé à l’organisation de la semaine du film sur le judaïsme marocain à Berlin en 2016 durant lequel 10 films ont été présentés. Des conférences thématiques ont également permis des échanges sur l’histoire du judaïsme marocain. Son Excellence l’ambassadeur du Maroc en Allemagne était présent. Il a profité de cette occasion pour souligner l’attachement du Maroc à sa composante juive et le souci du Maroc pour l’entretien du patrimoine de cette communauté marocaine, conformément au préambule de la Constitution de 2011.

Par ailleurs, sous la direction de Simon Lévy, la Fondation du patrimoine culturel judéo-marocain (FPCJM, créée en 1994) a sauvé des monuments de l’histoire juive du Maroc comme la synagogue Ben Walid de Tétouan, les synagogues Ben Danan et Slat Elfassiyin de Fès et des synagogues rurales comme celles d’Oufrane de l’Anti-Atlas et d’Ighil N-Ogho.

D’ailleurs, il est utile de souligner l’importance symbolique de l’unique musée juif du monde musulman situé à Casablanca, abritant des collections d’objets reflétant deux mille ans de vie juive au Maroc et au sein duquel de nombreuses expositions sont organisées pour faire connaître la culture judéo-marocaine à un large public.

D’autres projets ont été mis en œuvre, tels que la publication de la thèse de doctorat d’Etat de Simon Lévy “Parlers arabes des juifs du Maroc”, dont les travaux menés en urgence ont permis de recueillir des données linguistiques sur le judéo-arabe marocain avant son extinction probable dans sa forme millénaire.

Une exposition photo au Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme à Paris, “juifs parmi les berbères”, a également accueilli un large public, mettant en lumière la présence juive importante dans les zones rurales jusque dans les années 1960 ainsi que ses traces innombrables, synagogues, genizah ou cimetières, témoignant d’un passé riche mais méconnu.

Enfin, le Mellah de Marrakech fait l’objet d’un projet de création d’un complexe des arts et cultures qui inclura dans ses préoccupations la recherche scientifique de ce que l’implication des juifs a apporté à l’évolution des arts techniques et cultures marocains. De fait, l’implantation juive à Marrakech date de sa création vers le XIIe siècle. C’est le second Mellah après celui de Fès.

Accompagner ce mouvement fraternel

Au-delà de ces actions menées par le milieu associatif marocain, on assiste à un renouveau de la présence juive au Maroc au travers des aspects mystiques et religieux. En effet, nombreux sont les juifs marocains ou d’origine marocaine à venir visiter les “saints” ou à passer la fête de la Pâque juive dans des hôtels à El Jedida ou Marrakech, où la cacheroute (règle alimentaire juive) leur est garantie.

C’est dans ce contexte que sur les plus de 11 millions de touristes qui visitent le Maroc chaque année, on dénombre entre 160.000 à 200.000 juifs venant d’Israël, de France, du Canada et d’Amérique latine.

Fidèle à son image d’ouverture et de tolérance et fort d’une volonté avérée, le Maroc démontre dans les actes son attachement à sa minorité juive. C’est dans le sillage de cette volonté que l’AAMJM s’inscrit afin de mettre en valeur et expliquer davantage aux Marocains l’histoire juive marocaine, en multipliant les échanges culturels dans ce sens et en ouvrant, c’est notre vœu, une nouvelle page de cette histoire commune.

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