Milan Kundera, inégalable auteur, par Vanessa De Loya Stauber
Milan Kundera, immense écrivain Tchèque, nous a quittés à 94 ans. Un départ prévisible vu son état de grande fragilité. Il reste difficile d’apprivoiser l’absence d’un être rare, devenu précieux compagnon de lecture.
Poète, son premier recueil s’intitulait L’homme, ce vaste jardin.
Pianiste initié par un père musicologue, il entame en 1948 des études de littérature et d’esthétique à l’Université de Prague puis s’inscrit à l’Académie de cinéma où il étudie trois ans.
En 1967, son livre La plaisanterie lui vaut d’être salué et préfacé par Aragon. Précisons que ce roman censuré dans son pays comme « trop politique », ne fut autorisé à Prague qu’en 1991. Kundera, suite à cette tardive reconnaissance, imposa une condition : ses droits d’auteur devraient servir à une traduction de L.F. Céline en langue Tchèque !
En 1970, Risibles Amours abordera ses thèmes favoris : l’amour, la fidèlité et l’identité. Comme Nietzsche, il pense que l’amour est une longue conversation. L’amour, cette épreuve de vérité qui ne souffre aucune échappatoire…
Traduit en quarante langues, cité plus d’une fois pour le prix Nobel de littérature, il arriva en France en 1975 et enseigna en Bretagne à l’Université de Rennes. A cette époque, les services secrets tchécoslovaques avaient un œil sur lui. Communiste dès l’âge de 18 ans, le parti l’exclut en 1956 et le réintègre en 1970. Réputé contestataire, il fut déchu de sa nationalité.
En 2020, tout contentieux écoulé, Kundera, prit de sentimentalisme, offre à sa ville natale Brno, son entière bibliothèque.
Il obtint le prix Médicis étranger pour son livre foisonnant de sensualité La vie est ailleurs.
En 1979, il écrit un roman en forme de variation, sur les anges et l’estompe de Prague Le livre du rire et de l’oubli relate la vie d’une femme immigrée à l’afflux de son passé. Cette année-là, je décidais d’aller sur les traces de Kafka à Prague. Une conservatrice de Musée m’invita à séjourner chez elle, du temps où je travaillais au Centre Pompidou. Dans ma valise, je glissais le récent livre de Kundera à peine parcouru. A mon étonnement, cet écrit, comme tant d’autres, fut censuré dans son pays. Aussitôt arraché par l’hôtesse, il circula entre les mains avides et joyeuses de son entourage. Inconsciente, j’avais bravé de gros risques en le faisant passer…
En 1981, suite à l’élection de la gauche, Mitterrand, fervent lecteur de Kundera, lui octroie la nationalité Française.
Diderot lui inspire l’écriture d’une pièce Jacques et son maître. Il aime Cervantes, Kafka, Musil et Gombrowicz…
Suivront La valse aux adieux, L’insoutenable légèreté de l’être, adaptée au cinéma par J.C Carrière et P. Kaufman.
Avec L’Immortalité, il réussit à faire dialoguer Goethe et Hemingway !
Pour la première fois en 1993, il renonce à sa langue maternelle et écrit dans un français épuré son roman La lenteur où il dénonce la vitesse et le culte de la nouveauté. D’autres écrits suivront, dont L’identité en 1998 où il nous rappelle combien il croit à l’amour authentique.
En 2011, il entre dans La Pléiade, collection prestigieuse crée en 1931 où seuls dix auteurs vivants figurent. Véritable consécration solennisée.
En 2019, lors de l’exposition de F. Bacon au Centre Pompidou, avec M. Leiris et G. Deleuze, Kundera écrit un texte. Il y évoque des sensations physiques, troublantes ressenties devant les puissantes figures Baconiennes. Il s’interroge : « Jusqu’à quel degré de distorsion un individu reste-t-il lui-même ? Pendant combien de temps un visage cher qui s’éloigne dans la maladie, dans la folie, dans la haine, dans la mort, reste-t-il encore reconnaissable ? ».
Rien moins que des questions métaphysiques sur l’humain.
Par le biais d’un ami dissident Hongrois, un soir j’eus le privilège de faire partie d’un happy few réuni chez lui à Montparnasse. Un diner mémorable pour sa teneur intellectuelle. Véritable banquet avec rebonds et controverses. Depuis, je tente de reconstituer ce genre de casting avec cette qualité d’échange animé autour de ma table. Quelques années plus tard je fus réinvitée dans son ultime lieu dans le quartier de Sèvres-Babylone, dans une impasse face au restaurant Le Récamier. Il savait extraire de nous le meilleur de nos réflexions sur un ton civil empli de maturité. Son exigence analytique toujours alerte, d’homme peu dupe, reste présente à mon esprit telle une éthique de vie.
Kundera, avec son regard bleu pâle affûté, nous manque déjà.
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