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Peut-on réformer l’ONU? Par David Bensoussan

Peut-on réformer l’ONU?

 

David Bensoussan, Professeur de sciences à l'Université du Québec

 

POINT DE VUE / Les questions sur la pertinence de l’Organisation des Nations Unies (ONU) reviennent souvent à l’ordre du jour. Aujourd’hui même, l’ONU n’a pas de solution ou même de vision pour approcher les problèmes actuels: la crise de réfugiés mondiale, le conflit armé qui persiste en Syrie, en Ukraine, au Yémen et au Nagorno-Karabakh, les prémices d’une guerre froide sino-américaine et les problèmes de sécurité grandissants dus aux agissements de la Chine dans le Sud-est asiatique.

De la SDN à l’ONU

L’ONU été créée après la Seconde Guerre mondiale pour succéder à la Société des Nations (SDN) qui fut fondée après la Première Guerre mondiale. Le mandat de la SDN était d’assurer la paix. Or, la SDN fut impuissante face aux conflits de l’entre-guerre: la guerre civile espagnole, l’invasion de l’Éthiopie par l’Italie, l’impérialisme japonais en Asie et l’impérialisme allemand en Europe, l’annexion de l’Autriche, de la Tchécoslovaquie et de la Pologne par l’Allemagne déclenchant une seconde guerre mondiale.

Voulant encore une fois éviter le cauchemar d’un nouvel affrontement militaire, l’ONU se proposait d’offrir un mode de règlement des conflits et de faire respecter les valeurs humaines fondamentales qui avaient été bafouées pendant la Seconde Guerre mondiale.

À cette fin, deux forums furent définis: le Conseil de sécurité (CS) et l’Assemblée générale (AG). Le CS comprend quinze membres dont cinq sont permanents (Chine, États-Unis, France, Grande-Bretagne, Union soviétique) avec droit de veto. Le CS a un pouvoir de sanction. L’AG (AG) de 193 nations a un pouvoir «déclamatoire»: sa seule prérogative est d’approuver le budget des Nations Unies par consensus. Autrement, ses résolutions sont non contraignantes et supposément morales.

Dysfonctionnement de l’ONU

Il faut bien se rendre à l’évidence: le droit de veto au conseil de sécurité a été utilisé 258 fois, ce qui équivaut à la paralysie de l’ONU lorsque l’une des grandes puissances est en désaccord.

Par ailleurs, l’AG s’est discréditée par des votes de bloc automatiques: durant la guerre froide, tous les pays sous influence soviétique votaient unanimement sur toutes les résolutions. Les votes de pays arabo-musulmans ont été tout aussi automatiques en prenant en otage l’AG pour en faire une fabrique de résolutions anti-israéliennes; bien des puissances européennes se sont jointes au vote par contumace si ce n’est par intérêt, délaissant ainsi les nombreux problèmes brûlants de la planète.

De fait, ce fut la résolution de 1975 assimilant le mouvement national juif du sionisme au racisme (résolution abrogée par la suite) qui remit en question la pertinence de l’ONU aux États-Unis. Les ambassadeurs américains à l’ONU Daniel Moynihan et Jeane Kirkpatrick s’exprimèrent avec véhémence contre les passions antisémites dont ils étaient témoins. Durant les mandats des premiers ministres canadiens Paul Martin et Stephen Harper, le Canada s’est dissocié de ces votes automatiques.

Un bilan partagé

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l’ONU proposa une solution au conflit israélo-palestinien qui fut refusée par les États arabes. En 1960, des forces importantes de l’ONU furent déployées au Congo pour y rétablir la paix.

Les Casques bleus de l’ONU constituent une force militaire dont le mandat consiste à prendre des mesures pacificatrices dans les zones de conflit, en y surveillant l’application du cessez-le-feu. Ils ne peuvent se défendre qu’en cas de légitime défense. Ils ont maintenu un certain ordre à la frontière égypto-israélienne pour faire appliquer la proposition du premier ministre canadien des Affaires étrangères Lester Pearson, mais en furent chassés par l’Égypte en 1967. Les Casques bleus sont également intervenus en Namibie, au Cambodge, en Slovénie orientale, en Mozambique, à Chypre et au Liban Sud. Mais ces forces de maintien de la paix de l’ONU n’ont pu prévenir les massacres à Srebrenica en Yougoslavie, au Darfour au Soudan (plus de 300 000 morts) ou au Rwanda (800 000 morts), massacres littéralement survenus en leur présence.

L’ONU a approuvé la guerre de Corée en 1950 et la guerre du Golfe en 1990 pour libérer le Koweït. Par contre, les grandes puissances ont amorcé des conflits qui n’ont pas été approuvés par l’ONU: l’Union soviétique envahit l’Afghanistan en 1979 et la Crimée en 2014. Les ÉU intervinrent au Vietnam à partir de 1961. Sous la présidence de Bill Clinton, l’OTAN intervint au Kosovo; plusieurs attaques de missiles Cruise en Afghanistan et au Soudan ont été ordonnées sous sa présidence en réaction aux attentats commis contre les ambassades américaines et en vue de combattre le terrorisme d’Al-Qaeda; ce type d’intervention s’est poursuivi sous d’autres présidents. La Chine a occupé le Tibet en 1950 et occupe militairement des îles du Sud-est asiatique à partir de 1988.

Par ailleurs, l’ONU n’est pas intervenue dans les guerres civiles meurtrières de Syrie, de Libye, du Soudan et du Yémen. L’ONU ne s’est pas prononcée sur l’intervention soviétique en Hongrie en 1956 et à Prague en 1968, la guerre de Tchétchénie ni même sur le traitement des Ouïghours en Chine.

Les institutions internationales de l’ONU

Avec ses 50 000 employés, l’ONU gère des institutions importantes à partir de la Suisse: l’Organisation mondiale de la santé (OMS) que les États-Unis ont quittée en raison de la mauvaise gestion de la pandémie; l’Organisation internationale du travail (OIT) qui a pour mandat de promouvoir les droits au travail et la protection sociale; l’Union internationale des télécommunications (UIT) qui définit les normes internationales en matière de communication; le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et l’organisme parallèle l’UNRWA exclusif aux réfugiés palestiniens; l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM), le Haut-Commissariat des Nations unies aux Droits de l’Homme (HCDH). Toutes ces agences ont leur siège à Genève.

Il faut ajouter à cette liste l’ONU pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) dont le siège social est à Paris et dont les États-Unis se sont retirés en raison de l’ostracisme envers Israël. L’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) à Vienne qui cherche à limiter le développement militaire de l’énergie nucléaire; l’Organisation de l’Aviation Civile Internationale (OACI) basée à Montréal vise à standardiser le transport aéronautique international et l’Organisation pour l’agriculture et l’alimentation (FAO) basée à Rome se propose de lutter contre la faim dans le monde.

Les défenseurs des droits de la personne ont tout récemment dénoncé l’élection de la Chine, de la Russie et de Cuba au Conseil des droits de l’homme, soulignant leurs manques en la matière. Ceci a fait dire à Hillel Neuer, directeur exécutif de l’UN Watch «qu’élire ces dictatures comme juges de l’ONU sur les droits de l’homme, c’est comme faire d’un gang d’incendiaires les pompiers.»

Pressions financières

Plusieurs organisations internationales de l’ONU sont présidées par des représentants de la Chine, d’autant plus que le retrait des États-Unis laisse des postes vacants vite comblés par ce pays. Ainsi, la Chine a doublé le nombre de ses représentants à l’UNESCO après que les États-Unis s’en soient retirés. Beaucoup s’interrogent sur la concomitance d’un don de 78 millions de dollars fait au Cameroun et le retrait de la candidature du candidat camerounais à la direction générale de la FAO. Taiwan a été exclue d’une réunion sur la pandémie à l’OMS. Les experts de l’OMS n’ont pas encore pu se rendre à Wuhan pour étudier les débuts de la pandémie de la Covid-19. En 2015, l’ouverture d’une enquête internationale sur les crimes de guerre au Yémen a été bloquée par l’Arabie.

Peut-on réformer l’ONU?

L’ONU est loin d’être un organisme idéal et sa contribution à la paix du monde n’est pas toujours honorable. Le Conseil de sécurité bloque toute initiative qui ne fait pas l’affaire de chacune des grandes puissances. L’AG est inconséquente en raison de ses blocs de vote automatiques. Des organisations internationales tout comme l’UNESCO se sont politisées. Conséquemment, l’ONU n’est pas le forum du dialogue constructif.

Certains proposent d’élargir le nombre de membres permanents du CS. D’autres avancent que le droit de vote ne devrait être accordé qu’aux 75 pays démocratiques. Tant et aussi longtemps que l’atmosphère qui règne à l’AG en est une de confrontation, l’impact de l’ONU risque de se limiter aux dizaines de tickets de stationnement non payés par les véhicules disposant de plaques d’immatriculation diplomatiques onusiennes.

Bien qu’elles soient imparfaites et souvent méconnues, les actions des organisations internationales parrainées par l’ONU ont le mérite de contribuer au bien-être de la planète. Or, les pays membres perpétuent leurs inimitiés et leur boycottage au sein de ces organisations, ce qui est contraire au principe même sur lequel l’ONU a été fondée. Assurer leur bon fonctionnement et la collaboration harmonieuse peut contribuer au dialogue sain si tant nécessaire, notamment au sein de l’AG.

À l’entrée de l’ONU, la devise empruntée du prophète Isaïe se lit: «De leurs glaives, ils forgeront des socs de charrue et de leurs lances des serpettes; un peuple ne tirera plus l’épée contre un autre peuple, et on n’apprendra plus l’art des combats...» Cette devise devra se traduire dans les actes et les pensées de ceux qui prétendent agir au nom de la paix.

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